Chapitre 11 : I'aina-mëar

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Le sang sacré

L’annonce avait été assez brutale pour la laisser sans voix pendant plusieurs heures, et ce, malgré la douceur avec laquelle Manfred lui appris la vérité, sur les circonstances qui l’avaient conduites à Lockwood. Elle oscillait entre tristesse, détresse et incompréhension. Ses larmes taris, il lui avait préparé une tisane qui l’avait fait sombrer dans un sommeil salvateur, permettant à son esprit d’assimiler sa situation. Aussi, à son réveil, elle fit la connaissance de la deuxième personne qui l’avait veillé sans relâche et avait permis sa survie. Elle avait été rassurée de constater que c’était une femme et qu’elle officiait comme infirmière. Ce prénom « Rose » avait fini de vaincre ses dernières réticences à répondre à leurs questions.

D’où venait-elle ? Elle ne pouvait le dire. Son départ avait été précipité, du moins c’est ce qu’elle ressentait, mais était incapable d’en connaître l’origine, ni le lieu qu’elle avait quitté avant d’atterrir dans la forêt. Voyageait-elle seule ? Non. Après quelques minutes de silence, Manfred avait osé la phrase qui fit voler en éclats ses dernières défenses :

 - La Terre des Illusions, est-ce un terme qui vous est familier ?

Il n’avait pas eu besoin de finir sa phrase que des larmes inondèrent son visage. Rose s’était assise près d’elle et l’avait prise dans ses bras, la berçant comme une enfant. De paroles en réconfort, elle se livra et raconta l’invraisemblable jusqu’à donner son identité, celle que l’on avait gravé sur une pierre tombale au granit gris avec des lettres d’or, Stéphanie Nycolas. Un patronyme incroyablement banal pour une existence qui ne l’était pas, puisque la mort l’avait congédié et condamné à survivre loin de ses proches. Une situation cruelle à laquelle elle aurait préféré mettre fin, en gardant l’espoir dans son cœur de trouver cet Eden dont son éducation l’avait instruite. Il avait fallu à son guide spirituel, Léo, toute sa douceur et sa patience pour finir par lui faire accepter l’impossible.

Durant des semaines qui furent des mois, il l’accompagna tel un navire en perdition, d’une attache terrestre à une autre, rencontrant sur son chemin des médiums, des fantômes et des êtres vivant en marge de la société des hommes, protégeant leurs différences et leurs existences.

Abasourdis devant tant de révélations, ils n’avaient pas jugé utiles de continuer et elle avait apprécié cette décision en les remerciant pour tous les efforts qu’ils avaient fourni et avec la cruelle question qui lui dévorait les entrailles : « Qu’allait-elle devenir ? ». Bien que la question n’ait pas franchi la barrière de ses lèvres, Rose l’avait serré plus fort contre elle pour lui assurer qu’elle n’était pas seule. Une simple phrase qui avait fait naître le doute en Manfred.

Soucieux de son repos, ils l’avaient laissé seule l’isolant du reste de la pièce par le paravent. Immobile dans son lit, elle avait attendu que la porte se referme. Elle repoussa doucement les couvertures et observa sont corps recouvert d’une longue chemise de nuit blanche qui lui tombait aux chevilles. Lentement et avec beaucoup d’appréhension, elle remonta le tissu jusqu’à ses genoux puis aux hanches. Elle découvrit avec étonnement les changements qui s’étaient opérés encore, comme si son corps obéissait à une loi physique totalement contre nature, celle de remonter le temps. Les cicatrices qu’elle avait gardées de son enfance insouciante s’étaient volatilisées. Elle dégrafa les boutons de sa chemise et observa la marque sous son sein gauche. Le point noir ressemblant à un grain de beauté avait grandit et ses contours étaient nettement dessinés, comme s’ils avaient été tracé d’un crayon fin. A cet instant, elle se rappela les paroles de Léo : « Quand le seau du Dragon aura fini sa croissance, ton âme sera définitivement ancré à ton corps et alors vous ne ferez plus qu’un avec celui qui t’a choisi ».

