Chapitre 12 : I' ràcar

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Les loups

Encore une fois, il repassa en revue dans sa tête, les affaires qu’il avait réussi à subtiliser à ses hôtes, cachées sous l’une des lattes du parquet. Courageux, tenace et rusé, étaient des adjectifs qui lui sciait à merveille et qu’il aimait s’énumérer en secret, comme autant de qualité qui faisait de lui un voleur peu ordinaire. Malgré son bagou et sa belle gueule, les choses pouvaient tourner en sa défaveur, mais même dans ces moments là, sa bonne étoile lui restait fidèle.

Son plan ne s’était pas déroulé comme prévu. Si lui était capable de bien des choses pour sa liberté, il n’en était pas forcément de même pour les autres. Il avait appris très jeune qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Les rencontres faites au hasard tout au long de sa vie, n’avait jamais servi que ses propres intérêts. Jusqu’au jour où il rencontra Yaëlle. Petite chose fragile, perdue dans cette immensité d’hypocrisie et de mensonges, donnant la main à une femme au regard vide, au corps dénutri. Ils n’étaient que des enfants à cette époque. Lui subissant les coups et les humiliations, serrant les dents avec la rage au cœur ; elle, docile, suivant sa génitrice, là ou les bonnes âmes contrites de bonnes actions, n’hésitaient pas à louer leur service comme petites mains. Pendant les années de son enfance, elle avait passé à de nombreuses reprises la grande grille noire en fer forgé d’Everglay. Reprisant les vêtements trop grand ou en fabricant d’autres dans de vieux tissus délavés.

Ils s’étaient longuement observés. Lui curieux de la passivité de cette fille, quand son être tout entier criait à la révolte. Elle, médusée devant tant de hardiesse qui valait à ce garçon de son âge, tant de châtiments. Il avait fallu attendre la neuvième année de leurs existences, pour qu’elle puisse enfreindre les recommandations de sa mère et réussir à s’échapper quelques minutes de la cave qui leur servait d’atelier. Ce jour-là, elle avait réussi à se faufiler jusqu’à la cadole où était retenu Josh, en plein soleil. De la lucarne, sous le toit de veilles pierres, elle lui avait tendue une bourse pleine d’eau pour étancher sa soif. Plus tard, il avait saisi sa main pour la remercier et elle lui avait souri. Le plus beau des sourires qu’il lui avait été donné de voir, surmonté d’un regard indéfiniment triste. Depuis ce jour, il s’était juré d’apporter un peu de couleur dans sa vie.

A chaque visite de Yaëlle et sa mère, Josh s’arrangeait pour fausser compagnie à ses geôliers. Il l’entraînait alors dans leur cachette secrète, un vieux réduit abandonné, à l’extrémité du sous-sol où ils refaisaient le monde. Un monde à leur image, rempli d’espoir.

Assis sur son lit, il poussa un long soupir à l’évocation de ses souvenirs. Jamais il n’abandonnerait, il devait y retourner. Lui parler de nouveau, la convaincre de renoncer à cette vie de misère pour le suivre et construire un avenir plus radieux.

Josh se leva et regarda par la fenêtre le garde chasse s’éloigner. Il s’habilla chaudement et ramassa ses affaires cachées sous le plancher avant de se faufiler, tel un félin habile, hors du logis pour rejoindre la cour intérieure.

Comme la plupart des habitants de Greystone, il savait que le château ne comptait plus guère de résidents. La majorité des chambres étant vides et donnant sur la cour, il savait que sa fuite avait peu de chance d’être remarqué, sinon par son bienfaiteur qui s’en rendrait compte uniquement le soir tombé, quand il aurait fini sa ronde dans les bois.

Il courra vite pour traverser la cour et pénétrer dans le châtelet. Il trouva aisément le mécanisme d’ouverture de la porte, suivant les conseils avisées d’Amina, qui bavarde, lui avait révéler son emplacement. Il n’avait eu aucun mal à lui soutirer quelques informations utiles pour sa fuite, ni même pour trouver de quoi subvenir à ses besoins durant les jours qui suivraient. Amina et Rodney avaient caché leurs économies dans une boite métallisée, à l’angle de la cheminée de pierre qui dominait leur salle à manger. Une cachette qui n’avait pas manqué d’apparaître très rapidement aux yeux experts du voleur. La jointure de la pierre étant inégale par rapport aux autres.

