- Eivør . Trøllabundin -

— Je ne sais pas si boire va résoudre tes problèmes.

— Ça ne peut pas les empirer, si ?Questionna Dareen.

Comme je ne réponds pas, il finir d'engloutir sa boisson avant de faire claquer le godet sur la table en bois.

— Bien. Où est la suite ?

— Tu tiens vraiment à énerver Lloyd ?

— Je ne vis que pour cela.

Il plisse les yeux, le sarcasme en approche et poursuit :

— C'est notre destin à tous, ne le réalises-tu pas ? Regarde toi avec Ayn.

— Je ne cherche pas le conflit.

— Peut être le devrais-tu. Car c'est pour cela que tu es incapable de lui dire franchement que tu n'as aucune intention de te marier.

— Elle le sait.

— Tu ne le lui a pas dit assez fort en ce cas.

Je soupire :

— J'essaie seulement de trouver un moyen de lui faire entendre raison, de manière pacifique.

— Et d'étouffer ta véritable nature. Celle là n'a rien de pacifique, cousine, je te connais.

Je lui lance un regard torve :

— Je ne suis pas comme toi.

— Et quoi donc ? Un monstre ? Un sang-mêlé ?

— Non. Je n'aime pas... Je n'ai simplement pas ton goût pour... Je ne suis pas comme cela.

Il se penche sur moi, son œil pourpre semblant percer mon âme à jour :

— Tu oublies que je sais de quoi tu es capable sur le champ de bataille.

Je me renfrogne et préfère me détourner de lui.C'est là que je vois une haute silhouette aux cheveux blonds-cuivrés sortir en trombe de la pièce. En suivant sa trajectoire, je réalise qu'il vient de quitter le seigneur déchu : Iain McRuari. Ce dernier fixe l'entrée avec colère tandis d'une elfe apparaît entrain de le raisonner.

Il semble que cette soirée soit propice aux débats stériles et aux humeurs ombrageuses.

Le souffle alcoolisé de Dareen glisse subrepticement sur ma nuque :

— Qu'est ce que tu contemples comme ça cousine ? Un autre type de champ de bataille à explorer ?

— Tu as décidé de t'en prendre à moi ou tu t'entraines avant l'esclandre paternelle ?

Dareen retrousse son nez en incurvant ses lèvres brunies vers le bas. Lors des réceptions il prend soin de toujours accentuer ce qu'il appelle ses « aspects démoniaques », par mains artifices. Le charbon qui rehausse son regard et ses lèvres en atteste. Il sourit, creusant davantage la cicatrice qui barre son œil sang.

Il ravale ses paroles. Dareen ne s'excuse pas. Jamais.Non pas par orgueil, mais parce qu'il ne sait pas comment s'y prendre.

Son regard s'échoue par dessus mon épaule avant qu'il ne lâche d'une voix rauque :

— Ton frère est arrivé.

En faisant volte face, je vois celui-ci pénétrer dans la pièce, son épouse au bras. Je sens mon cœur se gonfler d'allégresse et l'œillade complice que me présente mon frère achève d'étendre mon sourire naissant.

J'accours jusqu'à Taerrence pour jeter mes bras autour de son cou. Constantine s'écarte en étouffant un rire amusé. Je pèse de tout mon poids contre mon frère qui geint face à mon étreinte :

— Je ne me souvenais pas que tu étais aussi lourde.

Je recule pour lui donner un coup dans l'estomac. Il se plie sensiblement en deux et ce n'est pas feint, j'y suis sans doute aller un peu fort.

Sa bouche pulpeuse découvre une rangée de dents blanches et l'éclat de ses yeux bleus cobalt devient taquin alors qu'il lève le menton pour mieux me défier d'aller plus loin. Il a tiré ses longs cheveux bruns en arrière, laissant quelques mèches courir sur ses épaules larges.

— Tu tiens véritablement à ce que je démontre à Constantine à quel point elle a eut tort de t'épouser ?

Il pince les lèvres pour écraser le rire qui menace :

— Je crains qu'elle n'ait pas besoin de toi pour cela.

Nous nous retrouvons tous les trois à plaisanter de sa bêtise quand Dareen s'impose entre nous.

— Cousin, le salue Tae avec réserve.

Dareen n'a jamais été des plus chaleureux avec lui.Il ne l'a jamais été avec qui que ce soit en dehors de ma personne.

Notre cousin détaille Constantine de la tête aux pieds, sans dissimuler son mépris. Elle est la fille de Lucius Daas, une créature dont il réprouve même l'existence.

