# 1337 Extrait de dossier - Jour 19

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Jour 19



J'ai recommencé à manger. De toute façon, que je me nourrisse de moi-même ou pas, ça ne change rien. Je ne pense pas être déjà mort, au final. Ce doit être cette saloperie de combinaison-peau qui me maintient en vie. Quoi que je fasse. Je ne sais pas comment ils s'y prennent. C'est assez incroyable, quand on y pense. Foutue technologie. J'ai encore essayé de la retirer. Ou de l'arracher, plutôt. Mais impossible. C'est comme si elle était collée à ma propre peau. Alors je tire dessus, de toutes mes forces. Arrive le moment où la douleur est énorme, et je m'endors.

Puisque je ne peux pas me laisser mourir, autant manger. Même si ça n'a aucun goût, ça fait passer le temps. Une occupation de plus. Surtout que le livre de ces derniers jours est un véritable torchon. Une histoire d'amour insipide, sans doute écrite par une vieille ménagère en manque d'affection. Je hais les histoires d'amour. L'amour ça se vit, ça ne s'imagine pas. N'est-ce pas, Anna ? Ma belle Anna, si jeune, si pure...

Je pensais pouvoir m'évader à travers mes rêves. Sauf que j'ai eu une vision horrible récemment, pendant mon sommeil. Si horrible que j'ai peur de fermer l'œil maintenant. À tel point que je lis en boucle l'histoire niaise qu'ils refusent de me changer. J'ai beau hurler, supplier pour avoir un bouquin décent, rien n'y fait.

J'aurai quelque chose de nouveau uniquement quand ils l'auront décidé. Pas avant. Pas tant que mon esprit ne sera pas usé jusqu'à la corde. Il faut que je baisse les bras. Ils attendent que je n'en puisse plus. Et je ne dois pas non plus montrer mon enthousiasme quand un livre me plaît. Sinon, ils en mettent un nouveau sur la tablette. Mais ça, je crois que je l'ai déjà dit. Peut-être, peut-être pas. Je ne me souviens plus.

J'ai eu une vision horrible, je disais. Un cauchemar, un véritable cauchemar comme je n'en avais encore jamais fait. Il y a une fille, jeune et belle. Mais ce n'est pas Anna. Elle n'a pas ses yeux mordorés et ses beaux cheveux bruns frisés. C'est une petite blonde au sourire angélique. Je n'ai jamais trop aimé les blondes. Mais peu importe.

Elle me fixe, pendant une durée interminable. On se regarde dans le blanc des yeux, jusqu'à ce qu'elle n'en ait plus. Oui, ses yeux tombent. Ils sortent de leurs orbites et roulent sur le sol. Et la gamine continue de me fixer, avec son beau sourire. S'il n'y avait que ça, je serais vite passé à autre chose. Mais la fille s'effrite devant moi, morceau par morceau. Il n'y a rien de sanglant. Simplement sa chair qui se fait la malle pendant qu'elle garde ses orbites vides braquées sur moi. Et qu'elle continue de sourire. Finalement, il ne reste plus rien d'elle. Je ne sais pas où vont les morceaux de son corps, mais ils disparaissent. Et je me retrouve seul. Seul avec cet immonde sentiment de malaise qui ne me lâche pas.

Maintenant que je le raconte, ce mauvais rêve ne m'a pas l'air si terrible. Et pourtant... C'est étrange comme j'ai ressenti la chose. Ça s'est imprimé en moi. Rien que d'y repenser, ça me dégoûte. Alors que quand je relis les quelques lignes qui le décrivent, je me contente de hausser les épaules. Je ne dois pas être un très bon conteur. Je n'arrive pas à faire transparaître à quel point c'était immonde. Je n'arrive pas à écrire cette sensation qui me broyait le cœur. Cette nausée au réveil.

J'aimerais tellement revoir le serpent de la première fois... Ce n'était pas une bonne idée, les rêves. Je ne les contrôle pas. Je ne sais pas comment ça fonctionne. Je sais juste qu'il y a des choses enfouies en moi qui ressortent. Et c'est tout.

Dieu que je m'ennuie ! Je m'ennuie, et maintenant j'ai affreusement peur. Avant je me contentais d'attendre qu'il se passe quelque chose. Maintenant mes poumons semblent comprimés, je respire mal. Et une main invisible serre mon palpitant sans vouloir le lâcher. À aucun moment. Avec un peu de chance, peut-être que je ferai un arrêt cardiaque. Ça, ou alors une rupture d'anévrisme, ou je ne sais quelle connerie qui frappait au début du siècle. J'espère.

C'est quand même incroyable. Je suis sûr qu'ils pourraient donner envie de crever à n'importe qui en le gardant enfermé ici. Quand on en vient à vouloir mourir tant on se fait chier, on serait prêt à faire n'importe quoi pour que ça s'arrête. Pour qu'il se passe quelque chose. Mais ça, ils l'ont prévu bien sûr. Je n'imagine pas qu'on puisse leur dire non au moment du Choix. C'est impossible. Qui serait capable de supporter ça jusqu'à mourir de sa vraie mort ?

Il n'y a pas pire torture que l'ennui. Je ne pensais pas dire ça un jour. Mais même la plus grande douleur est préférable à ça. La torture de l'esprit. C'est ça, le pire. Le corps, au final, ce n'est rien. Juste une enveloppe biologique qu'on peut réparer comme bon nous semble. J'aurais préféré qu'on me torture. Qu'on me torture, et si je meurs, et bien je meurs, et si je survis, je rentre chez moi. J'aimerais tant rentrer chez moi... Ou n'importe où, mais ailleurs qu'ici. Ailleurs.

Il y a le portrait d'Anna qui me regarde. Elle me rappelle la fille du cauchemar. Je sais que ce n'est pas elle pourtant. Mais voilà, j'ai peur. Je vais l'effacer avec de l'eau. Je n'ai plus d'eau. Il faut que j'attende le prochain repas. Il faut que j'efface cette saloperie. Je ne pourrai pas fermer l'œil tant qu'il y aura cette chose sur le mur.

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