Un coup d’œil au soleil lui indiqua qu’il était tout juste treize heures. Le ciel était dégagé, l’air sec et doux pour une journée de décembre. En marchant à bonne allure à travers les bois, il avait une chance d’arrivée avant la nuit en empruntant le circuit qui lui avait permis maintes fois de rejoindre les clairières du château, là où il expédiait ses « affaires ».

Il longea le mur d’enceinte sur quelques yards avant d’entamer la descente jusqu’à la rivière en contrebas. La poudreuse était fraiche, il avait juste à se laisser glisser le long de la pente. Comme il le pensait, il ne rencontra personne. Le silence était omniprésent, seul le chant de la rivière sous couvert des arbres accompagnait sa progression.

Il se redressa pour débarrasser la neige sur ses vêtements et entreprit de longer le cours d’eau jusqu’au bourg de Greystone. Après une heure de marche, Josh se retourna et constata qu’il ne voyait plus les toitures imposantes de Lockwood. Hors de portée de toute surveillance, il pouvait enfin se détendre et entama son répertoire de chant en sifflotant.

Il appréciait la douceur de cette journée et la quiétude qu’elle lui apportait. Les rayons du soleil dansaient parmi les branches des arbres, couvertes d’une légère épaisseur blanche qui miroitaient à la lumière. Il ne connaissait pas encore qu’elle serait ses plans une fois le village atteint, mais il savait où se cacher pour réfléchir sereinement à la suite des évènements. Une chose cependant lui était évidente, il ne pourrait plus approcher du Marinkay sans s’attirer les foudres de Nessy Bel qui n’hésiterait plus cette fois-ci à mettre fin « au problème ». La dernière fois, la providence avait été clémente, il lui fallait réfléchir sereinement pour ne pas épuiser son capital chance inutilement.

Il abandonna ses réflexions avant de s’attarder sur l’état des berges de la rivière. La neige recouvrait ses bords, cachant des branches mortes certainement tombées à la dernière tempête d’automne. Par endroits, de la glace s’était formée. Josh faisait attention où il posait les pieds pour ne pas glisser dans l’eau gelée. Il escalada le tronc d’un arbre tombé avant de s’engager dans un passage plus restreint. L’eau avait creusé son lit à cet endroit assez violemment, alimenté par des pluies intenses au retour du printemps dernier. Les racines de douglas jaillissaient de terre, certaines grosses comme un bras humain. Elles perforaient les buttes de chaque côté de la rivière. L’état du sol forçat Josh à ralentir l’allure et à se concentrer d’avantage pour ne pas chuter. Quand ses yeux se posèrent sur une trace au sol. Il fronça les sourcils avant de s’accroupir.

La terre avait été remuée pour se mélanger à la neige de sorte que les traces repérées étaient assez déformés.

  « Des chiens peut-être ? »

Il poussa un soupir puis se releva pour continuer quand un bruissement lui fit tourner la tête. Il vit des oiseaux prendre leur envol au sommet des arbres, faisant tomber un peu de poudreuse au sol.

  « Allez bonhomme en route ! Ce n’est pas le moment de t’attarder ! » , songea-t-il.

Il se releva pour faire quelques pas avant que son pied gauche ne ripe sur une couche de verglas. Déséquilibré, il glissa avant de saisir une branche proche qui lui évita de s’étaler de tout son long dans la rivière glacée. Josh commença à jurer quand l’eau pénétra dans ses bottes. A ce moment là, il réalisa qu’il avait déjà les deux pieds immergés.

  « Et merde ! »

Il s’agrippa un peu plus fort pour s’extirper de l’eau puis regarda en direction du chemin qui lui restait à parcourir, quand soudain il se figea. Un loup n’était qu’à quelques enjambées de lui, gardant le passage qu’il devait emprunter pour sortir de l’impasse. Il était grand, avec un pelage noir comme la suie. Ses yeux jaunes le fixaient sans relâche.

