2 . Invitation

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- Kalandra . Virkelighetens Etterklang -


J'ouvre les yeux dans le même lit. Le réveil est pénible.

Ma tête tourne et les courbatures de la veille assiègent déjà l'entièreté de mes membres. Je me suis battu la nuit dernière, les marques courant sur ma peau en attestent par leur criante présence

Je me force à me lever, en dépit de la douleur qui m'écrase la poitrine.

En arrivant dans la grande salle, mes yeux accrochent le blason familial. Par tous les dieux, que j'aimerais brûler cet immondice d'un simple regard. Agneas surgit dans mon dos et pousse un vidrecome sur la grande table en bois. Je l'interroge du regard tout en portant le verre à mes narines.

Cette décoction de plantes m'est bien familière,censée apaiser les mal de crânes causés par de trop longues nuits d'ivresse. Je souris avec ironie avant de reposer le breuvage devant ma sœur.

Elle me fixe avec indifférence :

— Tu te soucies de moi, à présent ?

— Ne te fais aucune illusion. Je me préoccupes seulement de l'image que tu renverras ce soir, au domaine O'Riyerdan.Tu représentes notre clan et notre clan est tout ce qui m'importe.

— Tu ne souhaites pas que les seigneurs aient la vision d'un ivrogne hirsute, quelle attention !

— J'ai à cœur les intérêts de notre lignée.Si tu dois reprendre le trône, tu devrais t'en soucier tout autant.

— Je n'en veux pas, affirmé-je en m'avançant sur elle.

Elle soutient mon regard :

— Tu n'as pas le choix.

Je balaie le verre d'un revers de main avant de frapper mon poing sur la table, Agneas ne bouge pas d'un cil :

— On a toujours le choix !

Je m'échappe de la pièce pour ne pas faire plus de dégâts, mais je l'entends clairement murmurer dans mon dos au moment de ma sortie : « la vie t'apprendras que non ».

Le domaine O'Riyerdan est dénué du faste auquel je m'attendais. Nous y arrivons en pleine nuit et je constate avec plaisir qu'aucun serviteur ne vient nous accueillir. Iain, mon père,interpelle un jeune elfe aux boucles dorés, occupé à nettoyer les fers d'un cheval :

— Toi, peux-tu annoncer notre arrivé au seigneur Eïre ? Nous sommes...

— J'ai déjà fort à faire avec celui-ci,l'interromps l'immortel en reposant la jambe de sa monture, mais je suis certain que Eïre sera ravi de vous saluer si vous vous avancez jusqu'à la salle de réception.

Je sens Iain sur le point de protester quand la main d'Agneas se pose sur son bras pour le tempérer :

— Merci bien, dit-elle à l'elfe blond.

Ce dernier la gratifie d'une œillade, agrémenté d'un sourire assuré. Elle l'ignore pour mieux pousser notre père à pénétrer dans l'immense demeure.

Les demeures rudimentaires des humains n'ont rien à voir avec ces édifices ; La pierre est la matière première et on la dirait arrachée des montagnes mêmes et façonnée de manière à dessiner ces formes si particulières entrelacées au bois.

J'admire la volonté du maitre des lieux d'avoir voulu conserver la nature en son foyer. Sur le coté de l'arcane qui ouvre l'entrée, un arbre s'étend le long du mur, faisant corps avec lui,ses racines s'engouffrent dans le sol et le mur avant de répandre ses branches jusqu'au toit. Je me casse la nuque pour admirer l'union du végétal à la roche, je pourrais presque éprouver le parfum du Sidh à ce moment.

— Gwendal !

Mon père me tire de ma contemplation et je le suis,non sans essuyer son implacable regard d'acier.

La chambre qui m'a été assignée est des plus modestes et cette idée me convient. Les murs de pierres sont dénués de la moindre ornementation en dehors des radicelles qui filent sur la roche. Une grande ouverture donne sur un large balcon où je m'imagine déjà passé mes nuits afin d'admirer la voute étoilée. Un lit immense envahit presque toute la pièce, il est fait d'un bois naturel qui n'est pas sans me rappeler l'arbre de l'entrée principale. La couche semble portée par des racines et soutenues par quatre troncs sortis du sol.

Je songe avec ironie que cet endroit m'est plus chaleureux que la demeure de mon père, et cette pensée me sert le cœur.

La porte s'ouvre brusquement pour laisser entrer ce dernier qui referme aussitôt le battant derrière lui :

— Tu n'es pas encore prêt ? Nous sommes attendus !

