4 . Indiscretion

9 minutes de lecture

- Mumford & Sons . Broken Crown -

Le domaine s'étend à perte de vue, l'envie de me perdre dans l'ombre des fourrés agace prodigieusement mon esprit éprouvé. Je demeure pourtant figé sur ce balcon à observer la beauté de la nuit, l'immense astre lunaire au dessus de ma tête.

Soudain, je perçois des sons étouffés sur ma droite.Je me concentre et tend l'oreille afin d'entendre clairement. Une conversation, des chuchotements, une peau effleurée.

— Reste encore un peu.

C'est la voix d'un homme, suppliante.

— Je ne peux pas, il m'attend.

Un baiser, un souffle empressé. J'ai brusquement le sentiment que je ne devrais pas être en train d'écouter cela.

— Je sais... Constantine, tu me manques tellement... mon amour.

Des amants. La détresse et la frustration tapisse les murmures. Le corps plaqué contre une paroi et les gémissements qui s'ensuivent achèvent de me convaincre de cesser là mon indiscrétion. Je quitte la terrasse pour rejoindre les festivités.

C'est un chaos de rires et de bavardages épuisants. Un mélange de couleurs et de flous dénué de sens. Je ne ressens rien à cette vision. Je n'éprouve plus grande chose à vrai dire. Plus depuis que j'ai appris la vérité.

Je suis prisonnier d'un monde déraisonnable aux codes moraux aliénés, forcé de feindre chaque émotion pour le plaisir d'autrui, pour la gloire d'un autre, quand je n'aspire qu'à retrouver la chaleur des terres dont j'ai été banni.

Il n'y a aucun signe de ma famille ou de notre hôte,j'en déduis qu'ils doivent certainement être en train de discuter de l'avenir du fief MacRuari. Mon avenir. Celui auquel je n'entends rien.

En balayant la pièce du regard, je remarque un homme près de la table du buffet. Il tapote nerveusement le plateau. Il n'est ni elfe, ni sang-mélé, comme la fille que j'ai aperçu un peu plus tôt. Intrigué, je m'apprête a aller lui demander ce qu'il est quand une voix de femme assourdie parvient de sous la table

— Fais un effort Taerrence.

— C'est ridicule, répond le concerné avec agacement.

Il peine clairement à conserver un air naturel.

— Cela te va bien de dire cela, tu es marié.

— Tu n'as qu'a dire à Ayn que tu refuses une bonne fois pour toute.

— C'est ce que je me tue a lui dire, mais elle n'écoute pas, ricane une seconde voix masculine.

Combien sont-ils là dessous ?

— Tu ne m'aides pas Dareen, se plaignit le dénommé Taerrence.

— Je ne vis que pour te servir, ironisa ce dernier.

— Cela suffit, repris la femme, Tae contente toi de la faire partir.

— Je continue de trouver cela absurde.

À ce moment précis, Taerrence se fige, ses yeux me fixent emprunts de la plus grande détresse.

— Il y a un problème.

— Qu..

— Nous sommes repérés.

Alors que je m'imagine être responsable de sa détresse, une haute silhouette surgit dans mon dos en manquant de me bousculer pour fondre sur Taerrence. Ce dernier se racorni sur place,terrifié.

Celle que je suppose être Ayn est une femme assez grande, parée d'une longue chevelure blonde, coiffée avec sophistication. En découvrant son profil, je reconnaît une créature aux traits sublimes mais à l'affirmation sévère et impatiente.

— Ayn, quelle bonne...

— Cesse tes politesses sournoises, je cherche ta sœur !

— Je... je ne l'ai pas vue.

Sans trop analyser mes raisons et craignant le pire, je décide d'intervenir. En m'avançant vers la table pour y saisir un verre, je me retourne ensuite abruptement sur ladite Ayn en feignant la pire des maladresse, répandant mon breuvage sur le lin de sa robe.

— Oh non ! m'écrié-je.

La femme m'expose une paire d'yeux courroucés dont la nuance n'est pas sans m'évoquer celle de Iain McRuari :

— J'espère ne pas avoir trop endommagé votre...

Elle peste avec morgue en me poussant pour se saisir d'une serviette et tenter de limiter les dégâts, ce qui s'avère pire que tout :

— Je vous croyais plus adroit MacRuari, étant donné les louanges que votre père ne cesse de dispenser à votre endroit depuis plus d'une heure.

Je lui tend un second linge qu'elle m'arrache presque des mains pour mieux empirer la condition de ses atours :

— Mon père est tout à fait dans la démesure.

