Pouf

6 minutes de lecture

L'anniversaire de Louise était de loin l'événement préféré de celle-ci pour plusieurs raisons. La première, parce qu'elle était au centre de l'attention, ce qu'elle appréciait. La deuxième, parce qu'elle passait toujours une excellente soirée en compagnie de sa famille et de ses deux meilleurs copains. La troisième, parce que Janice, sa maman, était une cuisinière de génie et qu'elle préparait chaque année les plats préférés de sa fille pour l'occasion. Mais surtout, chacun de ses anniversaires étaient plus proche du jour tant attendu où elle quitterait enfin le cocon familial et partirait à l'Aventure (avec un énorme A). Louise avait mûrement réfléchi depuis ce matin, et avait décidé que ce jour serait aujourd'hui. Après tout, douze ans, c'était très bien pour s'émanciper, elle avait appris suffisamment de choses à l'école pour se débrouiller toute seule. Selon ses critères, bien sûr.

Louise se prépara consciencieusement dans sa chambre. Elle prit son sac à dos, et rangea dedans ce qui serait indispensable pour son voyage, comme par exemple son pyjama, une boussole, un rubik's cube... Tout en fourrant tout et n'importe quoi dans son gros sac, elle rejouait en boucle dans sa tête la scène de sa soit-disant chute. Elle revoyait la sale face de Doria, avec son petit sourire... "Raaaaah, pense à autre chose, Louise !". Elle était convaincue que c'était un signe, que le destin lui disait qu'il était temps pour elle de suivre sa voie. Et accessoirement, elle réfléchissait à la façon dont elle allait annoncer devant toute sa famille qu'elle partait sans se faire enfermer dans sa chambre à double tour pour l'éternité. Non, papa et maman ne feraient quand même pas ça... Si ? Elle savait que ce serait difficile pour eux, les pauvres avaient eu le temps de s'attacher en dix ans... Elle se dit qu'elle partirait sitôt leur avoir annoncé la nouvelle, histoire de ne pas leur laisser le temps de trop réfléchir. Elle ferait son annonce, disant qu'elle partirait le lendemain pour brouiller les pistes, prétexterait aller aux toilettes, et irait dans sa chambre prendre ses affaires. Elle se faufilerait par la fenêtre, à la faveur de la nuit... Elle se sentait déjà l'âme de Zoro !

Entendant son père accueillir les premiers invités, elle cacha son sac plein à craquer sous son lit, enfila la robe bleue promise, et des baskets pour courir vite au moment de s'enfuir. Elle avait prévu un pantalon et un tee-shirt pour se changer quand elle serait assez éloignée de la maison. Elle était prête.

A l'image de son petit monde, Louise avait une petite famille, mais qu'elle aimait de tout son coeur. Tout le monde était venu. Les parents de sa mère, Marina et Xavier, étaient aussi gâteux avec elle et ses deux cousins que ceux de son père, Vincent et Blue. Le papa de Louise était fils unique, mais Janice avait deux soeurs, Kayle et Solène. Kayle était la plus jeune des trois. Assez introvertie, elle ne parlait pas beaucoup en règle générale, mais c'était elle, plus que son père (on disait qu'il passait ses nuits a lire et ses journées à jardiner... parfois l'inverse) qui avait transmis à Louise l'amour de la lecture. Bien sûr, elle ne prévoyait pas que Louise voudrait s'enfuir pour vivre comme les héros de ses histoires préférées... Solène ressemblait plus à Janice, bavardes et rieuses l'une comme l'autre, elles formaient un trio de cris et de rires infernal avec Julia, l'épouse de Solène. Pedro et Rose avaient pris de leurs mamans le meilleur : leur gentillesse. Selon Louise, c'était pas plus mal qu'ils ne soient pas aussi bavards, cette famille était déjà assez bruyante comme ça. Il faut dire qu'elle même n'était pas en reste... en temps normal. Là, elle était trop stressée pour rire avec eux. A les voir tous ensemble se raconter des blagues et rigoler, elle se rendait enfin compte que l'idée de les abandonner la mortifiait.

Tous ces gens avaient apporté d'énormes cadeaux, y compris Marin et El. Mais les cadeaux, Louise ne s'en préoccupait pas, elle savait que si elle partait ce soir, elle n'en profiterai pas. Elle mis quand même avec joie le pendentif en forme d'étoile que lui offrirent ses parents. "C'est toi notre étoile, ma chérie." Son père était un grand sentimental, mais Louise en avait carrément les larmes aux yeux. Non pas parce qu'elle était touchée par leur affection, comme ils le pensèrent, mais parce qu'elle culpabilisait pour ce qu'elle allait leur faire. Et parce qu'elle les aimait, ressentait leur absence comme si elle n'était déjà plus là. Elle avait l'impression d'être un fantôme qui restait trop longtemps à hanter les lieux. Il était temps pour elle de s'en aller.

