Chapitre 56

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Sagitta, Douzième Royaume.

Assis sur l’unique couchette de sa cellule, le Djicam Ivan ruminait de sombres pensées. Trois jours avaient passé depuis son arrestation, et il avait consacré son énergie à calmer des Mecers indignés d’un tel outrage infligé à leur Seycam. Heureusement qu’il avait le Wild, et que la présence de Fang, son Compagnon, rassurait ses hommes.

Comment la situation avait-elle pu dégénérer à ce point ? Depuis le départ de la Durckma, tout était allé de mal en pis. Et Damien, le fils du Souverain, semblait avoir l’oreille de plusieurs Djicams. Depuis sa prise de fonction, treize ans auparavant, le Massilien avait appris à naviguer entre les luttes de pouvoir des différents Royaumes. L’unité de la Fédération reposait sur le Souverain, et celui-ci était défaillant depuis trop longtemps.

La Seycam de Vénéré décimée tout comme celle de Massilia… Le Royaume d’Atlantis subissait les assauts répétés de l’Empire… Quels points communs ?

Des bruits de pas inhabituels le tirèrent de ses réflexions. Trop nombreux pour les geôliers, et ce n’était pas l’heure habituelle de leurs visites. Il se leva d’un bond, portant par réflexe la main à son côté dénué d’arme.

Quand la porte s’ouvrit sur ses visiteurs, la rage et la colère le disputèrent à l’inéluctable. En une respiration, le calme l’envahit. Serein, il sut qu’il allait devoir prendre une décision.

*****

Massilia, Neuvième Royaume, Refuge de haute-montagne.

Le blizzard bloquait toujours les six compagnons à l’intérieur. D’une oreille distraite, le Messager Aioros écoutait les conversations autour de la table, son faucon nain Saeros lové contre lui picorant à l’occasion des lanières de jambon fumé dans son assiette.

Maintenant qu’ils se sentaient en sécurité, les débats sur la suite de leurs actions restaient houleux. Lui ne songeait qu’à prendre conseil auprès de son père mais hésitait sur le risque à courir. Être localisés alors qu’ils étaient coincés – et donc vulnérables – ici… Si la trahison des Prêtresses d’Eraïm s’avérait confirmée… La Fédération était en grand danger. Seules les douze planètes unies étaient en mesure de résister à l’Empire des Neuf Mondes et sa formidable machine de guerre.

Aioros était soucieux. Son jeune frère paraissait avoir surmonté le contrecoup de la mort de son Compagnon, pourtant il pressentait qu’il restait émotionnellement instable, même si sa rage première l’avait quitté. Aioros sentait confusément qu’un détail important lui échappait, là aussi.

–Je ne sais pas si revenir au Palais est la bonne chose à faire, disait Altaïr. Nous n’avons aucune preuve contre les Prêtresses. Et Séliné a certainement agi seule. Ce sera sa parole contre la nôtre.

–Mais je crains que mon absence joue contre moi, avança Satia en croisant les bras. Si je ne peux passer les Epreuves, il ne sert à rien de revenir sur Mayar !

–Ne peux-tu les passer ailleurs ? s’enquit Laria.

–Je n’en sais rien, avoua la jeune femme. Le Feu a toujours été intimement lié aux phénix… et donc au Dixième Royaume Mayar.

–Pourquoi est-ce si important ? demanda Altaïr, curieux. De passer ces Epreuves ?

–C’est ainsi qu’on devient un Maitre des Eléments, expliqua Laria.

–Mon père a toujours refusé que je les passe, pourtant, ajouta Satia. Il disait que c’était trop dangereux. Mais si c’est la seule solution pour que mon énergie ne soit plus pistée…

–Comment ça ?

–Chaque fois que j’utilise mon pouvoir, je peux être repérée par les sbires de l’Empire. Ne me demande pas pourquoi, mon père ne me l’a jamais expliqué…

–Tout ça me parait bien étrange, convint Laria. Tant de mystères…

–Et je ne sais plus où trouver des réponses, ajouta amèrement Satia. La Djicam Mickaëla saura me renseigner, je l’espère. Sinon…

–Ce sera dangereux.