Je ne le blâme pas en ce qui concerne ce vieux vampire, mais Constantine n'a jamais rien eu en commun avec son géniteur. Pour peu, on ne se douterai pas de leur filiation. Elle est perspicace, douce et généreuse quand Lucius est calculateur,dominateur et cruel.

Elle soutient l'expression de Dareen, démontrant là son unique hérédité paternelle. Elle ne s'en laisse pas compter.Je sais que c'est l'une des choses qui a séduite mon frère.D'ailleurs, ce dernier jubile de la voir tenir tête à notre parent.

Je donne un coup de coude dans le biceps de celui-ci :

— Cesse donc ta mauvaise tête, tu n'as personne à impressionner ici, Reen.

— Comment te portes-tu cousin ? s'enquit Taerrence.

— Je songe déjà au prochain malheureux qui souillera ma lame.

Taerrence hausse un sourcil inquiétant et je crains ses prochaines paroles :

— Que voilà de moroses pensées cousin, j'ignorais que tu songeais à te débarrasser de ta vertu de la sorte.

Les yeux de Dareen s'ouvrent outragés. Tae est allé trop loin, aussi, je m'empresse d'agripper mon cousin par la manche avant de le forcer à s'éloigner. Je lance un regard de réprimande à mon frère par dessus mon épaule.

Il ne s'en préoccupe pas, déjà trop affairé à moquer une prochaine victime.

— Lâche moi ! s'insurge Dareen.

— Seulement si tu te calmes.

— Es-tu sérieuse ? Tu as entendu ses propos ?

— Je croyais que tu te moquais bien de ce qu'on l'on pouvait penser de toi sur ce sujet.

— Ce n'est pas le sujet, c'est la manière dont il a tourné le...

— Oh Reen, pitié, tu es d'une humeur massacrante depuis que nous sommes arrivés, tu prends n'importe quel prétexte pour en vouloir à tous. Sois honnête une minute et dis moi ce qui se passe réellement !

Il fulmine, mais renonce à évincer mes questions.J'en ai l'assurance lorsqu'il soupire avant de lâcher :

— Luaith part pour le Sarth.

Le Sarth. Cela signifie qu'elle a décidé de finalement prendre les armes. Dans notre culture, aussi bien celle des elfes que des Ilotahs et contrairement aux humains, l'éducation est une affaire de femmes. Le savoir se transmet par elles, celles qui donnent la vie et la transmettent sont seules détentrices de tous ses aspects.

Il y a longtemps, la Déesse a confié cette lourde tâche aux femelles de toutes les espèces. Ainsi, le maniement des armes et la sagesse stratégique peut être acquise de mère en fille et de mère en fils.

Dépourvue de mère, Luaith a longtemps choisi de renoncer aux connaissances qui lui revenaient de droit. Encouragée par l'obscurantisme d'un père en rupture avec les coutumes ancestrales. Lloyd n'a jamais eu à cœur de la pousser à s'émanciper à apprendre.

Je constate que l'influence de Léandre et de Dareen,ses frères, aura fini par payer.

Je note cependant l'amertume dans la voix de mon cousin :

— Cela devrait te réjouir, mais ça ne semble pas être le cas.

— Léandre a l'intention de l'accompagner.

J'écarquille les yeux :

— Mais pourquoi ?

Dareen embrasse discrètement la pièce du regard avant de m'attirer dans une alcôve isolée.

— Te souviens-tu de l'histoire avec le semi-elfe, Ithel ?

Ithel était au service de Lloyd fut un temps. Je me rappelle qu'une violente querelle l'avait opposé à Léandre. Ce dernier avait manqué de lui trancher la gorge.

— Oui, bien entendu, acquiescé-je.

— Tu es loin de tout savoir. En vérité, il courtisait Luaith sans que l'intérêt soit réciproque. Un jour, il a surpris... et bien, il a vite compris ce qui se tramait entre mon frère et ma sœur. Il l'a donc menacée de tout révéler si elle ne lui cédait pas. Elle n'en a rien dit à Léandre et a préféré se charger de son maitre chanteur seule. Malheureusement,cela a mal tourné. Mon frère est intervenu avant que ce démon ait le temps de la déshonorer.

Je reste interdite devant ses explications, autant que par ses révélations. Je me doutais, bien entendu, des sentiments que Léandre nourrissait à l'égard de Luaith, sans pour autant me douter qu'elle les partageait.