L’assurance de Josh s’envola. Avec l’énergie du désespoir, il tenta de se hisser sur le haut de la butte quand l’animal se rua sur lui dans un grognement effrayant. Au même moment, ses mains glissèrent le long du bois humide et la mâchoire du carnivore se referma sur son mollet. Les crocs transpercèrent le cuir de ses bottes qui lui arracha en hurlement de douleur tandis qu’une force terrifiante l’entraînait en arrière. Josh se retrouva face contre terre. N’écoutant que son instinct, il pivota et envoya un coup de pied dans la gueule du loup qui lâcha prise. En hâte, il se releva pour saisir de nouveau la branche et commença son ascension. Il sentait le sang couler le long de sa cheville et son cœur battre contre ses tempes. Il releva la tête et stoppa net. Juché sur la butte, un loup gris attendait patiemment les babines retroussées dévoilant des dents acérées. Josh était piégé. Le souffle court, il regarda autour de lui la meute ce déployé. Acculé, il n’avait aucune chance.

Pour la première fois, une boule d’angoisse se forma dans sa gorge et des larmes perlèrent aux coins de ses yeux. Il réprima avec difficulté les tremblements de son menton tandis qu’il sentait derrière lui le loup noir qui commençait à gravir la pente. Alors il fit la seule chose qui lui restait à faire, hurler aussi fort que sa cage thoracique pouvait lui permettre. Il appela à l’aide. Il ne voulait pas mourir, pas aujourd’hui, pas comme ça.

Autour de lui, les loups allaient et venaient attendant patiemment qu’il lâche prise. Sans se décoller de l’amas de terre, Josh voyait la fourrure noire se rapprocher, en prenant appui sur les racines. Puis les grondements se firent encore plus menaçants. Il comprit alors qu’il ne s’en sortirait pas. Au moment où le loup bondit vers lui, une détonation déchira l’air suivie de gémissement de douleur et d’un fracas sur le sol. La meute s’éparpilla en courant. Josh, encore tremblant se laissa glisser jusqu’à terre et tourna la tête vers les deux hommes qui venaient de le sauver. Il reconnu du premier coup d’œil Olliver Jenkins, le bibliothécaire de Greystone. A ses côtés, un homme aux cheveux et barbe blanche avec de petits yeux cachés derrière des lunettes. Celui-ci rangea dans son manteau, la baguette qu’il tenait à la main avant de s’enquérir de la santé de celui qu’il venait de sauver en criant :

  - Tout va bien mon garçon ?

Josh hocha la tête avant de poser les yeux sur le corps encore chaud de la bête. Un frisson le parcourut quand il vit ses crocs et la douleur le rappela à l’ordre. Il porta instinctivement sa main sur sa jambe en grimaçant de douleur. A cet instant, il aperçut Hagrid s’approcher de lui, tenant un louveteau dans ses bras.

  - Toi, tu as une sacrée étoile ! se contenta de lui dire le garde-chasse.

Josh ne répondit rien, il jeta un regard en coin à celui qui manifestement savait qu’il tenterait de s’échapper, au vue du sourire satisfait qu’il avait sur les lèvres.

  - La forêt sera toujours ton ennemie si tu ne deviens pas son amie.

  - Quoi ? Vous croyez que je vous dois quelque chose ? Lui répondit Josh entre deux grimaces de douleur.

  - Oui ! La vie !

Sur ses mots, Hagrid attrapa Josh par le col pour le remettre debout, alors que les deux sauveteurs arrivèrent à leur hauteur.

  - Nous allons vous aider jeune homme, lui dit Olliver alors qu’il passait son bras autour des épaules de Josh. Prenez appui sur nous –en lui désignant Trescott- nous allons vous ramener au château.

Dans son état, Josh savait qu’il n’irait pas plus loin et ne protesta pas. Les trois hommes s’éloignèrent et quand ils furent hors de portée de vue, Hagrid se retourna sur le loup noir qui était de nouveau sur ses pattes. Il s’accroupie et lui tendit la main. La bête accepta la caresse. Hagrid entendit alors nettement sa voix dans sa tête :

  « Il s’appelle Maska, c’est un cadeau de mon peuple pour l’enfant sacré ».

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