–Raison de plus pour que j’y retourne !

–C’est le mouvement logique qu’attendent tes ennemis, continua Altaïr. L’humeur de l’Assemblée était bien différente de mes souvenirs ! Si suspicieuse… Les Djicams ont palabré des heures avant de reconnaitre que j’étais bien celui que je prétendais être. Engoncés dans leur Palais doré, ils ne se rendent pas compte de la situation catastrophique !

––Le Djicam d’Atlantis est en communication régulière avec son peuple, je peux te l’assurer ! asséna Laria.

–C’est facile pour vous, votre population est concentrée sur quelques ilots.

Mon fils, il est temps.

Sous le choc, Aioros laissa tomber son morceau de pain.

–Non, murmura-t-il, non, non, NON !

Les conversations s’arrêtèrent.

–Que dis-tu ? demanda Altaïr, perplexe.

Mais le Messager ne répondit pas. Les yeux dans le vague, il contemplait une autre réalité.

Lucas remarqua son Envoyé frappé de stupeur, la bouche à demi ouverte sur un cri étranglé, le regard fixe.

Alors il sut.

*****

Sagitta, Douzième Royaume.

L’Émissaire Matthias, quatre cercles brillant sur sa poitrine, était affecté à la surveillance du réfectoire de la garnison massilienne située à Valyar. Il était revenu de Massilia la veille pour découvrir la confusion qui régnait dans la capitale.

Les conversations houleuses tournaient autour du même sujet depuis des jours : leur Djicam, emprisonné ! Plusieurs songeaient à transgresser l’interdit formel de tout sauvetage. Alors, afin de se tranquilliser, les regards se portaient régulièrement sur Fang, la panthère argentée ailée, Compagnon du Djicam Ivan, confortablement lovée sur le dallage, pile sur le seul endroit ensoleillé de la pièce.

Par précaution, les Messagers Estios et Noram, en charge de la garnison, avaient préféré poster quelques Émissaires en faction afin de prévenir toute action dommageable pour leur réputation.

Aussi, quand la panthère ailée se mit à feuler, les oreilles aplaties en arrière, tous les regards convergèrent vers elle.

Puis le Wild s’imposa à leurs esprits, et pendant quelques minutes régna le silence, devant des Envoyés interloqués. Quand Fang s’abattit dans un dernier rugissement, les Mecers s’entre-regardèrent, sonnés et hagards.

Et le chaos se déchaina.

*****

Massilia, Neuvième Royaume, Refuge de haute-montagne.

Le Messager Aioros s’ébroua, sortant de ce qu’il aurait aimé être un cauchemar. Jamais il n’avait vécu une expérience aussi intense via le Wild.

Autour de lui, ses compagnons étaient inquiets.

–Tout va bien ? demanda Altaïr.

Lucas s’était levé. Même sans être Lié, il avait déjà compris. Il dégaina, la lame en Ilik reflétant l’orangé des flammes, tandis que leurs amis reculaient d’un pas, soudain soucieux.

Puis, dans un mouvement si fluide qu’il paraissait irréel, Lucas mit genou à terre et inclina la tête.

–Moi, Lucas sey Garden, fils d’Ivan, te reconnait comme Djicam et te prête allégeance. Mon sang et ma vie sont à ton service.

Aioros referma doucement les doigts de son frère sur la poignée de son arme.

–Puisse Eraïm nous garder d’en arriver là. Sois fort, mon frère, des jours sombres nous attendent.

Comme si la déclaration de Lucas avait été un déclic, le tumulte du Wild vint l’envahir de serments d’allégeance. Il se concentra pour n’en garder qu’un bruit de fond.

Merci, Saeros.

Laria s’était assombrie, tout comme Altaïr.

–Dois-je comprendre que le Djicam Ivan est… commença lentement Satia.

–Il a été assassiné, l’interrompit Aioros d’une voix rauque, impuissant à garder ses émotions sous contrôle. Dans sa cellule de détention. Et son Compagnon a transmis toute la scène à l’ensemble des Mecers.

