1 . Jorunn Kay O'Broin

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- Garbage . I Think I'm Paranoid -


— Un époux ?

Ayn ne se donne pas la peine de répéter, car elle sait que j'ai parfaitement entendu son absurdité. Elle se contente de congédier Hoelenn qui brossait ses cheveux d'un geste suffisant.Cette dernière croise mon regard désolé avant de s'incliner et de sortir de la chambre en silence.

Je déteste cette façon qu'elle a de traiter nos gens comme s'ils valaient moins que nous. Il n'y a que les humains pour agir de la sorte. Et les elfes, plus récemment... Nous ne sommes ni l'un ni l'autre, par la Déesse !

— Vos lubies ne devraient plus m'étonner, maisj'avoue que celle-ci est particulièrement déroutante. À quel moment avez vous songé que je pourrais consentir à une telle chose ?

— Tu es la dernière. Si tu dois hériter de tout, tu dois assurer la lignée de ton nom.

— Nous sommes éternels. Il serait imbécile de vouloir perpétuer quelque chose qui ne prendra jamais fin.

— Les elfes sont faillibles. Ils peuvent mourir.

— Je ne suis pas une elfe, grand mère. Je suis une Ilotah. Descendante de l'archange Gabriel, aucune arme forgée ne peut me vaincre.

Pour illustrer mes propos, je soulève ma tunique pour découvrir l'estafilade presque invisible dessinée sur ma hanche.Les yeux bleus d'Ayn me soutiennent sans faillir.

— En ce cas, tu n'as pas de soucis à te faire.Tu survivras à ton mari s'il est elfe.

— Je n'épouserais personne.

— C'est ce que nous verrons.

— Vous ne disposez d'aucune autorité sur moi.

Son regard est assassin.

— Je suis la seule famille qui te reste en dehors de ton frère. Ton dépravé de père est parvenu a emplir la tête d'Aife*de ses billevesées romantiques pour mieux vous engendrer toi et ton frère. Où est-il à présent ? Prend-t-il soin de toi comme il le devrait ? Non ! Il a délibérément anéanti l'avenir de ta mère en la souillant, il n'est pas dit que tu vivras le même destin.

— Vous êtes seule responsable de sa fuite !En proclamant votre opposition à leur union, vous en avez fait des fugitifs. Épargnez-vous la félonie de le tenir pour responsable de cette situation.

— Tu n'as aucune conscience des possibilités qu'une alliance pourrait te prodiguer.

La voilà en train d'éluder le sujet pour mieux abuser mes oreilles de ses non-sens :

— Une alliance ? Parce que vous comptez me vendre au plus offrant ? Vous fréquentez trop d'elfes... ou trop d'humains, vos fantaisies matrimoniales vous encombrent l'esprit. Nous autres immortels n'avons jamais eu besoin de ces liens jusqu'alors, je ne vois pas p...

— Les possibilités, Jorunn Kay O'Broin.

Je secoue la tête, abasourdie.

— Vous voilà assujettie aux mœurs primitives des humains, c'est désolant. Votre fierté doit être bien fragile pour...

— Il suffit, Jorunn! Il est là question de survie dans un monde qui change.

Je fulmine. Me taire n'est pas dans ma nature, mais cette conversation est perdue d'avance. Ayn est vendue à la folie des elfes. Elle reprend d'une voix sourde :

— Considère le sujet clos, jusqu'à nouvel ordre. Pour l'heure, nous devons nous préparer la réunion des O'Riyerdan

Je me renfrogne mais ravale mes paroles, je quitte la pièce sans me retourner, déterminée à me défouler pour endiguer ma colère.

Quelques heures plus tard, je dois avoir perdu plus d'une vingtaine de flèches, mais je ne démords pas et bande à nouveau mon arc. Cette arme n'a jamais été mon fort et je rate immanquablement ma cible.

Une silhouette vient sur ma droite. Nul besoin détourner la tête pour constater Erwann en train de se réjouir du spectacle plus qu'évident de ma déconvenue.

Je peux l'imaginer sourire sans faire me tromper. Il croise les bras sur sa poitrine et s'appuie contre la barrière qui scinde l'enclos des chevaux.

— Je constate que tu t'obstines à nouveau. C'est à se demander pourquoi.

Je ne lâche pas ma cible des yeux pour lui répondre :

— Fais bien attention Erwann MacDhuibh,je suis maladroite aujourd'hui, je pourrais blesser quelqu'un sans le vouloir.

— Aujourd'hui seulement ?

Je ne réfléchis pas et dévie brusquement pour décocher ma flèche entre ses jambes.