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La porte fermée, Rose et Manfred se dirigèrent vers la chambre voisine, transformée en infirmerie. Un silence gênant s’était installé entre eux, chacun s’enfermant dans un mutisme amer. Au seuil de l’entrée, Manfred se décida à y mettre un terme.

 - Rose ?

La main sur la poignée, l’infirmière se retourna lentement vers le jeune mestre, posant sur lui un regard résigné. Elle s’efforça de sourire en gardant un air détaché.

 - Oui ?

Manfred, les mains dans les poches de sa robe noire, s’approcha calmement. Ses yeux d’une douceur infinie firent naître un voile humide dans ceux de Rose. Il lui posa la question qui lui brûlait les lèvres, sans colère, dans un murmure pour recueillir sa confidence.

 - Vous m’avez menti, n’est-ce pas ?

Elle baissa la tête et prit un profond soupir avant que sa main actionne l’ouverture de la porte :

 - Nous serons mieux à l’intérieur pour en discuter.

Elle le précéda dans la pièce et fera derrière elle. Puis indiquant de la main une chaise pour qu’il s’asseye, elle prit place face à lui. Ses doigts jouèrent un instant avec le tissu de sa jupe. Par quoi allait-elle commencer ? Manfred la délivra de sa problématique en la questionnant : « Pourquoi m’avoir menti ? »

De nouveau, elle soupira avant de répondre d’une voix chevrotante :

 - J’ai conscience que vous devez être terriblement déçu de mon attitude, mais je n’avais pas le choix. Il fallait absolument préserver son identité jusqu’à ce que l’on soit certain de pouvoir assurer sa sécurité.

 - Vous saviez depuis le début qui elle était ? Et vous n’avez pas jugé bon de me le dire ? Insista Manfred.

Rose hocha la tête en fermant les yeux avant d’affronter une nouvelle fois ces prunelles noisette qui reflétait une grande déception. Ce sentiment brisait son cœur. Elle avait une profonde affection pour Manfred et espérait que ce qu’elle se préparait à lui révéler, n’entamerait pas leur amitié.

 - Stéphanie est originaire de la Terre des Illusions et c’est la petite fille d’un ami qui m’est très cher, ainsi qu’à Olliver Jenkins notre libraire. – la surprise se dessina sur le visage de Manfred qui accusait le coup de cette information, non sur la provenance de la jeune femme dont il avait un doute suite à la lecture des travaux d’Archibald, mais plutôt sur l’attachement de Rose. – Son grand-père se nomme Antoine Nycolas. Il possède le seau des Dragons depuis son enfance suite à une maladie qui l’a envoyé dans les limbes de l’Ether. Quand les héritiers de la lignée sacrée tombent dans ces limbes, le seau se révèle et alors son âme est reliée à son gardien pour ne faire qu’un.

Rose observa un instant de silence fixant l’écharpe carmin, cadeau d’Olliver, trônant sur le porte manteau près de la fenêtre géminée. Elle poursuivit :

 - Cette lignée à vu le jour il y a de cela plusieurs siècles, sur des terres que les sangs communs nommaient le Nouveau Monde. L’homme qui en fut à l’origine était un explorateur chargé de trouver des nouvelles terres pour son roi. Après des mois de navigations en mer, il rejoignit avec plusieurs hommes des colonies déjà installés sur des territoires vierges. Là-bas, il rencontra une autre civilisation aussi ancienne que pouvaient l’être ses terres avec ses croyances et ses rituels. La cohabitation était fragile et quand la fille du chef choisi l’explorateur pour époux, celui-ci du essuyer la colère de l’homme qui lui était destiné. Mortellement blessé, il fut amené au sage du village de la jeune indienne qui invoqua la puissance du feu pour guérir l’homme mourant. La légende dit que du feu à jailli un dragon qui d’une étincelle aurait soigné le cœur de l’explorateur, reconnaissant ainsi son courage et sa valeur.