— C'est pour cette raison que les MacRuari sont et demeureront un clan petit et isolé.

Je souris, profondément amusé par sa piètre tentative d'humiliation. Elle jette sa serviette avec rage sur le plateau du buffet avant de lancer à Taerrence :

— Trouve ta sœur, je reviens !

Elle rejoint un elfe au port distingué et à l'allure travaillée, posté à quelques mètres en amont de la foule.

Peu après qu'elle se soit éloigné, je me retourne pour recevoir le soulagement de Taerrence :

— Merci ! Ce dragon m'aurait percé à jour en moins d'une minute, je ne sais pas mentir.

Un son de dépit résonne sous la table. Mes lèvres s'étirent puis je réponds :

— Elle semble cracher plus de fumée que de feu.

— Contrairement à celle qui se cache la dessous, c'est certain... Aïe !

Le dragon dissimulé venait visiblement d'écraser le pied de son parent. Il protesta :

— Jorunn Kay O'Broin, cela commence à bien faire, sors de là !

— Est-elle toujours visible ?

— Non, bon sang, mais tu ne vas pas pouvoir l'éviter indéfiniment !

— Taerrence ?

Un autre elfe s'invite à notre singulier conciliabule.Des cheveux longs et noirs jais encadrent son visage longiligne,souligné par une barbe taillé. Je me trouve captivé par son regard perçant d'un vert opalin alors qu'il s'adresse de nouveau à son interlocuteur.

— As-tu vu Dareen ? Il...

La table tremble brusquement et l'homme y jette un œil suspect avant de demander :

— Puis-je savoir pourquoi ce meuble a bougé ?

Taerrence réplique, las :

— Demande à ton frère.

— Dareen ? Dareen, tu es là dessous ?s'enquit l'elfe.

— Va-t-en Léandre, maugréé le concerné.

— Père te cherche partout, tu devrais..

— Ne lui dis surtout pas où je suis !

— Il vient par ici !

Avisant discrètement celui dont il parle, j'aperçois alors un des êtres les plus singuliers qui m'ai été donné devoir. D'une stature impressionnante, je ne serais pas étonné qu'il soit aussi grand que moi. Il arbore de longs cheveux blancs aux reflets de sable. L'éclat de ses prunelles n'est pas sans rappeler celui de Léandre, quand son expression est un alliage de maitrise,de suffisance et de mépris.

Lorsqu'il parvient jusqu'au buffet, il est accompagné d'une jeune elfe brune. Elle m'apparait plus avenante et je m'empresse de me présenter en m'inclinant :

— Bonsoir, permettez moi de...

— Vous semblez entendre vous affranchir de nos conventions sous prétexte de votre nom MacRuari ? me coupe sauvagement l'elfe à la chevelure d'ivoire.

Je me redresse en posant les yeux sur la créature revêche. Il ne jouit aucunement de la remarque qu'il vient de me faire, non, il entend seulement exprimer son dédain car il achève :

— Mais vous n'êtes encore souverain d'aucun royaume pour vous autoriser cela.

Il fait référence au fait qu'il est inconvenant de s'introduire auprès d'un inconnu. Nous devons être présenté parun hôte ou une connaissance en relation avec les deux partis.

Cette saugrenuité m'étourdirait presque et j'en reste sans voix.

L'elfe au bras de mon interlocuteur se détache sensiblement de sa personne, présentant un visage bienveillant :

— Je suis certaine que nous pouvons faire preuve d'indulgence quand à la faute du seigneur MacRuari, père. Après tout, il vient d'un monde où de tels usages sont sans valeur.

Avant que son géniteur n'ai pu protester, la jeune femme me sourit en s'inclinant discrètement :

— Je suis Luaith O'Riyerdan et voici mon père,Lloyd O'Riyerdan.

Mes faibles connaissances concernant cette illustre famille me permettent malgré tout d'assembler une partie de l'arbre généalogique.

— Gwendal MacRuari, répliqué-je en imitant sa marque de respect.

Je me tourne vers le patriarche en parvenant à demeurer stoïque malgré l'agacement qu'il peut m'inspirer :

— Je n'avais nullement l'intention de vous manquer de respect en m'adressant à vous Mon seigneur, entendez seulement...

— Vos allégations m'importent peu MacRuari.Rien ne m'oblige à vous respecter. Et cela tant que votre père demeure un roi tout juste promis à régner sur les ruines d'un empire délabré.

Ma nuque se raidit et je m'afflige d'un rictusfaussement amusé :

— Je constate que vous n'êtes pas le genre de créature à vous encombrer de fausses aménités. J'apprécie cette qualité. Peut être avons-nous plus en commun que vous ne semblez présentement l'apprécier.