Je soupire et n'offre aucune réponse avenante,préférant tourner le dos. Je me fiche de son protocole et de ses attentes.

Il me retient fermement par le bras

— Nous sommes ici pour dix jours de festivités.Durant ce laps de temps, j'entends que tu m'obéisses sans faire d'histoires.

— Ou sinon ? Quelle menace entendez-vous faire planer sur moi ? Que pourriez vous me prendre que je n'ai déjà perdu ?

— Ce n'était pas ma décision de te bannir du Sidh en représailles des actions de Lucifer. Mais c'était la meilleure chose à faire. Je sais ce que tu penses mais tu n'es pas le seul à avoir perdu quelqu'un. Je sais combien Conor comptait pour toi.

Je m'insurge en reprenant possession de mon bras :

— Vous ne le connaissiez pas! Ne faites pas comme si sa mort pouvais vous affecter. Seul un héritier vous importe. Un héritier que je me refuse à être !

— Tu n'as pas le choix ! Mon sang coule dans tes veines, Gwendal. Tu m'appartiens !

J'ouvre des yeux outrés par ces dernières paroles:

— Je ne suis pas votre possession.

— Non. Tu es mon fils.

Cet argument a si peu de sens que j'en reste muet. Un timbre féminin se racle bruyamment la gorge et nous tournons la tête de concert en direction d'Agneas. À quel moment est-elle entrée ?

— Pourquoi ne pas reprendre cette intéressante conversation plus tard ? Lorsque Gwendal sera vêtu par exemple ? Rhon, veux tu bien aidé mon frère à s'apprêter ?

Le visage d'un adolescent aux traits fins surgit derrière Agneas. C'est l'un des domestiques de la maison de mon père. Il se glisse entre nous et m'entraine vers le fond de la chambre alors que ma sœur force mon géniteur à sortir.

Rhon a eut la bonté de me laisser porter ce que je souhaitais. S'il obéit par défaut à Iain, il n'en réprouve pas moins ses manières et sa personnalité. Il s'est cependant mis au service de ce dernier car il est tombé amoureux d'un mortel et que ce dernier est affligé d'un mal réclamant énormément de soins.Comme il manque de moyens, ses options se sont avérées limités afin de pouvoir rester auprès de son bien-aimé.

Je descend les marches du grand escalier menant à la salle de réception affublé d'un pourpoint en cuir rouge sang

Je me surprend de nouveau à observer les détails de cette stupéfiante bâtisse qui n'a rien de commun avec les constructions humaines traditionnelles. L'alliance avec la nature est bien réelle, si réelle que je m'attends presque à voir surgir une fée au détour d'une branche ou d'une feuille. L'intention est certainement d'évoquer le Sidh, nos racines à tous. Face à ce constat, je m'interroge sur l'ascendance de mes hôtes. Eïre et son épouse, Jaïli sont-ils originaire du monde des Tuatha dé Danann* ?

Des éclats de rire me font baisser la tête et c'est une faune autrement plus commune à laquelle je fais face. Les invités des O'Riyerdan sont tous parés d'éclatantes toilettes, avec l'intention manifeste d'être plus le visible possible. Cela me ramène aux intentions de mon père, qui attend bien évident de moi que je me démarque de la même manière.

Il veut retrouver ce titre de roi, arraché à sa famille il y a bien longtemps et seuls les seigneurs de cette demeure peuvent lui rendre son honneur et sa couronne.

Les conditions imposées par ses pairs sont simples : fournir un héritier mâle de son sang. Or, ses opposants ignoraient alors que mon père m'avait engendré moi. Je demeurais son secret le plus inavouable, dissimulé au Sidh.

Une silhouette féminine arrive du haut de l'escalier.Je la reconnaît aussitôt à sa chevelure dorée savamment coiffée au dessus de sa tête. Agneas est l'incarnation de la discipline et du maintien. Je sais qu'une colère sourde bouillonne en elle, mais elle est si adroite à paraître qu'aucun ne le soupçonnerait.

La seule babiole qu'elle arbore est une pierre d'améthyste sertie dans un pendentif en bronze. Lorsqu'elle parvient à mon niveau, le sarcasme me monte aux lèvres malgré moi :

— J'imaginais plus d'atours pour une elfe de ta caste.

— Ce n'est guère moi qui suis supposée briller ce soir.

L'idée qu'elle dénie sa personne pour me laisser la place selon la volonté de notre père me révolte.

— Tu n'as pas a...

— Je suis davantage digne de l'héritage de notre père que tu ne le seras jamais et tu en es conscient, je me me risquerais cependant pas à provoquer son ire à seule fin de le lui prouver.