Rose se tut avant de fixer Manfred pour continuer :

 - Ce secret fut porté à la connaissance de la Guilde qui surveilla étroitement les descendants de cette lignée, car aucun être venant de notre monde ne peut s’affilier d’une quelconque manière aux sangs communs, mais cette règle ne s’applique pas aux Dragons, car nul ne peut les contraindre. C’est pourquoi la Guilde a créé dans le plus grand secret la confrérie des Chevaliers du Sacre, pour que nul ne puisse un jour détourner ce feu sacré à des fins maléfiques. Chaque membre jure fidélité au Dragon et se doit de protéger les héritiers du sang sacré.

Elle prit une profonde inspiration avant d’avouer :

 - Olliver Jenkins fait parti de la Confrérie des Chevaliers du Sacre et à prêter serment tout comme son père qui s’est fait engager comme le précepteur d’Antoine. Ils ont grandi tous les deux ensemble jusqu’au jour où la maladie à frappé, révélant la nature sacré du sang qu’Antoine portait. De ce jour, ses capacités ont été décuplées et ses connaissances grandement approfondies. Ses aptitudes à la guérison lui ont fait choisir une carrière de médecin. Il s’est engagé dans le grand conflit de la Terre des Illusions, opposant plusieurs nations entre elles. C’est là-bas que je les ai rencontrés lui et Olliver.

Sidéré par ces nouvelles révélations, Manfred se pencha en avant, les coudes posés sur les genoux pour prendre sa tête entre les mains. Il n’arrivait plus à penser rationnellement. C’est comme si tout son univers avait été balayé, son savoir dispersé aux quatre vents. Parmi tout ce qu’il avait entendu, il ne retenait surtout qu’une seule chose qui martelait son crâne, comme un maillet frappant un ciseau sur une pierre de taille. Les Chevaliers du Sacre avaient pour mission de protéger les enfants du sang sacré. A cet instant, des bribes de souvenirs lui revenaient en mémoire et il revoyait Thomas et ses longs monologues dans la salle commune, penché au-dessus d’un livre, ou encore mettre fin à leur promenade hebdomadaire sous prétexte d’un travail à rendre. Sans compter ses interminables séminaires qui l’appelaient parfois à quitter la capitale durant plusieurs semaines. Indulgent et patient, Manfred n’avait jamais douté, buvant ses paroles comme un hydromel, s’accrochant à un avenir qu’il voyait radieux.

Le visage toujours enfui, il demanda à Rose d’une voix hésitante et le cœur battant :

 - Comment avez-vous appris leur existence ? M. Jenkins, vous en a-t-il informé ?

 - Oui, il m’a fait suffisamment confiance pour me le dire et puis Antoine est devenu un ami. Nous avons travaillé ensemble dans le même hôpital de fortune. Cela crée des liens. Et puis…

Elle allait trouver le courage de lui parler des sentiments qu’elle éprouvait pour Olliver quand Manfred se leva, le visage baigné de larmes. Il posa une main amicale sur l’épaule de Rose qui essaya de le retenir, mais il se détacha de son étreinte.

 - Laissez-moi, je vous prie, lui murmura-t-il dans un sanglot.

Devant son visage dévasté, Rose s’exécuta. Une fois la porte fermée, elle entendit Manfred pleuré. Elle regagna sa chambre le cœur lourd, cherchant les paroles qui pourrait apporter du réconfort à celui qui en donnait tant aux autres. Son intuition ne la trompait jamais et cette personne si angélique, pour qui elle avait tant de respect, cachait une blessure profonde.

Elle alla à sa fenêtre pour ouvrir l’une des baies géminées et bénéficiée d’un peu de fraîcheur. A cet instant, ses yeux se posèrent sur un homme à la chevelure blonde, traversant la cours en courant.

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