Chapitre 2  La maison dans les bois (partie 1)

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Jules et moi partîmes le lendemain en début de matinée pour la maison de feu mon oncle. Des sentiments contraires, semblables à un torrent tumultueux tour à tour brûlant et glacé, s’écoulait dans tout mon être. J’étais très excité de voir cette maison qui occupait tant mes pensées depuis deux jours et terriblement anxieux sur ce que j’allais découvrir. Cette demeure, j’en étais intimement convaincu, contenait des réponses au sujet de ma famille que je cherchais depuis longtemps, mais je redoutais aussi d’ouvrir ses portes et de n’y trouver, tel un nouvel Épiméthée, que des malheurs. J’avais le souffle court et j’essayais de masquer l’état d’énervement presque fiévreux dans lequel j’étais.

Nous sortîmes de Belfort, traversâmes le village d’Essert où vivaient mes grands-parents paternels. J’avais effectué ce trajet tant de fois étant enfant que je le connaissais par cœur. Mes parents consacraient leur vie au travail et c’est auprès de mon grand-père et de ma grand-mère, dans leur petite maison si chaleureuse au bord de la route nationale 19, que j’avais passé une grande partie de mes journées, jusqu’à ce que j’entre au Cours Préparatoire.

Nous passâmes par d’autres villages, chaque fois plus minuscules, puis atteignîmes rapidement la campagne vallonnée et boisée si caractéristique de la Franche-Comté. Nous traversions de temps à autre des villages, chaque fois plus minuscules. Jules, enfant de Paris par excellence, de ses pierres ancestrales sculptées avec le plus grand art, de ses buildings modernes, de son bitume, régalait ses yeux des belles prairies nimbées de la lumière d’or pâle d’un matin d’automne. La journée s’annonçait fort belle, comme un dernier cadeau de l’été pourtant déjà parti, avant les longs et nombreux mois de pluie, de brouillard, de bise et de ciel gris lourd qui constituent en grande partie le climat de la région.

Nous roulions depuis plus d’une demi-heure quand apparut devant nous, alors que la route avait atteint le sommet d’une colline, le village de C. en contrebas, et collé à sa droite, formant une chevelure verte étendue sur des kilomètres, le Bois Joli. Perdu au milieu de cette comète de verdure sombre, un œil d’un gris plus sombre encore, que je supposais être la demeure de mon oncle.

Nous eûmes tôt fait de traverser C. qui n’était qu’un petit bourg de 400 habitants et, peu après la sortie village, nous vîmes sur notre droite un chemin de terre, s’enfonçant dans la forêt.

Nous quittâmes la route départementale pour emprunter le chemin qui bien vite se trouva cerné de hêtres, de chênes et de hauts conifères obstruant presque totalement le ciel. Nous dûmes rouler environ un kilomètre, secoués par les cahots du sentier, quand un grand portail de fer, haut de plus de deux mètres, nous barra le passage. Nous étions arrivés aux frontières du domaine, marquées par un mur d’enceinte de pierre grignoté çà et là par les ans.

Je descendis de la voiture et m’approchai du portail. Ses barreaux rongés par la rouille dessinaient des motifs végétaux aux formes compliquées. Il ressemblait à un squelette de métal qui se métamorphosait, comme la pauvre nymphe Daphné, sous le coup d’une antique malédiction, en une plante étrange et inconnue. Il était entrouvert. Il y avait bien une grosse chaîne rouillée cadenassée à l’un des barreaux mais elle n’avait pas servi depuis des lustres. L’aspect seul du portail, les murs lépreux de mousse et de lierre, et la quasi-pénombre qui régnait dans l’endroit, même en pleine journée, auraient suffi, je pense, à dissuader n’importe quel visiteur importun.

Je poussai les deux pans de la grille qui gémirent de façon sinistre. Je ne pus m’empêcher de frissonner. Je n’étais de nature superstitieuse mais je ressentis immédiatement une espèce de répulsion, un dégoût tout droit issu de mon cerveau reptilien pour cet endroit. Les derniers mots de Me Vernier me revinrent frapper mes oreilles. Mon inconscient m’avertissait, et j’aurais dû l’écouter. Au lieu de cela, je chassai aussitôt cette impression que je jugeai stupide et infantile, mon esprit cartésien reprenait le contrôle. Je remontai sans plus attendre dans la voiture et nous continuâmes à nous enfoncer dans la Bois Joli.

La forêt disparut brusquement pour laisser place à ce qui avait dû être des années auparavant un vaste jardin à l’anglaise entourant la maison. Laissé à l’abandon, il ressemblait désormais à une friche mélancolique de fleurs, de mauvaises herbes et de plantes exotiques qui avaient miraculeusement survécu, se disputant l’espace avec le bois environnant qui, inexorablement, gagnait du terrain.

- Nous voilà enfin arrivés, s’exclama Jules. Regarde-moi un peu cette baraque !

C’était un immense quadrilatère gris que les rayons du soleil, qui avaient de nouveau droit au chapitre à cet endroit, teintaient légèrement de bleu. Aux angles de la façade, saillaient des tours au toit pointu comme on en voit sur les châteaux médiévaux reconstitués par les antiquaires du XIXe siècle. La grande porte d’entrée était précédée d’un large perron et d’un imposant escalier. Au-dessus de la porte, des armoiries sur lesquelles on distinguait encore nettement, malgré l’usure du temps, un arbre coupant la barre oblique d’un N majuscule. J’ignorais le sens de ce blason mais il ne faisait aucun doute qu’il était en lien avec les propriétaires qui avaient précédé mon oncle. Il était évident, en effet, tant du point de vue architectural que de celui de la patine des ans qui imprégnait la construction, que mon oncle n’avait pas fait bâtir la demeure et qu’elle devait remonter à la fin du XIXe siècle.

- Je suis curieux de voir l’intérieur… continua-t-il.

Je l’approuvai d’un hochement de tête. Nous montâmes les marches du grand escalier de pierre deux par deux et je sortis le jeu de clés que m’avait remis le notaire pour ouvrir la lourde porte sculptée en chêne massif. Ce fut inutile, car elle n’était pas fermée à clé, comme si d’elle-même la maison nous invitait à entrer.

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