Je ravale ma bile en acquiesçant :

— C'est tout à ton honneur. Mais j'aurais beau briller comme tu l'entends, je ne pourrais jamais éclipser la créature que tu es.

L'ombre d'un sourire joue au coin de ses lèvres,accentuant la fossette à son menton, mais ma sœur se reprend bien vite en redressant la tête :

— N'attends pas de moi la moindre étreinte fraternelle pour ce compliment.

Je feins de m'indigner :

— Non, par pitié !

Elle peine misérablement à écraser le rire qui vibre dans sa gorge et secoue la mâchoire en mordant l'intérieure de ses joues. Elle me dévisage :

— Tu es singulier grand frère.

Je préfère m'abstenir de savoir où elle veut en venir. De toute manière elle ne s'appesantit pas plus avant et me dépasse pour rejoindre la grande salle de réception. Je lui emboite le pas aussitôt.

Elle passe la porte et rejoint le chaos des festivités quand je sens une chaleur vibrante au creux de ma nuque. Je tourne la tête vers le grand escalier à quelques mètres en arrière.

Une créature mâle avec de longs cheveux noirs s'avance pour tendre la main à une jeune femme. Ce n'est ni une elfe ni une sang-mêlé... je ne parviens pas à la définir. Quand elle sourit à son cavalier en coulant ses doigts dans sa paume, une vive sensation me glisse sur le sternum. Ses cheveux de bronze sont lâchés sur ses épaules dans l'indiscipline la plus totale.

— Ayn va s'étrangler en te voyant ainsi.

Ses yeux bruns pétillent de malice quand elle répond :

— Ne me donne pas de faux espoirs. Elle est malheureusement trop coriace pour laisser paraître la moindre contrariété.

L'hybride qui lui fait face lâche un rire grave avant de l'entrainer vers la seconde entrée de la pièce où se tient la réception. Ce dernier doit avoir sentir mon regard insistant car il jette un œil en arrière pour m'appréhender.

Il arbore des yeux vairons, l'un est bleu quand l'autre semble tirer vers le pourpre. Mais le plus choquant s'avère être l'expression peu amène qu'il me retourne.

Je les observe ensuite disparaître dans la foule de convives quand on me tape brusquement sur l'épaule. Je fais volte-face.

Agneas.

— Que fais-tu à la fin ? Père te cherche partout !

Je reste hébété durant quelques secondes avant de me décider à la suivre.

Dans la pièce, aucune trace du couple. Qui est cette femme, mais surtout... quelle genre de créature est-elle ?

Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur ces questions, je suis happé par l'atmosphère à la chaleur intimiste qui n'est pas sans me rappeler le foyer maternel. Je m'attendais au faste et aux breloques étincelantes, mais c'est toujours le bois et la pierre brute qui se marient aux décorations florales. Le tout est sobrement disposé avec une multitudes de bougies et d'orbes lumineuses semblables à celles produites au Sidh.

Je constate avec plaisir que la magie n'est pas proscrite ici. C'est une surprise évidente quand je sais que nous tendons à la maintenir discrète dans le monde des humains.

Le son des flûtes en bois d'If achèvent d'entretenir l'atmosphère qui me ramènent en un endroit dont je n'espérais même plus gouter le souvenir.

Je suis si subjugué que je préviens pas l'empoignade de mon géniteur qui me force à m'échouer dans ses yeux glacés :

— Que ?...

— Viens, tu dois le rencontrer !

Sans m'en dire davantage, il m'entraine à sa suite pour me planter devant une paire de personnages qui parfaitement me sont inconnus.

Les deux créatures sont des elfes. Le mâle est à peine plus petit que moi. Je devine sans peine qu'il s'agit de notre hôte : Eïre O'Riyerdan. Il dégage une grande prestance sans que son visage ne soit dénué de douceur, bien au contraire. Ses cheveux noirs mi-longs sont tressés sur les cotés et arborent de singuliers reflets bleutés. De très discrets tatouages marquent ses tempes, rehaussant le parme de ses iris.

Il me sourit avec bienveillance avant de passer une main dans le dos de sa compagne pour la faire avancer d'un pas :

— Seigneur McRuari, permettez moi de vous présenter mon autre, Jaïli O'Riyerdan.

Je note qu'il n'a pas désignée cette dernière comme son épouse. Elle est presque aussi grande que son mari. Ses traits sont plus froids, résignés peut être. Elle feint sa mise en hochant de la tête pour me saluer. Chacun de ses gestes semble être de l'ordre de la maitrise. De la discipline apportée à ses cheveux longs tirés sur le haut de son crâne, au calme plat décrit par ses prunelles sombres.

