5 . Ritual

9 minutes de lecture

- Wardruna . Kvitravn -

Je trouvais l'idée simplement ridicule. Certes je voulais éviter Ayn et ses manigances mais pas au point de rester cachée toute la nuit. C'est pourtant ce que Dareen me proposait.

Je m'étais discrètement éclipsé, à son grand dam,dés lors que j'avais senti la présence de Lloyd dans les parages,me faufilant le long de la table avant de rejoindre le hall. Personne ne s'en était aperçu.

— Ce sera pire une fois que Lloyd t'aura débusqué, argumenta Léandre à l'attention de son cadet.

— Si tu me dénonces, c'est certain ! rétorqua Dareen.

Son frère leva les yeux en réponse :

— Tu sais parfaitement que je ne ferais jamais cela !

— En attendant la cérémonie va commencer et il serait temps de vous décider, s'en mêla Taerrence.

— Je préférerais y assister de loin, admis-je.

— Elle ne va pas te mettre un prétendant dans les pattes en plein office Kay !

— Tu ne vis pas avec elle, tu ignores ce dont elle est capable !

Mon frère soupire en balançant les mains en l'air :

— Faites ce que vous voulez, en attendant, si cela ne vous fais rien, ma femme m'attends.

— Certes, elle doit périr d'ennui sans toi, se moque Dareen.

Tae l'ignore et nous abandonne dans la réserve adjacente aux cuisines où nous avons trouvé refuge.

— Dareen, reprends très sérieusement son ainé,si Lloyd ne te vois pas durant le rituel, tu sais ce qu'il risque de faire.

— Il trouverait une autre excuse pour me châtier. Pour cette raison, je ne vois pas ce qui me forcerais à lui obéir.

— Je ne sais pas... l'instinct de conservation peut être, ironisa Léandre.

— Va te faire voir, Tu es le pire de...

Je bouscule mon impétueux cousin pour tenter de le tempérer :

— Dareen ! Tu..

— Et bien, tu à l'intention de te mettre de son coté ?

Il me dévisage avec douleur.

— J'essaie d'être rationnelle.

— Dareen, tonne la voix de son frère, je ne dis pas cela pour te faire du mal, je t'aime et je...

— Pas un mot de plus, tempête le cadet en plongeant ses prunelles assassines dans celle de son interlocuteur,tu seras bientôt parti, avec elle... alors ne viens pas arguer detes sentiments pour moi quand tu as toujours dénié tes serments.

Léandre reste sans voix. Mes doigts remontent sur l'épaule de mon cousin en vue de l'apaiser mais il reflue brusquement en arrière avant de s'enfuir par la porte. Nous entendons ses pas résonner dans les couloirs jusqu'à ne plus percevoir aucun son.

Je croise une paire d'yeux verts, Léandre rentre sa tête entre ses épaules, mal à l'aise.

— Bien, je suppose que tu restes en arrière également.

— J'ai une meilleure idée.

Léandre arque un sourcil.

— Il va me tuer.

— Il ne dira rien.

— Il saura que ce n'est pas lui, regardes toi,tu es aussi grande qu'une naine.

Je lui arrache le masque de bois sculpté des mains et rabat mon capuchon au dessus de ma tête avant d'harnacher ma figure de mon déguisement :

— Aux yeux de tous, Dareen sera présent, chacun ignorera que c'est moi derrière le masque, je porte ses couleurs.

Je tapote le bois pour illustrer mes paroles.

— Lloyd saura, comme toujours, comme il a perçu la présence de Dareen sous la table du buffet.

— Il sera peut être indulgent, cette fois ci.Officiellement Dareen ne lui aura pas fait subir d'humiliation publique en brillant par son absence.

— Indulgent ? Tu connais si peu ton oncle ?

— Tu remarqueras que c'est la conversation la plus longue que vous ayons jamais eu cousin, dommage qu'il s'agisse là d'une dispute.

Il lève les yeux au ciel et crispant la mâchoire sur un sourire naissant. J'ai un talent naturel pour dévier les conversations, cela il ne peut me l'enlever. Il donne un coup de menton dans ma direction :

— Cache tes cheveux.

