Partie IV

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  La voix de la dénommée Azore s’était faite plus douce, comme si elle se voulait rassurante. Un sourire avait illuminé son visage, dévoilant des dents blanches ornées de quelques diamants. Hypnotisée, Shälia avait oublié de servir du Velours Fruité à sa cliente, rituel d’ordinaire incontournable de la maison. Azore s’assit au bord du lit et invita la fée à l’imiter d’un geste de la main. Celle-ci ne se fit pas prier et prit place, collant sa cuisse nue contre le pantalon en cuir d’Azore d’un geste instinctif.

  La méfiance ou la légère anxiété qu’elle avait pu ressentir au début s’était envolée, laissant son être enveloppé par l’aura envoûtante que dégageait l’humaine. Depuis des mois, l’une et l’autre s’observaient chaque soir, tissant peu à peu un lien fragile, mais cette nouvelle intimité physique dévoilait une connexion réelle, profonde de leurs deux âmes. Shälia ne se souvenait pas d’avoir déjà été aussi attirée par quelqu’un.

  Doucement, sans crainte ni timidité, la fée approcha son visage de celui de l’humaine. Leurs souffles se mélangeaient, leurs yeux ne se quittaient pas. Shälia caressa de ses doigts fins la joue d’Azore, retraçant le chemin que dessinait la mystérieuse cicatrice. Elle s’enivrait de l’odeur fruitée de l’humaine qui les isolait du monde extérieur.

  Ne pouvant résister plus longtemps, Shälia posa ses lèvres sur celles d’Azore. Ce baiser la remplit d’une telle émotion qu’elle passa une main derrière la nuque de l’humaine pour s’y accrocher. Ses lèvres toujours plus avides emprisonnées par celles de sa partenaire, elle sentit une main caresser son dos jusqu’au creux de ses hanches et une autre se perdre dans ses cheveux. Des frissons parcoururent tout son être.

  Lorsqu’elles s’éloignèrent enfin l’une de l’autre, Shälia et Azore gardèrent leurs doigts entrelacés, aucune ne voulant rompre le lien si précieux qu’elles avaient créé lors de ce baiser. Un sourire béat flottait sur les lèvres rougies de la fée, qui, pour la première fois depuis longtemps, éprouvait un bonheur pur, sans une once de tristesse ou de désespoir.

— Mais qui es-tu ? murmura-t-elle.

  Elles se dévoraient du regard, le désir qu’elles éprouvaient l’une pour l’autre était presque palpable.

— Tu ne l’as toujours pas compris ? lui répondit simplement Azore.

  Un sourire énigmatique flottait sur ses lèvres, et Shälia ne put s’empêcher d’y déposer un doux baiser. Elle joignit son front à celui d’Azore et inspira profondément, dans l’espoir de s’imprégner de son odeur fruitée pour toujours.

  Cette peau, ces lèvres, ces yeux d’acier, Shälia de parvenait plus à penser de manière cohérente. Cependant, avait-elle réellement besoin de réfléchir ? L’évidence s’imposait peu à peu à elle, aussi claire et inébranlable que la multitude de papillons qui semblait batifoler dans son ventre. La fée avait trouvé son Âme Sœur. Cette humaine, si différente d’elle, était la personne qui constituerait son univers entier.

  Shälia laissa un rire cristallin s’échapper de sa gorge ; elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu’elle avait exprimé son bonheur de manière aussi sincère. Les yeux d’Azore pétillèrent lorsque ce son si pur lui parvint aux oreilles.

— Viens, j’aimerais t’emmener quelque part, lança celle-ci en se levant.

  Un air interrogateur s’ancra sur le visage de Shälia.

— Où ça ?

— C’est une surprise, mais ne t’inquiète pas, ça va te plaire.

  Impuissante face à la moue décidée d’Azore, la fée soupira mais se leva de bon cœur. Elle jeta un coup d’œil à son reflet dans le miroir mural et ajusta ses cheveux sous le regard attendri de l’humaine. Elle hésita en constatant qu’elle portait toujours sa robe mauve, qu’elle n’utilisait d’ordinaire que pour travailler, mais se résigna et saisit simplement son manteau.