Lloyd ricane vertement :

— Nous ne sommes en rien familiers Gwendal MacRuari. Encore que votre père pourrait sans doute se targuer d'unetelle chose puisqu'il a pris le parti de légitimer l'un de se sbâtards pour servir ses intérêts.

— Père ! s'insurge soudainement Léandre en s'interposant entre nous.

Celui-ci est donc un O'Riyerdan. Cela signifie que le dénommé Dareen dissimulé sous la table l'est aussi.

Je note l'embarras de Luaith et m'interroge sur sa légitimité à elle. Est-elle la bâtarde à laquelle il fait allusion avec si peu de révérence ?

— Fort heureusement, la légitimité ne caractérise pas la noblesse de l'esprit.

Lloyd O'riyerdan ne se départit pas de sa froideur,mais je peux lire une lueur d'intérêt dans l'éclat de ses yeux verts.

— Le Sidh a parfaitement avili votre esprit, votre père doit être proprement désespéré pour chercher à mettre un idéaliste sur son trône.

— Père, nous interromps Luaith et pressant le poignet du concerné, si nous allions chercher Dareen ?

Lloyd ne me quitte pas des yeux pour répondre à sa fille :

— Tu as raison. Nous n'aurons cependant pas aaller bien loin.

Il s'avance devant le buffet entre Léandre et moi. Taerrence resté de l'autre coté de la table semble retenir son souffle d'appréhension quand le patriarche O'Riyerdan expose d'une voix sourde mais ferme :

— Je ne te ferais pas l'affront de t'extirper de sous cette table Dareen. Entend seulement la médiocrité dont tufais preuve en agissant de la sorte. Épargnes toi le déshonneur de donner raison à nos opposants qui justifient ton comportement par le sang de ta charogne de mère.

Je suis interdit, presque abasourdi par l'horreur de ces mots.

Léandre et Luaith ne paraissent aucunement surpris et se frôlent brièvement du regard avant de fixer leurs pieds. Nul ne réagit, pas même Taerrence dont les lèvres dépeignent pourtant toute la désapprobation.

Lloyd n'en reste pas là et conclut :

— Maintenant lorsque tu auras fini de t'abaisser à ces petits jeux, j'attends de toi que tu sois digne de ton rang lors de la cérémonie de ce soir. Je te laisse l'heur de choisir quel châtiment sera le tien si tu me défies à nouveau.

Sans nous accorder plus d'attention, l'elfe s'en retourne sans une parole de plus. Je l'observe en train de s'éloigner d'un pas tranquille et désinvolte. La colère et l'indignation me brulent la gorge mais je m'exhorte à ne pas me laisser consumer par elles.

— Je suis navrée que vous ayez assisté à cela, me souffle soudain Luaith.

— Non, je... je suis simplement atterré que vous ayez à sub..

— Gardez pour vous votre sollicitude MacRuari, elle ne sera d'aucune aide.

Dareen O'Riyerdan, je suppose, vient de surgit de sa cachette. Je reconnais ce visage. Celui-là même dont le regard m'agressait dans le hall quelques heures plus tôt.

A cet instant précis, je saisis le fait que nous ne serons pas cordiaux.

Sa figure est singulière. Il a un visage d'ange,ovale, un menton volontaire et des pommettes hautes. Ses traits sont harmonieux, sa bouche pleine et ses yeux en amandes sont ourlés de longs cils noirs. C'est cependant le portrait d'un être défiguré qui me fait face, la joue soulignée d'une cicatrice et le regard charbonneux au dessus d'une bouche peinte qui décrit le mépris.

— Je souhaitais seulement...

— Vous avez votre père a contenter, ne vous préoccupez pas du nôtre MacRuari.

— Il suffit, Dareen ! le reprend Léandre.

— Croyez bien que je suis désolé de votre..

Dareen l'élance dans ma direction, le regard affligé de rage, et se trouve brutalement stoppé dans sa course par la poigne de son frère.

— Vous devriez rejoindre votre famille Seigneur MacRuari, m'invite Luaith O'Riyerdan.

J'observe une dernière fois le sang-mêlé,misérablement contenu, qui ne demande qu'à me sauter à la gorge,puis décide d'écouter le conseil de sa sœur.

Je m'interroge simplement à propos de la créature restée sous la table. Était-elle celle que j'ai aperçu plus tôt dans le hall ?

Annotations

Vous aimez lire Keir O'Riyerdan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0