Des larmes perlèrent à ses paupières, qu’il essuya d’un geste rageur. Ce n’était pas le moment. La compassion de Saeros inonda son âme. Ses frères et sœurs quelques jours plus tôt, son père aujourd’hui. Quand la douleur cesserait-elle ?

–Par Eraïm, murmura Altaïr, sous le choc. Toutes mes condoléances.

–Qui ? intervint Lucas d’une voix sourde, plus conscient que jamais de la perte de son lien au Wild.

Quelque part au fond de lui, il savait qu’il aurait dû ressentir autre chose qu’un étrange détachement. Ses émotions étaient comme atrophiées depuis la mort de Lika ; rien n’arrivait à combler ce vide dans son esprit, et tout sentiment apparaissait si superficiel en comparaison.

Aioros resta silencieux plusieurs minutes, le temps de calmer ses émotions pour se recentrer, puis considéra chacun des membres de leur expédition. La confiance, ce sentiment si versatile. Ils n’étaient pas même Massiliens. La prudence l’incitait à se taire alors qu’il avait besoin d’alliés. Et même s’il ne les connaissait que depuis peu, il leur aurait confié sa vie sans hésitation.

–Officiellement, des Faucons Noirs. J’irai demander réparation dès que possible. Le contraire serait suspect.

Après une pause, il poursuivit :

–Mais ils ont agi sur ordre… et celui-ci provenait de la Djicam Mickaëla sey Laeriam. Je suis le seul à l’avoir vue.

Lucas devint aussi blanc que ses ailes.

–Mickaëla ? Elle était l’une des rares à savoir…

–Avec notre père, oui, continua le Messager. La trahison des Prêtresses prend une autre tournure.

–Savoir quoi ? s’étonna Altaïr. Que la Durckma quittait Sagitta ?

–Pas vraiment. Ils étaient les deux seuls Djicams à connaitre ses origines, répondit Lucas.

Le jeune Pisteur fut surpris.

–Vraiment ? Pourtant notre famille a toujours gardé un œil discret sur la descendance de Félénor…

–Et comme la nôtre, elle est passée près de l’extinction, fit Lucas. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une coïncidence.

Aioros jura copieusement entre ses dents. Une pièce du puzzle se mettait en place. Il consulta son frère. Il était temps de calmer les esprits chez les Mecers, avant toute action aux conséquences irrémédiables.

Saeros, à toi de jouer.

Du calme ! Les responsables paieront pour leur crime, j’en fais serment devant Eraïm. Mais il est hors de question de faire le jeu de nos ennemis en déclenchant une guerre civile. L’Empire est la vraie menace. Restez sur vos gardes. Soyez prudents. Ne sortez pas. J’aurais bientôt besoin de vous.

Le jeune homme chancela. Utiliser ainsi le Wild était épuisant. S’il avait bien lu au travers des perceptions de Saeros, la situation était critique dans la capitale et la tension à son comble. Aioros comptait sur la discipline massilienne pour éviter tout débordement qui s’avèrerait dramatique.

–Si toutes les Seycams se montent les unes contre les autres, avec l’Empire en embuscade, nous allons droit à la catastrophe, annonça Satia, inquiète. Il nous faut agir, et vite. Je dois retourner au Palais, tant pis pour le reste. La Fédération a besoin de moi.

–Il manque donc deux Djicams à l’Assemblée, la Durckma sera portée disparue… je me demande qui tire les ficelles dans l’ombre, déclara pensivement Laria.

Un vent glacé s’engouffra dans le refuge, et les flammes vacillèrent sous la morsure glacée du blizzard malgré les épaisses tentures. Les jeunes gens, déjà sur des charbons ardents, bondirent à l’unisson.

Quatre Massiliens émergèrent des tentures, l’uniforme détrempé mais les ailes déjà exemptes de neige. Ils avaient l’air d’être connaisseurs du coin, nota Itzal en détaillant leur équipement de montagnards. Pourtant, il avait l’impression qu’il leur manquait quelque chose… quelque chose d’important, qu’il n’arrivait pas à définir.