La nuit touche presque à sa fin. C'est le moment propice pour commencer la cérémonie. L'instant où l'ombre et la lumière s'effleurent comme la terre des humains celle de nos ancêtres, les Tuatha De Danann.

Je n'ai jamais vu le Sidh, je suis née ici et j'ignore tout de l'ancien monde. Seulement que c'est là d'où nous venons, où s'ancrent nos racines.

Je suis Léandre sur le sentier pavé de pierres réservé aux O'Riyerdan. Il s'efforce de dissimuler la nervosité que lui inspire notre future mascarade. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour sentir sa peur.

Mon plan est des plus simples et son attitude ne m'aidera pas à le rendre crédible. Usurper la place de Dareen afin de faire illusion devant toute une assemblée de convives, sauver la face de Lloyd et, si possible, éviter une sévère réprimande à mon cousin pour manquement à son devoir de présentation.

Ayn sera certainement furieuse de mon absence, mais je me fiche éperdument de ses futures réprimandes. En vérité, j'espère même éveiller sa rage.

Du reste, elle se contentera de me sermonner et ce n'est rien en comparaison de ce que Lloyd est capable d'infliger à sa progéniture.

Nous nous plaçons en demi cercle, Léandre à mon coté. Luaith se trouve sur sa gauche et Lloyd tout au bout, proche de nos aïeux, Eïre et Jaïli O'Riyerdan.

En un peu plus de trois siècles ce doit être la seconde fois que j'aperçois cette dernière. Elle est la mère naturelle de mon père. Tuathal. Selon la légende, elle a abusé d'un archange et de cette union contre-nature est né mon père. Peu après sa naissance, elle s'est empressée de le laisser aux bons soins d'une elfe de Sarth.

Le seul héritage qu'elle lui ait légué en l'abandonnant, fut le prénom qu'il porte aujourd'hui.

Il n'en parle jamais. Certes, élevé par les doyennes de Sarth, il n'a jamais manqué de rien, mais l'incompréhension imprègne encore grandement son esprit et la rancœur est le seul baume qu'il ai jamais connu pour s'expliquer cette désertion maternelle.

Jaïli est une créature discrète, avare en paroles,ses apparitions publiques sont rares et sa beauté froide la rend presque inaccessible. Je la vois seulement communiquer avec son époux. Chaque fois que ce dernier la regarde, je peux observer toute l'admiration et la tendresse qu'il éprouve à son endroit et je m'interroge sur les raisons la poussant à multiplier les amants.

Sur la véritable raison de ce détachement apparent.

Lorsque je la dévisage, je ne peux m'empêcher de trouver les similitudes dont mon père a hérité. Là que je perçois la douceur inscrite au fond de ces yeux clairs. Là où sommeille une plaie jamais refermée.

Je me questionne alors sur celle qui hante Jaïli O'Riyerdan.

Un second cortège de personnes arrive dans la clairière où nous venons de prendre place. Il se scinde en deux et trois personnes se détachent pour rejoindre nos hôtes quand le reste de la foule se tient en retrait.

Eïre s'avance au centre, imité par Jaïli, puis chacun tend le bras extérieur en direction d'un groupe. Lloyd rejoint son parent quand un elfe imite sa démarche pour rejoindre Jaïli.

Je le reconnais vaguement. C'est le prétendant au trône MacRuari. Ce clan a jadis été déchu, car leur ancêtre, Ionis Mor, s'était parjuré.

À présent, Iain MacRuari tente en vain de recouvrer ses droits, et ce, depuis de nombreuses décennies.

C'est seulement récemment et avec le concours de Eïre O'Riyerdan ; l'un des seul a pouvoir lui octroyer le pardon,qu'il est parvenu à légitimer sa présence aujourd'hui.

Mais ce serait sans compter les manœuvres politiques de Lucius Daas, le vampire, qui s'évertue à faire pression sur les autres clans elfes afin de récupérer le fief des MacRuari. Un bien qu'il se disputait déjà avec Ionis Mor du temps de sa jeunesse.

La décision finale est pourtant revenue à Eïre et Jaïli et cela ne laisse rien présager de bon pour le vieux vampire.

Je sens soudain Léandre se raidir à mon coté. Enlevant la tête, je discerne le pincement de ses lèvres et ses yeux écarquillés à la lueur des torches.

