6 . Half-Blood

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- Gealdýr . Jötunheimr -

Ainsi, il a osé. Tout m'apparait clair, plus vif et plus immonde.

Iain MacRuari est en réalité plus félon que jamais et je m'en veux d'avoir songé un seul instant à lui accorder le bénéfice du doute. Hier encore, j'étais celui qu'il présentait comme son héritier et voilà qu'aujourd'hui, je me révèle être son passe-droit.

J'irradie d'une colère que je contiens très mal :mes gestes sont mécaniques, reproduisant un rituel si peu commun avec celui auquel j'ai pu procédé au Sidh durant des millénaires.

Ce monde est abject, faux et inconstant. Ses habitants,la pire des engeance. Même les enfants du Sidh en viennent à salir les plus anciennes de leurs traditions.

Iain croise mon regard, mais m'ignore proprement en se concentrant sur celui qui lui fait face, Lloyd O'Riyerdan.

Je me mords l'intérieur des joues et tente de calmer les fracas qui assourdissent ma poitrine. Tout menace de voler en éclat. Je ne supporte plus cette comédie, je refuse d'être le jouet de cette politique, de ce plan mit en place à mon insu.

J'imagine aisément que les mots prononcés par ma sœur quelques heures plus tôt se référait au moment où je prendrais connaissance des véritables buts de notre père :

« Tu n'as pas le choix ».

Iain compte retrouver son fief, certes, mais il n'a aucune intention de me faire monter sur son trône.

La place que viennent de lui octroyer Jaïli et Eïre O'Riyerdan dans cette cérémonie en est la preuve plus que flagrante.

Je ne suis pas d'ici. Je n'ai pas plus de lien direct avec Ionis Mor qu'avec le premier Tomas MacRuari, je suis un étranger. Ce qui n'est pas le cas de Iain.

Il devait fournir un héritier mâle afin d'avoir une chance de recouvrer ses droits.

Je prends conscience de ma valeur à leurs yeux.

Mon sang.

Le sang de ma mère. Celui de la Déesse. C'est tout ce que je suis pour eux.

Le dernier descendant mâle de la Déesse. Un demi-dieu.

Aucun autre bâtard n'aurait pu prétendre à une telle légitimité auprès des clans elfes.

Ils encensent les vieilles traditions tout en les pervertissant. Ils vénèrent la pureté du sang. La divinité, tout en s'arrogeant aux mœurs d'une humanité vacillante.

Je ne suis ni plus ni moins qu'un vestige issu de l'ancien monde que mon père s'évertue a exhiber dans l'espoir que cela lui octroie les faveurs des nobles immortels.

Et cela à visiblement fonctionné.

Le dégout rend mon estomac acide et mon corps entier se trouve tendu de rancœur.

Soudainement, des picotements familiers ressurgissent au bout de mes doigts. Cette impression est similaire à celle j'ai éprouvé dans le hall quelques heures plus tôt.

Je reporte mon attention sur homologue dissimulé sous un masque de bois. Je considère les mains étroites quittant mes doigts crispés sur ma coupe. La sensation de chaleur me flatte encore l'épiderme une fois libéré, à l'instar d'un pouls, un écho...

J'ignore qui se trouve en face de moi. Si j'en crois l'ordre de succession des protagonistes de cette procession, ce devrait être Dareen O'Riyerdan. Mais pour avoir eu cette créature face à moi en début de soirée, je suis certain de ne pas me tromper en affirmant qu'il ne s'agit pas de lui.

Sa taille d'ailleurs, ne saurait me tromper. À moins qu'il n'ai perdu vingt centimètres en moins de deux heures.

Je sens une pression discrète sur le bout de mon pied.La silhouette qui me fait face cherche à me faire passer un message. C'est alors que je réalise avoir vidé le contenu de mon calice, brisant ainsi la chaine de l'échange pour mon futur partenaire.