Je m'incline en réponse, une main sur le cœur tandis que mon père s'empresse de m'introduire auprès de la maitresse des lieux :

— Ma Dame, voici mon fils et héritier légitime,Gwendal.

Je ne quitte pas la créature des yeux. Elle donne l'impression de vouloir être ailleurs, d'être oppressée et désemparée.

— C'est un honneur de vous avoir avec nous ce soir Gwendal, répond Jaïli O'Riyerdan sans rien trahir du trouble qui paraît la dévorer.

— J'ai votre mère en grande estime, intervient Eïre.

Je me détourne aussitôt vers celui-ci :

— Vous connaissez ma mère ?

L'elfe jette un rapide coup d'œil en direction de mon père avant de me répliquer :

— Et bien, nous avons été bons amis à une époque, avant de nous perdre de vue. Les déesses ont toujours fort à faire, en ce monde comme aux autres.

L'entendre évoquer ma mère, même un peu, me donne la sensation d'un baume sur ma cage thoracique. Pourtant, je ne peux retenir l'amertume qui coule de ma bouche :

— J'imagine... Elle n'a jamais vraiment pris le temps de soigner ses relations.

Je surprend l'expression quelque peu surprise de Jaïli O'Riyerdan quand son époux se contente d'un sourire aussi poli que compatissant.

Sans commune mesure, l'étau paternel se ressert autour de mon coude :

— Veuillez nous excusez, Mon seigneur, Ma Dame.

Je suis de nouveau tiré à plusieurs mètres de là :

— Qu'est ce qui t'a pris ? Tiens-tu à passer pour un rustre ?

— N'est ce pas ce que je suis ? Un bâtard élevé aux pays des fées et des monstres, seulement nourrit par les boniments d'une déesse de l'ancien temps... Ce sont vos propres mots, non ?

— Je ne désespère pas de te civiliser, alors ne me complique pas la tâche !

— Vous perdez votre temps, père !Ne vous évertuez pas à tenter de me façonner vous seriez déçu !Cela sans compter le fait que je ne veux pas de votre héritage!

— Il est de ton devoir de me succéder !

— C'est d'une absurdité sans précédent !Nous sommes une race d'immortels.

— Tu feins d'ignorer comment cela fonctionne alors que je me suis déjà évertué à te l'enseigner. Je ne t'offre pas seulement le pouvoir ni une couronne, mais un clan à défendre, une famille...

— J'avais déjà une famille, répliquais-je d'une voix brisée.

— Elle n'étais déjà plus. Ton déchu de frère l'avait déjà anéantie. C'est pour cela que ta mère t'a rendu à moi. Elle savait ce qui serait le mieux pour toi.

— Sans me laisser le choix !

— Tu n'étais pas en état de décider pour toi même Gwendal ! Entends bien que ta conduite sera décisive ce soir. J'ai besoin que le clan t'approuves et cela passe par l'inclination des O'Riyerdan à ton endroit.

Je fronce les sourcils :

— Vos manœuvres politiques m'importent peu.Vous m'avez trainé ici afin de me faire parader tel un bestiau à présenter au plus offrant.

Il lève un index autoritaire entre nous, fichant ses yeux bleus au fond des miens

— Tu joueras ton rôle.

Je ne cille pas et m'avance encore, le forçant à se redresser tout en abaissant son bras présomptueux :

— Jamais. Je ne serais jamais votre..

— Vous êtes ici ! Je vous ai presque recherché pendant plus d'une heure..

Agneas, armée de son sourire le plus travaillé, se positionne entre nous afin de nous forcer à nous séparer. En baissant la tête, je constate son regard des plus explicites. Je prends également conscience que nous sommes en train de nous donner en spectacle.

En effet, quelques curieux n'ont visiblement pas perdu une miette de notre houleux échange. Dans la foule, je croise un regard vairon bien familier. C'est l'hybride que j'ai vu tout à l'heure. Il se tient juste à coté de la jeune fille à la nature inconnue, elle est en train de rire en discutant avec un autre elfe de dos.

— Gwendal, gronde Iain McRuari.

Je reporte mon attention vers mon père :

— Ne m'attendez pas...

Il tente de me retenir et je remercie mentalement ma sœur de s'interposer à nouveau. Je peux enfin m'échapper de cette pitoyable mascarade.

Lexique:

Tuatha dé Danann : Habitants du Sidh, plus spécifiquement, nom donné aux divinités en place.

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