Jaïli vient de tendre une coupe en bronze au seigneur déchu. C'est là le signe qu'elle lui donne son aval afin de présider le rituel avec eux. Je ne regarde même pas Lloyd, je sais pertinemment qu'il doit bouillir de rage à cette idée.

Nous célébrons ce soir notre entrée dans l'ère la plus chaude de l'année. Demain verra le théâtre d'un hommage à la Déesse, nous devons honorer cette période qui dessine l'apogée dela nature et de sa fertilité, quand demain verra le déclin et la venue de la saison morte.

Nous symbolisons ce moment par le partage en échangeons des coupes d'hydromel et de plantes sacrées. Cette tradition nous rappelle à nos racines, notre lien à la déesse, qui, bien,qu'établie dans un autre plan, continue de régner sur le Sidh depuis la création des mondes.

Avant le mariage de Tae, nos parents nous avaient initiés à ces rites et nous le pratiquions chaque année. J'ai toujours été fasciné par les subtilités inhérentes aux rudiments de cette coutume sans pour autant en saisir toute l'essence.

Je me suis toujours figuré que cela était dû à ma méconnaissance du monde derrière le voile. Si un jour je parvenais à passer de l'autre coté, même pour un instant...

Une légende prétend que si l'on marche sur du millepertuis le soir du rituel, nous nous retrouvons propulsé au royaume des Tuatha De Danann. Je n'ai jamais pu le vérifier.

Mon frère et son épouse surgissent soudainement de la foule restée en retrait et viennent se poster à la suite de la colonne formée par le seigneur MacRuari. Constantine est quelque peu échevelée, sans parler de l'état de Taerrence. Je gage que leur retard est bien justifié et me retient de rire sous mon masque.

Nous commençons à avancer et durant les minutes qui s'ensuivent, nos deux rangées se croisent et s'échangent calices et regards dans une communion des plus cordiales.

Lorsque je parviens à Tae, il me reconnaît instantanément. Ses lèvres s'entrouvrent aussitôt et je le sens sur le point de trahir. Aussi, mon pied vient-il discrètement mais fermement écraser le sien afin de lui intimer le silence. Ses pupilles s'agrandissent durant une fraction de seconde, me signifiant toute la désapprobation que cela lui inspire.

Je m'empresse de récupérer sa coupe avant de lui remettre la mienne et redresse très sobrement mon masque afin de boire une gorgée.

Je passe ensuite à Constantine, fort amusée par la situation, elle lance une œillade affectueuse à son époux. Tae se renfrogne de constater qu'elle ne me blâme en aucune manière.

La procession se poursuit et je sens le regard oppressant de mon frère durant de longues minutes. C'est seulement au moment où Constantine lui donne une furtive tape de la main sur l'épaule qu'il finit par regarder devant lui.

Je réprime un sourire quand la chaleur de deux mains se referment autour des miennes. Des frissons dévalent mon dos, me surprenant assez pour que je manque de lâcher ma coupe, mais les paumes de mon homologue pressent fermement mes phalanges contre l'acier. Je relève la tête.

C'est un elfe, grand, aux épaules carrées. Il ne me regarde même pas. Son visage est fermé, presque animé d'une fureur contenue et son attention est dirigée loin sur sa droite.

Je tente de reprendre mon calice et il baisse les yeux sur moi. La couleur de ses iris hésite entre le gris et le bleu je ne saurais en être certaine à la lueur des flambeaux.

Ses doigts se détachent lentement des miens et récupèrent ma coupe pour en boire le contenu d'un seul trait. Je suis bien en peine de l'imiter car il ne semble pas être en possession de la sienne. Il se baisse alors pour récupérer cette dernière posée au sol et me la présente.

Je m'en saisis sans le quitter des yeux, ma peau résonne encore de son contact et je m'efforce de n'en rien montrer.

Ma gorge demeure sèche lorsque le liquide coule dans la gorge et une impression singulière frémit sur mes lèvres au contact de l'acier.

Le temps se suspend. Un instant. Puis les iris clairs se détachent de ma personne pour retrouver leur éclat meurtrier en trouvant la silhouette d'un autre, toujours sur sa droite.

Iain MacRuari.

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