J'accroche le regard noisette derrière le masque de bois, il semble figé sur moi, nos mains étreignant la même coupe,et je l'interroge dans le silence de ma pensée.

Qui es-tu ?

Je n'ai pas le loisir de poser ma question que la ligne de mon homologue se brise au moment où Lloyd O'Riyerdan se détourne d'un pas pressant.

Des murmures fendent la foule qui observe et je constate le sourire satisfait de mon père pendant qu'il observe le dos de l'elfe aux cheveux blancs s'éloignant avec rage.

Le rituel s'interrompt brusquement.

Eïre fend le cortège et s'élance derrière son descendant. Le silence est brisé par la voix froide de Jaïli :

— Dispersez-vous, la cérémonie est ajournée.

Je suis abasourdi de la conduite de Lloyd O'Riyerdan. Briser ainsi la chaine durant un rituel sacré est de l'ordre du blasphème. C'est comme s'il crachait au visage de la Déesse. Et tout cela pour quoi ? Son égo ?

J'inspire pour me contenir et m'apprête à en apprendre plus sur la créature qui me faisait face. Je constate alors sa silhouette qui disparaît à la suite du cortège pour mieux se fondre entre les corps.

Je m'avance pour rejoindre la cohorte au moment où ma sœur se met devant moi :

— Tu comptes nous fausser compagnie ?

— Le spectacle est terminé, non ?

— Père ne sera pas ravi de ta désertion lorsqu'il aura achevé de blâmer le comportement de O'Riyerdan auprès de son aïeule.

Avisant mon père en grande conversation avec la Dame O'Riyerdan, je réponds avec sarcasme.

— Il aura au moins une bonne raison de vagir...sur ton épaule.

— Charmant.

Je hausse les épaules avec indifférence, avant de m'éclipser discrètement pour m'enfoncer dans la foret attenante.

Un moment de solitude, c'est tout ce dont j'ai besoin.

Je marche un long moment avant de ne plus percevoir les éclats de voix de Iain. Je pénètre toujours plus loin dans les sous-bois pour tenter d'atteindre l'apaisement qui me manque depuis de plusieurs semaines.

Ce cadre me donnerait presque l'illusion d'être rentré chez moi... Ce foyer, ce lieu qui m'est désormais interdit. Par sa faute... Lucifer m'a dépossédé de tout ce qui faisait ma vie et je le hais avec tant de force pour cela.

J'ai parfois l'impression de le sentir près de moi.Tapi dans le noir. J'ignore cette sensation lorsqu'elle m'étreint car je ne veux lui offrir aucune raison ou aucune occasion de me croire enclin à écouter ses regrets nauséabonds.

Pénétrant dans une autre clairière, je perçois un mouvement sur ma droite. Loin dans l'ombre, sous le couvert des arbres, au delà de l'éclat du parasélène.

Non . Ce ne peut pas être lui. Quelque chose heurte violemment l'intérieur de ma cage thoracique, mon souffle s'éraille.

Une silhouette s'extirpe lentement d'entre les arbres. Je fronce les sourcils. On dirait un vieillard encapuchonné à la forme courbée. Un sourire malsain se dessine sur le bas de son visage. C'est au moment où je perçois ses yeux que je réalise.

Deux iris aux teintes différentes. Nul besoin de l'éclat de la lune pour les distinguer. Ma vision n'a rien de comparable aux limites humaines.

— Tu n'es pas celui que tu prétends être,assène-je.

Il se redresse lentement, conservant son rictus au coin des lèvres, sa stature devient celle d'un elfe qui n'est bien plus familier. À la différence qu'il n'est pas tout à fait le même que celui que j'ai rencontré quelques heures plus tôt.

— Tu es perspicace MonSeigneur.

— Gwendal. Je ne suis le seigneur de personne.

Dareen apprécie une moue que je ne parvins pas à définir :

— C'est vrai. Mais très bientôt tu seras roi.

— Un vœu qui n'est pas le mien.

