Partie I

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  Assise au bord du lit, Shälia remit en place sa robe et la lissa du plat de la main. Son regard balaya la chambre et se porta sur le vase coloré posé sur le bureau, un peu plus loin. Un magnifique bouquet trônait à l’intérieur de celui-ci, et donnait à la pièce sombre une bouffée de fraîcheur. Dans un mouvement presque mécanique, la jeune fée se leva et se dirigea vers le bureau. Elle hésita quelques secondes, et choisit finalement une fleur aux larges pétales blancs et au cœur bleu. Elle coupa un morceau de la tige afin de la raccourcir et la glissa dans sa chevelure, entre deux épaisses boucles violettes.

  Quelques notes de piano et de harpe flottaient dans l’air, provenant de la réception. Ce devait être l’enchanteresse, propriétaire du bâtiment, qui était d’humeur joviale. Bercée par la mélodie, Shälia fredonna un air et laissa ses pieds voguer sur le parquet.

  Entraînée par sa danse, elle n’entendit pas les légers coups de l’autre côté de la porte. Ce fut lorsque la poignée s’abaissa et qu’un individu passa la tête dans l’encadrement, le sourire aux lèvres, que la jeune fée se retourna. Elle reconnut sans difficulté Jiexyl, un client déjà venu la semaine précédente.

— Entre, l’invita-t-elle en souriant.

  Le nouveau venu ne se fit pas prier et referma la porte derrière lui.

— Bonjour Violette, la salua-t-il.

  Ce prénom, que sa patronne lui avait attribué à des fins commerciales, la faisait autrefois tiquer dès qu’elle l’entendait. Avec le temps, elle avait fini par s’y habituer, et elle ne savait pas si cela était une bonne chose ou non.

  Les sabots de l’invité martelèrent le sol lorsqu’il s’avança vers elle. Shälia avait toujours apprécié les satyres ; leur timidité excessive et leur politesse en toutes circonstances les différenciaient des créatures malotrues qui peuplaient les rues de Vinford.

— Je te sers un verre de Velours Fruité ? s’enquit-elle auprès de son client.

  Cette boisson était la signature de la maison, servie exclusivement en ces lieux. La plupart des clients raffolait de son goût délicat et de sa texture à la fois épaisse et fluide. Sans grande surprise, le satyre accepta la proposition avec joie. En s’attelant à la tâche, Shälia prit des nouvelles de son client, manière commerciale de le faire se sentir écouté.

— Comment vas-tu, depuis la semaine dernière, Jiexyl ?

  Le visage du concerné s’éclaira, et Shälia ne sut pas si c’était parce qu’elle l’avait appelé par son nom ou parce qu’elle lui avait demandé de ses nouvelles.

— Ma femme et mon fils se portent bien, répondit le satyre. Mon fils a même fait ses premiers pas hier. Et je peux te le dire, ce n’est pas évident avec des sabots. J’ai dû attendre jusqu’à mes six ans pour être capable de marcher sans trébucher tous les trois pas…

  Shälia écoutait son client d’une oreille distraite tout en acquiesçant de temps à autre. Ecouter les clients lorsque ceux-ci avaient besoin de parler à une personne bienveillante faisait partie de son travail, et elle ne s’en plaignait pas.

  Le silence se fit dans la pièce. Elle se tourna vers le satyre afin de s’assurer que tout allait bien ; celui-ci était simplement avachi sur le lit, en train de l’observer. Elle esquissa un sourire, habituée à cette attention, et s’approcha en lui tendant le breuvage.

— Tu es vraiment magnifique, articula Jiexyl d’un ton doux.

  La concernée replaça ses cheveux lilas autour de son visage et le remercia d’un clin d’œil.

— Tu sais, reprit le satyre, je me dis souvent que j’aurais dû me marier avec une fée psychëlia, comme toi. La vie doit être si douce, si agréable, si chaleureuse… Ton époux doit être la personne la plus heureuse au monde.

  Ces paroles, à visée bienveillante, touchèrent Shälia en plein cœur. Pour le monde, les psychëlias n’étaient que des créatures faiseuses de rêves, douces et souriantes, et elle savait que sa présence dans cet établissement ne faisait qu’accentuer ces stéréotypes. Personne ne prenait le temps de vraiment s’intéresser à elles, alors qu’elles avaient tellement plus de choses à offrir que de simples rêves…

  La jeune fée ne laissa cependant rien paraître de son trouble et afficha un sourire aguicheur.

— Je ne suis pas mariée, s’amusa-t-elle faussement. Je suis bien trop jeune pour cela.

— Pourtant, tout le monde doit te faire des avances.

  En réalité, personne n’avait jamais prêté attention à elle de manière sincère. Rares étaient ceux qui s’intéressaient à des fées modestes travaillant à Nuits de rêves. Dans cet établissement aux fréquentations douteuses, rien n’était glamour ou prestigieux. Ces pensées ternirent l’habituel positivisme de Shälia, et elle décida de débuter la séance pour se changer les idées.

— Tu viens pour une séance de combien de temps, aujourd’hui ? le questionna-t-elle.

— J’ai payé pour une heure, donc une demi-heure de plus que la semaine dernière.

— Et nous avions fait un rêve de quelques heures, c’est cela ?

 Jiexyl acquiesça puis s’enquit :

— Avec une séance d’une heure, le rêve peut couvrir une durée de combien de temps ?

  Shälia prit son temps avant de répondre. Rêver grâce à une psychëlia était quelque chose d’extrêmement addictif. Nuits de rêve avait déjà entraîné plusieurs clients dans la misère ; ils avaient perdu argent et santé mentale dans les chambres de l’établissement. La jeune fée ne souhaitait pas voir un tel sort s’abattre sur le satyre. Elle s’allongea sur le lit et caressa le bras de celui-ci de ses doigts fins.

— Je peux te faire vivre une journée de rêve, lui susurra-t-elle à l’oreille.

  Elle n’avait aucun scrupule à lui mentir si cela lui permettait de ne pas tomber dans la spirale sans fin de l’addiction aux rêves. Shälia pouvait, si elle le désirait, lui offrir bien plus qu’une journée.

— Je n’attends que ça, murmura le satyre en se serrant davantage contre elle.

  Shälia continuait ses caresses, naviguant du torse aux bras. Elle sentait que son client était très réceptif et plus que pressé de débuter, mais elle se devait de lui poser une dernière question avant.

— Des préférences quant au lieu, aux personnes présentes ?

  Jiexyl avait déjà les yeux fermés.

— J’aimerais que l’on soit loin d’ici, dans un petit village calme au bord de l’océan, comme celui dans lequel j’habitais quand j’étais petit… Juste toi et moi, s’il te plaît.

— Tout ce que tu voudras, lui assura la fée d’une voix enchanteresse.

  Sans plus attendre, Shälia posa sa main sur le torse du satyre, à l’endroit exact où se trouvait son cœur. Elle se concentra, plongea au plus profond des souvenirs de Jiexyl, et rouvrit brusquement les yeux.

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