Le dîner se déroula comme tous les ans : entrées, plats, desserts, remerciements à la cuisinière... L'ambiance générale était aux rires, mais Louise avait les yeux dans le vide et le cœur qui tambourinait trop fort. Qu'allait-elle leur dire ? Elle qui n'avait peur de rien, elle qui voulait affronter tous les dangers, elle n'allait quand même pas se dégonfler ! Avant de changer d'avis, elle se leva de sa chaise brutalement pour faire son annonce, surprenant Elena, assise à ses côtés, qui la coupa dans son élan :

- Lou, ça va pas ?

- Je... Louise baissa les yeux vers sa meilleure copine depuis la garderie, sa gorge se serra. Je vais aux toilettes. J'ai mal au ventre.

- C'est parce que t'as rien mangé... je peux prendre ta part de gâteau ? intervint Marin en fixant le bout de gâteau au yaourt abandonné dans son assiette. C'était son dessert préféré habituellement.

- Vas-y, j'ai pas faim.

Louise se rua dans sa chambre, laissant ses amis un peu surpris à table. Les rires continuaient à résonner dans la salle à manger. Elle sortit son sac de sa cachette, le posa sur son lit. Il était vachement lourd ! Elle s'assit, réfléchit... Elle s'en voulait de les abandonner de cette façon, ils allaient avoir peur, appeler la police, croire qu'on l'avait kidnappée... Mais elle avait pris sa décision et c'était inimaginable pour Louise de revenir en arrière. Son destin l'attendait. Elle ne devait plus tarder. Louise se leva, se regarda dans la glace. Voilà, c'était cet air déterminé qu'elle devait avoir. Elle était déterminée. Elle allait le faire, partir d'ici, voir plein de choses, vivre son aventure. Elle parcouru la chambre, la balaya du regard. Ce mic-mac d'objets allait lui manquer aussi. Elle ne pouvait décemment pas emporter ses livres, ni son lit... Elle se glissa par la fenêtre. C'était facile, elle l'avait fait tellement de fois. Sa chambre était au rez-de-chaussée et donnait sur le jardin. L'air était juste assez frais pour être agréable sans choper un rhume, et le ciel parfaitement clair était éclairé par la lune blanche. Elle marcha un peu, regarda tendrement les coquelicots que son père adorait faire pousser. Juste avant de partir pour de bon, elle se rendit compte qu'elle avait oublié quelque chose. Son sac.

- Mais quelle bécasse ! chuchota-t-elle.

L'étourdie allait repasser par la fenêtre, quand quelque chose de froid et doux s'enroula autour son pied gauche. Encore.

Quelques secondes passèrent, pendant lesquelles Louise eut tout le loisir d'admirer l'espèce d'amas de... plantes ? formant une main, tandis qu'elle essayait de s'en extirper. Soudain, elle sentit sa jambe gauche se dérober sous elle, son corps entraîné à la suite. Elle se retrouva suspendue la tête en bas. Louise se dit qu'il fallait évidemment qu'elle porte une robe le soir où elle se faisait attaquer/kidnapper/assassiner par... quoi d'ailleurs ? Sa robe verte, certes très jolie mais peu pratique dans ce genre de situation, s'était en partie retournée, lui empêchant de voir quoi que ce soit. "La honte, on va voir ma culotte", pensa-t-elle stupidement.

Doucement, ce qui lui tenait le pied commença à la faire tournoyer dans les airs. Louise, qui ne voyait toujours rien, sentit par contre l'air frais sur ses jambes et la nausée lui monter dans la gorge. Elle tournoya de plus en plus vite, se sentant au milieu d’un concours de lancer de poids, sans être le lanceur. Juste au moment où elle se dit que son cœur allait lâcher et son estomac ressortir par sa bouche, la chose qui s'amusait à la prendre pour un hochet... la lâcha. Elle entendit un « Pouf » étrange, signalant peut-être que l’expéditeur avait disparu, pendant qu’elle s’envolait dans le ciel avec la grâce d’une boule de bowling beaucoup trop rapide. Au moins sa robe se remit dans le bon sens, la jeune fille fonçant tête en avant. Elle put admirer à loisir la terre, le ciel étoilé, sa maison devenant de plus en plus minuscule. Comment se faisait-il qu’elle arrivait à bouger la tête ? Elle pensa à sa famille, ses amis, espéra que les coquelicots de papa seraient les seuls témoins de ce kidnapping ridicule. Alors que son corps traversait les nuages humides, sa conscience s’éteignit, et c’est évanouie que Louise entama l’aventure qu’elle avait attendue toute sa vie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Terrienne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0