Cela n'a jamais vraiment été un problème dans le sens où Luaith se trouve être la progéniture illégitime d'illustres inconnus. Elle n'a aucun lien de sang avec la lignée des O'Riyerdan. Elle fut adoptée par Lloyd suite au décès tragique de sa dernière fille, Frances.

— Tu es en train de me dire que Léandre et Luaith...

Il se baissa plus avant, au ras de mon oreille :

— C'est arrivé après son retour des Orcades.Il avait quitté une enfant et des années plus tard, il retrouvait une femme. Et puis... ils ont toujours eu un lien particulier.

Je pose ma main sur l'avant bras de Dareen :

— Tu es leur frère.

— Je suis différent Kay, personne n'a jamais laissé planer le moindre mystère quand à cette réalité. Le sang d'une démone coule dans mes veines et un archange m'a maudit. J'en porte la marque sur mon visage. Être leur frère n'affirme et ne garantit en rien l'affection. Tu es la seule qui... la seule qui compte.

Ses mots me font mal. Dareen est amer, une créature blessée depuis la naissance. Châtié et humilié du fait de sa seule existence.

Si les mésalliances entre espèces ont toujours eu cours, les elfes se mêlant aux humains et parfois aux vampires ou autres créatures plus célestes, les origines de Dareen demeurent uniques.

Il est le fils d'une skall, race de démons honnie de tous, et d'un elfe au sang pur.

— Léandre la suit sans doute afin de rester auprès d'elle.

— Non, il est lâche. Il saisit le premier prétexte afin de quitter le domaine et de s'éloigner de notre père.

— Et tu te retrouveras seul avec lui,réalisé-je.

Il se contente d'afficher un sourire éclatant sous ses yeux brillants en passant son pouce sur l'estafilade qui barre la moitié de son visage, du front au milieu de la joue :

— Espérons que je parvienne a me contrôler afin de ne pas exciter son imagination. Cette cicatrice me rend divinement beau, la prochaine pourrait être tout autre.

Je caresse la joue de mon cousin, mais il me chasse aussitôt. Je ne sais pas bien s'il est mal à l'aise avec les marques de tendresses ou s'il croit m'inspirer de la pitié. Dareen n'aime pas vraiment être touché. C'est une chose avec laquelle il est incapable de conjuguer : la douceur.

— Kay ?

Un pincement de la hanche me sursauter et je me retourne aussitôt. Mon frère brandit un sourire des plus taquins.Je le réprimande :

— Och, brute !

— Tu veux qu'on reparle des marques tu m'as laissé grande sœur ?

Il jette un regard concerné à Dareen.

— Tu a déjà perdu ton épouse Taerrence ?

Je lève les yeux aux ciel, ce dédain évident qu'ils se retournent est épuisant. Mon frère fronce les sourcils d'interrogation, incertain de comprendre la raillerie :

— Elle ne doit pas être loin. Elle devait rencontrer quelqu'un.

— Ou l'hypocrisie de la conviviale réunion des O'Riyerdan lui donne déjà la nausée.

— Ta propension naturelle à la sournoiserie m'avait manqué cousin, réplique Tae en lui empoignant l'épaule.

Dareen se raidit en baissant les yeux sur la main avant de plonger dans les prunelles de son homologue :

— Chercherais-tu a passer l'éternité avec un seul bras ?

Taerrence presse le trapèze de notre cousin avec chaleur avant de murmurer :

— Détend-toi Reen, nous savons tous les deux que tu n'es pas le monstre insensible que tu t'appliques à démontrer.

Dareen le force à le lâcher, en lui signifiant tout le mécontentement que cela lui inspire. Mon frère se contente de sourire avant de se rapprocher de moi :

— Ayn semble te chercher, ma sœur.

— Comment cela ?

— Elle désirais te présenter quelqu'un. Un très charmant elfe du clan des Marth

En allant au delà de l'épaule de mon frère,j'aperçois ma grand mère, accompagnée d'un elfe, grand, blond élancé, paré des atours les plus ostentatoires. Un prétendant.

— Par la Déesse, pitié, non !

— Quoi ?

J'appréhende la première chose que je peux, la table du buffet et la longue nappe qui la recouvre. J'avertis mon frère :

— Tu ne m'as pas vue !

— Mais je...

Il n'a pas le temps d'ajouter un mot que j'ai déjà plongé sous le meuble. Sans trop savoir pourquoi, je tire Dareen avec moi.