Partie VII

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  Azore s’élança à vive allure, et la fée fut entraînée à sa suite. Elle courut sans réfléchir, ses jambes portées par l’adrénaline et sa main agrippée à celle de l’humaine. Au bout de la rue, elles tournèrent à gauche et s’arrêtèrent net.

  Face à elles se tenaient trois silhouettes, immobiles, occupant toute la largeur de l’allée. Le cœur de Shälia manqua un battement lorsqu’elle vit l’une d’elles relever la tête et la transpercer de son regard. Les deux Âmes Sœurs voulurent faire demi-tour, mais les deux individus qui les avaient prises en chasse les avaient rattrapées et rendaient toute retraite impossible.

  Sans attendre, Azore dégaina deux dagues et en donna une à Shälia avant d’en saisir une troisième. La fée se rendit compte qu’elle ne savait même pas comment tenir une telle arme. L’estomac en vrac et la respiration saccadée, elle tenta de garder son calme et d’analyser la situation. Elle n’eut pas le temps de prendre conscience de ce qui lui arrivait qu’elle vît Azore se ruer en avant.

  Shälia voulut la suivre, mais une main s’accrocha à son bras et la retint en arrière, manquant de la faire basculer. Elle serra sa dague dans sa paume et tenta d’asséner un coup à son assaillant, mais elle manqua sa cible et se retrouva désarmée et immobilisée, un bras puissant enroulé autour de son cou.

— Trop lente, ma belle, susurra une voix féminine près de son oreille.

  Shälia fit abstraction du désagréable souffle chaud qui envahissait sa nuque et se concentra pour trouver un moyen de se sortir de là. Elle aperçut sa bien-aimée se battre corps et âme contre deux mercenaires ; elle avait déjà réussi à mettre les autres à terre. Elle virevoltait, assénant coups de pied et coups de dague çà et là, empêchant ses adversaires de l’atteindre.

  Admirative de l’agilité d’Azore, Shälia ne put se résoudre à abandonner et à laisser son sort aux mains de son agresseur. Elle envoya un coup de coude en arrière, entre les côtes de la femme qui la retenait. Un râle de douleur s’échappa de la bouche de celle-ci, ce qui encouragea la fée à recommencer. L’étreinte se desserra légèrement et permit alors à Shälia de balancer son pied dans le genou de son adversaire. Avec un cri de surprise et de douleur, la mercenaire relâcha la fée, qui en profita pour s’éloigner et récupérer sa dague restée par terre.

  Elle se retourna d’un mouvement vif, déterminée à combattre pour défendre sa vie, mais elle ne s’était pas préparée à ce qu’elle vit. Son assaillante avait dégainé un arc et elle la tenait en joue, prête à décocher la flèche à tout instant. Shälia était tétanisée par la peur. Elle voulut tenter de raisonner la mercenaire, lui donner des raisons pour ne pas la tuer, mais aucun son ne franchit ses lèvres.

— Tu n’aurais pas dû faire ça, fée, ricana la mercenaire d’un air mauvais.

  Des tremblements incontrôlables s’emparèrent des mains de Shälia, qui fit alors tomber la dague sur les pavés dans un bruit métallique. Allait-elle vraiment mourir aujourd’hui, alors qu’elle avait enfin trouvé une once de bonheur dans ce monde sombre et cruel ?

  Sa vision se troubla lorsqu’elle vit les doigts se retirer un à un de la corde de l’arc. Désormais incapable de respirer, la fée ferma ses paupières et plongea dans un état second, refusant de faire face à la mort. Soudain, un sifflement passa tout près de son oreille. Reprenant brusquement conscience de la situation, Shälia écarquilla les yeux et aperçut un éclair argenté se planter dans la gorge de la mercenaire qui lui faisait face. Les yeux exorbités et complètement déséquilibrée, la combattante décocha la flèche mais celle-ci atterrit bien loin de la fée. Une rivière de sang s’écoula de son cou, et elle tenta de prononcer quelques mots, mais ceux-ci se transformèrent en gargouillis morbides. Elle tituba quelques secondes, puis s’écroula, parcourue par de violents spasmes.