–Des Veilleurs, murmura Lucas avec une pointe de mépris.

Surprise, Satia le dévisagea. Cette réaction ne lui ressemblait pas. Sourcils froncés, il avait posé la main sur le pommeau de son épée, et avec deux pas, s’était porté au-devant de son frère.

Avaient-ils affaire à une nouvelle menace ?

L’Atlante était sur le qui-vive, prête à dégainer ses dagues, et Altaïr s’était levé également.

Seul Aioros paraissait n’avoir pas remarqué la tension qui régnait dans le Refuge.

–Enfin je vous trouve. Ils sont sur vos traces, dit l’un des Massiliens en s’approchant.

Sa voix trahissait une fatigue extrême.

–Pas un pas de plus, intervint sèchement Lucas.

–Comment ont-ils pu nous localiser si vite ? s’étonna Aioros. Nous n’avons pas emprunté les Portes.

Le Veilleur leva les mains en signe d’apaisement face à l’attitude menaçante de Lucas, qui avait à moitié tiré sa lame.

–Réglons d’abord les convenances, si tu le veux bien ?

Il mit genou à terre et inclina la tête.

–Moi, Erwan sey Garden, te reconnait comme Djicam et te prête allégeance. L’Ordre des Veilleurs est entre tes mains désormais.

Lucas se détendit et Satia se demanda pourquoi tous ces serments étaient si importants. Jamais elle ne comprendrait totalement les Massiliens.

–Et pour répondre à ta question, la mort de mon frère t’a fait briller comme un fanal à travers le Wild. Ou penses-tu que toutes ces promesses d’allégeance servent un autre but ?

Aioros jura copieusement.

–Si j’en crois mon intuition, poursuivit Erwan, imperturbable, l’annonce de la mort du Souverain ne devrait plus tarder.

–Comment ça ? s’écria Satia. C’est impossible !

Les yeux gris du Veilleur se posèrent sur elle. Il ne semblait pas surpris de la trouver là, au milieu d’un groupe si hétéroclite, et nullement sur Mayar comme elle aurait dû l’être.

–Beaucoup de choses ont changé depuis que vous avez quitté le Palais, dit-il enfin.

–Préparez vos affaires, nous partons immédiatement, ordonna Aioros.

Lucas regarda ses compagnons s’affairer en toute hâte, un étrangement détachement l’envahissant. Tout ce dont il avait besoin, des habits et une arme, faisaient déjà partie de lui.

Au milieu de toute cette agitation, il restait planté là, calme et inébranlable. Soulagé.

Jusqu’à ce que Satia s’en aperçoive.

–Lucas ? demanda-t-elle avec une pointe d’inquiétude.

–Je reste, dit-il simplement.

Tous s’immobilisèrent.

–Comment ça, tu restes ?

Le jeune Messager sentit le désarroi de ses compagnons.

–S’ils trouvent le refuge vide, ils devineront notre fuite précipitée. Quelqu’un doit les attendre.

–Mais…

Aioros considéra longuement son cadet.

–Je peux vous faire gagner du temps. Les lancer sur une autre piste. Avec ce blizzard, ils comprendront aisément que vous êtes partis par les tunnels. Je peux les leurrer sur une autre sortie.

–Très bien, finit par déclarer le nouveau Djicam à la consternation générale. Ne prends pas de risque inutile.

Lucas salua, poing sur le cœur.

–Merci, Djicam.

Les sacs furent remplis de vivres et de tenues de rechange. Itzal et Altaïr se chargeaient du combustible – allumer un feu pourrait se révéler vital. Les Veilleurs n’étaient pas en reste, prodiguant leurs conseils et connaissances sur la montagne.

Le premier, Itzal vint auprès de Lucas.

–Que vais-je devenir ? murmura-t-il.

Avec l’aide d’Aioros, il avait noué un morceau de tissu contre sa poitrine pour transporter la petite panthère des neiges, Sibéale, encore faible. Elle ne pesait presque rien.

