Partie VI

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  Ce fut le tonnerre d’applaudissement qui retentit qui sortit Shälia de sa torpeur. Elle ouvrit les yeux et un immense sourire prit possession de ses lèvres lorsqu’elle vit ces centaines de visages marqués par l’émotion qui l’acclamaient avec ferveur. La fée se délecta de ce qu’elle avait sous les yeux, puis salua le public et s’éclipsa, ne voulant pas retarder le début du spectacle qui promettait d’être fabuleux.

  Elle se faufila entre les tables, où les conversations animées avaient déjà repris. Elle voulait au plus vite se frayer un chemin vers le bar, impatiente de retrouver l’aura rassurante d’Azore au milieu des regards appuyés et des interpellations insistantes.

  Elle n’eut pas besoin d’aller très loin puisque ce fut Azore qui vint à sa rencontre, la prenant dans ses bras d’un geste protecteur. Shälia émit un petit rire surpris avant de répondre à l’étreinte.

— Tu as été fantastique, lui souffla Azore à l’oreille, la tête enfouie dans une cascade de boucles violettes.

  Les yeux étincelants, le cœur pétillant, Shälia posa ses lèvres sur celles de l’humaine. Chaque geste qu’elle effectuait était rempli d’un amour inconditionnel.

— Et si on mangeait un bout, maintenant ? proposa Azore.

  La fée ne se fit pas prier. Elles s’installèrent rapidement à une table inoccupée ; elles n’étaient pas très proches de la scène, peut-être seraient-elles épargnées du vacarme que faisaient les centaures. Azore leva le menton vers la droite et confia à Shälia :

— Les frères Bürki ne t’ont pas quittée des yeux depuis que tu es descendue de la scène.

  Prise au dépourvu, la fée se retourna et croisa instantanément deux regards perçants. Elle fit volte-face et s’accrocha à nouveau à l’acier des pupilles d’Azore. Elle secoua la tête et laissa un sourire illuminer son visage.

— J’ai l’impression que c’est plutôt bon signe.

— En même temps, je n’en doutais pas. J’étais certaine que tu allais faire un carton.

  Le serveur les interrompit en leur proposant divers mets gastronomiques, qui avaient tous l’air plus délicieux les uns que les autres. La soirée s’annonçait grandiose. Et elle le fut. Les deux Âmes Sœurs mangèrent, rirent et apprirent à se connaître. Comme promis, le spectacle fut incroyable, remplissant le cœur des spectateurs de couleurs et de joie.

  Lorsqu’elles sortirent de L’Obsidienne, le froid nocturne ramena Shälia et Azore à la réalité. Le clocher le plus proche sonna minuit. Serrées l’une contre l’autre, leurs bras entrelacés, elles se mirent à marcher dans les rues désormais presque désertes. La lune n’était pas de sortie ce soir-là, leurs visages n’étaient qu’éclairés par leurs sourires.

  Avide de découvrir sa bien-aimée, Shälia fit l’effort d’entrouvrir ses lèvres gercées par le vent et murmura d’une voix douce :

— Cette mèche blanche…

  Un voile d’obscurité recouvrit le visage d’Azore.

— Comment t’es-tu retrouvée dans l’Ordre des Sentinelles ? continua la fée, avide de réponses.

  Il n’y avait aucun jugement dans sa voix, juste de la curiosité et une sincère envie de comprendre. Elle sentit le corps qui lui tenait chaud se crisper.

— J’étais si jeune, soupira finalement l’humaine. Quand on est dans un orphelinat, qu’on est faible et à la merci des autres, le pouvoir et la fraternité d’une guilde constituent un trésor illusoire. Je suppose que je n’ai jamais vraiment eu le courage de partir, même si je sais aujourd’hui que j’aurais dû, et…

  Sa voix se brisa et elle ne put finir sa phrase. Shälia, bouleversée par l’image de la jeune fille seule et perdue qu’était autrefois sa bien-aimée, s’arrêta et se plaça face à elle. Elle planta ses yeux emplis de larmes dans ceux d’Azore, eux aussi humides, et laissa sa main se promener sur la joue de l’humaine, caressant la cicatrice si particulière.