  Le cœur au bord des lèvres, Shälia se détourna de la scène. Elle chercha des yeux le regard familier d’Azore, qui accourait déjà vers elle, et s’accrocha de toutes ses forces à ces prunelles grises. Sans attendre, l’humaine la prit dans ses bras, et la fée laissa les larmes rouler le long de ses joues. De lourds sanglots libérateurs secouèrent son corps frêle, soutenu par Azore.

— Je suis désolée, chuchota l’humaine, la voix brisée. Je suis tellement désolée…

  Les mains de Shälia s’accrochaient frénétiquement aux vêtements d’Azore, comme pour être certaine qu’elles n’allaient pas se quitter. La fée avait eu si peur de mourir qu’elle ne pouvait désormais plus se résoudre à rompre le contact qui lui prouvait qu’Azore et elle étaient encore en vie.

— On ne peut pas rester là, la milice ne va pas tarder à débarquer, prévint Azore.

  Les sabots des centaures résonnaient déjà à quelques rues de là. Shälia se détacha de sa bien-aimée et passa une main sur son visage pour tenter de chasser la peur de son esprit ainsi que les dernières larmes de ses joues. Elle prit une profonde inspiration et rassembla ce qui lui restait de courage.

  Les deux Âmes Sœurs se mirent à courir, laissant derrière elles les corps sans vie de leurs assaillants. Après plusieurs minutes, elles trouvèrent un accès qui les menèrent sur les toits. Elles s’assirent sur la tôle et reprirent leur souffle, désormais hors de la portée de la milice. La lune avait fini par se lever, les enveloppant d’une clarté protectrice. Ce fut Azore qui brisa le silence d’une voix rauque, et Shälia ne sut pas si le ton de sa voix était dû à son essoufflement ou à son chagrin.

— C’étaient des membres d’une guilde concurrente, la Confrérie Souterraine. Je crois qu’ils m’en voulaient d’avoir raflé le butin sur lequel ils avaient des vues depuis plusieurs semaines. Seulement, je ne savais pas que cette histoire allait te mettre en danger ce soir…

  La culpabilité qui habitait ces dernières paroles frappa violemment Shälia. Elle ne pouvait nier que les récents évènements l’avaient secouée, mais la sensation d’urgence de la course poursuite avait déclenché d’agréables frissons d’excitation le long de son dos. Elle se rapprocha d’Azore et caressa doucement son bras.

— Aujourd’hui, j’ai choisi de te suivre, d’être à tes côtés. Ce qui vient de se passer ne change en rien ma décision. Au contraire, je sais maintenant que je t’accompagnerai jusque dans les limbes plutôt que d’être séparée de toi.

  Ces mots ne parvinrent pas à retirer le voile de culpabilité qui recouvrait le regard d’Azore. Toutefois, un sourire naquit sur les lèvres de l’humaine et la lune se chargea de faire briller chaque petit diamant qu’il y avait sur ses dents.

— Viens contre moi, articula Azore en passant son bras autour de la taille de Shälia.

  La fée ne se fit pas prier et elles s’allongèrent côte à côte, les yeux rivés sur les étoiles. La surface cabossée du toit n’offrait que peu de confort, mais elles n’avaient besoin de rien d’autre que de leur présence respective pour se sentir bien.

  Entraînée par le vent, la chevelure brune d’Azore titillait les joues de Shälia. Le bonheur rependait une douce chaleur dans le corps de la fée, reléguant le froid extérieur au rang d’illusion. Cette soirée avait provoqué bon nombre d’émotions dans le cœur de Shälia, oscillant des meilleures aux pires en un claquement de doigt. Cependant, deux sentiments, que la fée n’avait plus connu depuis longtemps, avaient su dominer tous les autres. Le bonheur et l’amour.

— Je t’aime.

  Les trois mots s’étaient échappés de la bouche de Shälia, comme s’ils n’avaient pas pu être retenus plus longtemps. Azore tourna doucement la tête et leurs regards se retrouvèrent.

— Je t’aime.

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