–Tu es toujours Envoyé, fit Lucas en posant la main sur son épaule. Tu seras mieux avec Aioros et les autres. Prends soin de tes Compagnons (la majuscule était aisément perceptible). Nous nous reverrons.

–Je l’espère, répondit le jeune homme dans un souffle avant de s’éloigner.

Sanae s’approcha ensuite, déterminée.

–Trop fatigué pour fuir, mais pas pour vous battre, hein ? (elle fouilla dans sa besace). Il me reste un dernier élixir. Prenez-le.

Lucas s’inclina profondément.

–Ma dette envers toi ne fait que croitre, Guérisseuse. Je te suis redevable.

–J’y compte bien, rétorqua-t-elle avec un sourire espiègle.

Altaïr posa la main sur l’épaule de la Soctorisienne. Les deux hommes échangèrent un long regard. Ils partageaient beaucoup de détresse – et la mort leur était familière.

Le Messager s’inclina de nouveau.

–Je n’oublie pas que j’arpente de nouveau les cieux grâce à toi. Merci.

–Nous ne t’avons pas trainé jusque-là pour que tu meures, murmura le jeune Pisteur. Si seulement Oréa avait assez de forces pour…

–Inutile d’avoir des regrets, l’interrompit Lucas. Elle nous a déjà sauvés une fois. Je n’ose imaginer la quantité considérable d’énergie que cela a dû lui couter. Elle mérite son repos.

Altaïr acquiesça avant de s’éloigner. Il n’appréciait pas la situation, c’était visible. À son tour, la Guerrière de Perles se posta devant lui.

–Tu t’arroges donc le beau rôle du soldat altruiste qui se sacrifie pour les autres ?

Lucas se contenta de hausser un sourcil.

–Je sais, je sais, poursuivit la jeune femme. Je veillerai sur elle en ton absence. N’oublie pas que c’est ton rôle et que j’ai autre chose à faire !

–Il y a différentes manières pour moi d’honorer mon serment, sais-tu ?

Laria ricana.

–Ça t’arrange bien pour le coup, n’est-ce pas ? N’en fais pas trop, ajouta-t-elle, plus sérieuse.

Elle fit demi-tour avec une désinvolture étudiée qui lui arracha un sourire.

Pleinement consciente des regards fixés sur elle, Satia s’approcha du Messager et croisa les bras.

–Tu sais déjà que je n’approuve pas ta décision ?

–Je m’en doutais, oui.

–Tu es exaspérant, soupira Satia. En tant que Durckma, mon autorité surpasse pourtant celle de ton Djicam, tu en es conscient ?

–Tu n’abuseras pas de ton autorité alors que la décision prise est la plus logique et raisonnable.

Satia grinça des dents, frustrée.

–Je ne crois pas que tu comprennes vraiment, poursuivit-elle plus posément. J’ai cru te perdre, Lucas. Y’a-t-il un sens à se retrouver, pour te perdre de nouveau ?

Avec douceur, il caressa sa joue.

–Tu ne dois pas me croire indispensable, dit-il enfin. Sois moins dure envers toi-même. Tu es bien plus forte que tu ne l’imagines.

Satia ravala ses paroles. Avait-il raison ? S’était-elle trop reposée sur lui, ces derniers temps ?

–Très bien, maugréa-t-elle. Nous verrons ça, alors.

Elle s’avança pour nouer ses bras autour de son cou et se hissa sur la pointe des pieds.

–Reviens-moi, chuchota-t-elle à son oreille.

Leurs visages étaient tout proche, réalisa Satia alors que son cœur s’emballait. Elle aurait tellement aimé… non, elle n’exigerait rien de lui. Pas maintenant. Il n’y avait que tristesse et désespoir dans le regard bleu-acier. Eraïm, comment allait-elle le sortir de là ?

–Tu sais que je ne peux te le promettre ? Je ferai mon possible.

–Je ne t’en demande pas davantage.