J'ignore pourquoi je lui confie cela. Je n'ai rien à justifier, mais je n'apprécie par que mes ambitions soient confondues avec celle de mon géniteur.

Dareen ne répond rien, mais le mépris semble flirter sur ses lèvres. Je ne m'en formalise pas et change de sujet :

— Ainsi, tu as le don de métamorphose ?

— Nullement. Si tu avais mieux observé, tu aurais remarqué... je me vêt simplement de ce qui m'entoure.C'était une illusion et rien de plus.

— Comme en ce moment ?

Son visage est exempt de la moindre cicatrice et ses cheveux sont plus courts et d'un blond doré. Ses yeux demeurent les mêmes, ainsi j'ignore s'il s'agit d'un héritage démoniaque de sa mère. Je n'ose pas le lui demander.

— Non, déclara froidement Dareen, ceci est un vestige du passé.

C'est donc à ceci qu'il ressemblait, avant. Avant qu'il ne soit punit et défiguré par un ange.

Selon les quelques rumeurs auxquelles j'ai pu prêté l'oreille Dareen O'Riyerdan aurait été maudit par l'archange Mick alors qu'il était enfant, cela, par la volonté de son père.

Le mirage disparaît soudainement et le sang-mélé redevient celui qu'il était. Ses cheveux noirs cascadent à nouveau sur ses épaules et ses yeux sont enrobés dans un écrin de chair peint..

— Mais on ne peut tromper longtemps sa vérité.

— Ce doit être..

— Ne te sens pas obligé de faire preuve de pitié, pas plus que de me faire la conversation.

Je ne m'étonne qu'à moitié de l'inimitié que je semble lui inspirer. Après tout, je ne suis qu'un étranger et mon père semble avoir beaucoup d'ennemis alentour, à commencer par le père de Dareen O'Riyerdan lui-même.

Je suis un bâtard surgit du Sidh certes, mais l'hybride qui me fait face est à peine plus légitime que je le suis.

Il serait le fruit d'une union malheureuse entre un grand seigneur elfe et une démone skall.

Une union malheureuse. C'est ainsi que les immortels qualifient le viol d'une inférieure.

Les on-dits de la suite de cette histoire m'ont fait froid dans le dos. Une fois que la créature aurait enfanté, Lloyd lui aurait tranché la gorge avant de jeter la malheureuse dans un fossé.

C'est une histoire plus cruelle que malheureuse.

Les skalls sont des êtres pacifiques, injustement affiliés aux démons de par leur apparence singulière.

Je prends conscience de la façon dont Dareen doit me juger, aussi hautain que nos pairs.

— Je n'éprouve nulle pitié à ton endroit, tu te méprends sur ma personne. Mon intention n'a jamais été de t'insulter. En aucune manière.

— Le protocole voudrait pourtant que je me prosterne devant toi, simplement à cause de ton nom, de ton sang. Je trouve étrange que tu ne cherches pas à me faire payer mon insolence.

Je sourit :

— Je gage que tu n'as guère participé au rituel en raison de ton aversion pour les faux semblants. Je ne suis pas plus courtisan de ces simulacres, j'apprécie le fait que ton seul défaut soit ton honnêteté.

Dareen hausse un sourcil et pince sensiblement les lèvres en une attitude proche du mépris :

— Tu as pourtant accepter de parader pour servir des intérêts politiques plus que discutables.

— Être exposé telle une bête de concours ne fait pas partie de mes fantaisies, mais cela ne signifie pas que j'ai eu le choix.

Je réalise pleinement ma contradiction, lorsque j'affirmais à ma sœur tout le contraire de cela. Me serais-je tant fourvoyé ?

— La notion de choix est discutable, réplique le sang-mêlé.

L'hostilité demeure manifeste sur la figure de mon interlocuteur. Cela me ramène une fois de plus à ma condition d'étranger et à ma solitude. Je ne suis pas le bienvenue ici.

Je m'écarte pour dépasser l'hybride et poursuit mon chemin dans la nuit.

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