— Ton passé t’a menée là où tu es aujourd’hui, déclara la fée. Sois-en fière, sois fière de la personne que tu es, parce que je te trouve parfaite, et j’aimerais que tu puisses un jour te voir de la manière dont moi, je te vois.

  Leurs lèvres s’unirent instinctivement, l’une comme l’autre ayant besoin de ce contact de manière vitale. Elle se détachèrent et Shälia décida de changer de sujet.

— D’où te vient ta cicatrice ?

  La fée eut peur de toucher un sujet sensible, mais elle se félicita intérieurement quand elle vit un léger sourire se dessiner sur les lèvres d’Azore.

— Ça, c’est une sacrée histoire.

— Raconte-là moi, quémanda Shälia.

  Elle offrit à sa compagne un regard brillant, rempli d’amour et d’intérêt, et Azore abandonna face à ces prunelles d’un noir profond. Les sombres maisons aux murs de pierre et la lumière blafarde qui se dégageait de la petite taverne à quelques pas de là constituaient un décor parfait pour conter une histoire.

— Je faisais partie de l’Ordre depuis deux ans seulement, je devais avoir une quinzaine d’années, commença Azore de sa voix chaleureuse. Une rumeur circulait au sein de la guilde, sur la présence d’un minotaure dans les montagnes à l’Est. Et un minotaure est toujours le gardien d’un objet précieux. Je n’avais pas beaucoup d’expérience, mais je voulais faire mes preuves.

  Shälia était pendue à ses lèvres, fascinée de découvrir une histoire si différente de ce qu’elle avait pu vivre appartenir à la personne qui comptait désormais plus que tout au monde pour elle.

— Je suis donc partie vers l’Est, avec peu de bagages mais surtout beaucoup trop peu d’expérience. Après une route qui m’a parue interminable, je suis arrivée dans les montagnes, presque à bout de force. J’ai erré pendant des jours près de l’endroit indiqué, sans trouver le moindre signe de vie d’un minotaure. Ce n’est qu’au bout de la septième journée qu’il m’a surprise, pendant mon sommeil. J’ai réussi à me sauver tant bien que mal, en n’écopant que de cette blessure au visage alors qu’il avait tenté de me transpercer le crâne. En fait, le minotaure avait une épée, ce qui est extrêmement rare pour une telle créature… Et il fallait que ça tombe sur moi !

  Elles échangèrent un coup d’œil amusé, mais Shälia était trop prise par le récit pour lâcher prise et faire abstraction de sa gorge sèche et de son ventre noué. Elle éprouvait un mélange d’admiration et de fascination envers Azore ; comment une jeune fille si jeune, qui plus est seule, avait pu faire face à tant de périls ? Elle avait de la peine pour cette jeune fille, mais une part d’elle ne pouvait s’empêcher de l’envier ; son âme de rêveuse avait toujours fantasmé au sujet d’épiques aventures.

— J’ai passé le reste de la nuit à tenter de soigner mon visage et à me cacher. Le lendemain, je me suis enfin décidée à le prendre en chasse, et ses larges traces m’ont conduite jusqu’à lui. Il était dans sa grotte. J’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai affronté. Par pure chance, je suis parvenue à le tuer, et j’ai récupéré son trésor.

— Qu’est-ce que c’était ? s’enquit avidement Shälia.

— Un diamant, le plus pur et le plus lisse que je n’avais jamais vu. Il y avait de nombreuses autres pierres, mais je savais que le diamant était d’une valeur inestimable, et que c’était lui que la guilde convoitait. Je ne pouvais pas tout transporter jusqu’à Vinford, alors j’ai seulement pris le diamant et deux autres pierres, un rubis et une améthyste. J’ai réussi à revenir jusqu’à…

— Jusqu’à ? l’encouragea Shälia à poursuivre.

  Azore posa son doigt sur la bouche de la fée, lui faisant signe de se taire. Tout son corps était tendu, en alerte. L’inquiétude commença à poindre chez la fée et oppressa sa poitrine. Elle se rapprocha d’Azore et lui agrippa la main.

  Un cliquetis métallique se fit entendre derrière elles. Elles firent volte-face et virent une ombre se réfugier dans une ruelle perpendiculaire. Shälia sentit sa main se faire broyer par la poigne de fer de l’humaine, mais elle n’eut pas le temps de protester que celle-ci s’écria :

— Cours !

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