Satia s’obligea à composer son expression avant de rejoindre le groupe qui l’attendait ; elle passa sa besace en travers de ses épaules et vérifia inutilement ses affaires dans son petit sac. N’importe quoi pour éviter de se trahir. Elle s’était déjà bien trop exposée, si elle en croyait les regards songeurs et le sourire de Laria.

Tandis qu’Erwan, aidé par un Veilleur, ouvrait la trappe d’accès aux tunnels, Aioros s’avança vers son frère.

–Nous irons par la sortie Sud. Conduis-les dans les tunnels, leurres-les dans les impasses… Si tu arrives aux accès Nord, ils ne nous rattraperont jamais. Rejoins-nous ensuite au plus vite.

–Entendu.

–Je compte sur toi, Lucas, ajouta Aioros d’une voix sourde. Et je ne suis pas aveugle. Alors il va peut-être falloir que tu arrêtes de te voiler la face, mon frère. Reviens en vie, ou tu briseras son cœur.

Circonspect, Lucas acquiesça.

–J’en ai conscience.

–Bien. Parce que nous allons avoir besoin d’une Souveraine pleinement concentrée sur sa tâche.

******

Iwar, Septième Monde, demeure du Commandeur des Maagoï….

Esbeth s’étira voluptueusement, les draps de soie caressant sa peau nue. Les premiers rayons de l’aube se frayaient un chemin à travers les lourdes tentures des fenêtres. Quelle nuit… Aucun doute, les rumeurs étaient bien fondées. Ils ne se connaissaient que depuis peu, et pourtant, il avait su jouer parfaitement de son corps, en découvrir toutes les nuances et les harmoniques. Impressionnant, même pour elle ; il était loin d’être le premier qu’elle appâtait ainsi. Les amies qui avaient pouffé de rire à son choix deviendraient vertes de jalousie dès qu’elle aurait l’occasion d’aborder le sujet. Un sourire étira ses lèvres fines. Tout se passait comme prévu.

Un cliquetis métallique attira son attention. À côté, le Commandeur Éric bouclait son ceinturon. S’armer dans sa propre maisonnée, il n’y avait vraiment que lui pour ça. Il remarqua immédiatement son réveil.

–Il est bien tôt, ma Dame, dit-il en déposant un baiser sur son front.

–Je peux vous retourner la question… qu’y-a-t-il de si urgent pour que vous soyez prêt à partir au combat avec le lever du soleil ?

Contre toute attente, un fugitif sourire éclaira son visage.

–C’est jour de Purge, ma Dame.

Elle se redressa immédiatement, les draps s’écroulant autour d’elle en dévoilant sa nudité, l’esprit en ébullition.

–Comment ?

–Je ne saurais trop vous conseiller de rester dans la demeure.

Elle se précipita sur son communicateur, introuvable.

–Vous cherchez ceci, peut-être ? lui demanda-t-il en révélant sa main. (Eric ferma le poing, écrasant l’objet.). Quel dommage, il est inutilisable.

Elle ne céda pas à la panique, comme il eut pu le craindre. Affichant un calme de façade, elle demanda :

–Très bien, qu’attendez-vous de moi ?

–Je vous le répète : ne sortez pas. Mes gens sauront vous protéger, au besoin. L’épouse du Commandeur ne peut décemment pas faire partie du complot visant à renverser l’Empereur, vous ne pensez pas ?

Elle pâlit.

–Vous n’avez aucune preuve…

–Je ne fais qu’exécuter la volonté de l’Empereur, Orssanc lui prête sa force. Je dois avouer que votre petit groupe de dissidents nous a donné du fil à retordre…

–Et vous n’avez pas peur que je les recontacte ? dit-elle crânement.

Il esquissa un sourire qui n’atteignit pas ses yeux couleur de cendre.

–J’ai hâte de connaitre la réaction de vos « amis », comme vous dites, quand vous serez encore en vie, et eux trahis.

Elle frémit, son esprit commençant à peine à imaginer toutes les conséquences de cette journée.

Il vérifia sa mise dans le miroir en pied posté dans la chambre, ajusta son col et lissa son baudrier, puis s’inclina.

–Je vous souhaite une belle journée, ma Dame.

*****

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