  Une fois prêtes, Shälia plaça instinctivement sa main dans celle d’Azore et elles passèrent le pas de la porte ensemble. Elles dévalèrent les escaliers de l’établissement et se retrouvèrent dehors en quelques secondes.

  L’air frais obligea Shälia à resserrer son manteau autour de ses hanches. Les odeurs de nourriture s’emparèrent rapidement de ses narines, et le vacarme des roues des charrettes qui sillonnaient sans relâche la rue pavée l’assourdirent. Pourtant, elle n’avait jamais vu cette petite allée sombre sous un jour si clair.

  Les deux Âmes Sœurs se sourirent et s’engagèrent parmi des passants. Shälia fut surprise par l’allure à laquelle marchait l’humaine ; elle devait presque trottiner pour se déplacer au même rythme. Elles tournèrent au coin de la rue, s’engouffrant dans une allée encore plus animée que la précédente. Après quelques minutes à se frayer tant bien que mal un passage au milieu de la foule, elles arrivèrent devant une enseigne largement éclairée. Shälia aurait pu la reconnaître entre mille.

— L’Obsidienne ? s’étonna-t-elle, les yeux remplis d’incompréhension.

— J’ai cru comprendre que tu aimais bien chanter, se justifia Azore.

  Comment savait-elle cela ? En quelques secondes, Shälia se remémora les soirs qu’elle avait passé à fredonner sur son balcon, une ombre immobile l’observant depuis la rue. Tout prenait sens, lorsqu’elle y réfléchissait.

— Mais c’est l’un des cabarets les plus réputés de la ville ! rétorqua la fée. Jamais ils ne me laisseront chanter ici, Azore. Ni dans aucun autre cabaret, d’ailleurs, tu le sais.

  En guise de réponse, l’humaine serra davantage la main de Shälia dans la sienne et gratifia celle-ci d’un regard rassurant. La fée sentit une chaleur apaisante se répandre le long de sa colonne vertébrale et toutes ses questions et ses craintes s’évaporèrent. Elle emboîta le pas d’Azore lorsque celle-ci pénétra dans l’établissement qui la faisait rêver depuis deux longues années.

  La porte franchie, elles se retrouvèrent dans un couloir dont les murs étaient recouverts d’un velours bordeaux auquel s’accrochait une agréable odeur de beignets. Bien vite, les deux Âmes Sœurs furent arrêtées par un vigile ; un demi-orque leur faisait face, reconnaissable par ses impressionnantes canines inférieures et sa carrure de colosse. Il dut se baisser pour les jauger du regard. Il ne fut visiblement pas satisfait de ce qu’il vit puisqu’il articula de sa voix d’outre-tombe :

— Entrée refusée.

  Shälia se faisait la plus petite possible face à l’imposante stature du demi-orque, mais Azore fut loin de se démonter. Elle défit d’un geste rapide deux de ses tresses afin de laisser apparaître une mèche de cheveux d’une blancheur immaculée, décorée de petits anneaux métalliques.

  Shälia retint de justesse un hoquet de surprise. A Vinford, tout le monde savait ce que signifiait une mèche blanche ; Azore appartenait à l’Ordre des Sentinelles, l’une des guildes les plus influentes de la région. Certes, les vêtements noirs et les nombreuses armes que portaient l’humaine avait laissé sous-entendre à Shälia que son Âme Sœur était une mercenaire, mais jamais elle ne s’était doutée qu’elle était liée à l’Ordre des Sentinelles, cette guilde si crainte et si respectée.

  Bien que surprise, cette découverte n’effaçait pas les doux fourmillements dans le ventre de la fée et ne changeait en rien le regard qu’elle portait sur Azore. Pour le demi-orque, en revanche, la présence de cette petite mèche blanche changea la donne puisqu’il afficha un air plus affable et s’écarta sans un mot afin de les laisser passer.

  L’air satisfait, Azore sourit à Shälia et elles continuèrent leur progression dans le couloir.

— Tu recèles de mystères, chuchota la fée au creux de l’oreille de sa bien-aimée.

  À ses mots, elle vit le regard gris qu’elle aimait tant se teinter de culpabilité. Un pincement au cœur, la fée s’empressa d’ajouter :

— J’ai hâte de passer du temps avec toi pour que tu puisses tous me les livrer.

  Shälia sentit alors la main d’Azore se détendre au creux de sa paume.

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