En levant les yeux vers son visage, je découvre une surprise évidente, teintée d'un soupçon de panique. Ses sourcils se rejoignent quand il me jette un regard outré :

—À un pouce près, ça aurait très bien pu mal se finir.

— Ta descendance est sauve, remercie moi.

Il se fend d'un sourire qui n'efface pas pour autant la peur que je viens de lui faire.

— Il n'y pas à dire, je te préfère cent fois avec une épée.

— J'ai réussis, non ? Comme quoi, il ne faut pas juste essayer.

Son rictus s'étend d'un bout à l'autre de sa figure alors qu'il se baisse en avant pour s'emparer d'un ridicule poignard fixé à sa botte. Il le pointe dans ma direction :

— Très bien, impressionne-moi encore.

Je hausse les sourcils :

— Tenterais-tu de jouer les prétentieux ?

Son buste s'avance sur moi alors que ses yeux bleus se plissent avec provocation :

— Remets-moi à ma place, Ô Ilotah.

Je ne suis pas réellement d'humeur à lui donner une leçon, mais puisque mon meilleur ami me supplie, qui suis-je pour lui refuser de lui botter l'arrière train ?

Son regard brille d'un plaisir évident alors que je jette mon arc au sol et qu'il me jette l'épée qui était accrochée dans son dos. Je l'attrape au vol, en ignorant ses lèvres qui se retroussent sur ses canines.

Je m'élance en avant, Erwann tente de parer mon attaque, mais forte de ma rapidité, je me déporte au dernier moment et l'hybride se retrouve avec son épée sur les reins et la pointe d'une flèche sous la gorge.

Une rangée de dents se découvre soudainement :

— Je me doutais que tu ferais quelque chose dans ce genre là !

— Rassures toi comme tu peux, MacDhuibh*.

Son pied droit chasse ma jambe gauche me faire perdre l'équilibre et je lâche la flèche au moment où il me repousse d'une main ferme sur le buste. Je l'attaque à nouveau de front et il recule de plusieurs pas sous la virulence de de mes coups. Je ne peux dissimuler le ravissement qui m'envahit, cette fièvre qui court dans mes veines :

— Très bien, si tu veux la jouer comme cela.

Erwann récupère la seconde épée restée dans son dos, change de main avec son poignard et me fonce dessus ses deux armes aux poings. Je suis forcée d'esquiver et d'enchainer les pirouettes jusqu'à rouler au sol pour éviter un coup de poignard bien ajusté.

Je le félicite d'un coup d'œil impressionné avant de me remettre debout. Il est sensiblement essoufflé car je suis un peu plus rapide que lui et ne fait pas dans la demi-mesure.

Au moment où il reprend le dessus, me désarmant proprement en faisant voler mon arme, il marche sur moi, ravi, son poing serré sur sa garde. Je me laisse saisir et acculée contre la barrière scindant l'enclos, c'est là qu'il se retrouve sans crier gare avec la pointe de ma flèche sous le menton :

— Comment ?... Tricheuse !

— Tu es juste vexé de ne pas l'avoir vu venir.

Sa bouche charnue se tord sur un sourire alors que l'expression de son regard change brusquement :

— Je t...

— Maitresse O'Broin ?

Erwann recule promptement pour laisser place à Hywel. Il est le jeune frère de Hoelenn et malgré le fait de sa haute taille, il ressemble a un adolescent humain timide et efflanqué.Comme à son habitude, il croise les mains sur son giron et n'ose pas me regarder dans les yeux lorsqu'il s'adresse à moi.

— Hywel, je t'ai déjà dit de m'appeler Kay.

— Pardonnez-moi, maitresse Kay. Je voulais simplement vous faire savoir : votre grand mère m'envoie vous prévenir : nous partons bientôt.

J'acquiesce en pestant et le jeune elfe décampe sans demander son reste. Je ne comprends vraiment pas son attitude :

— Pourquoi agis-t-il toujours ainsi ?

— Peut être que tu l'impressionnes, se moque Erwann.

Je redresse la tête vers lui. Il est très sérieux en réalité.

— Mais ce n'est pas ce qui te préoccupes en vérité, c'est davantage la nouvelle extatique de ton voyage imminent. Je constate comme tu es ravie.

— Je donnerais tout pour m'épargner cette longue route avec elle.

— Tu n'auras qu'à faire semblant de dormir.

— Très drôle... Pff, j'aimerais tant que tu m'accompagnes.

Ses traits se durcissent :

— Cette réunion est proscrite aux sangs-mêlés.

— C'est d'une hypocrisie ! Dareen est un sang-mêlé !

— Ton cousin est un O'Riyerdan et aucun sang de vampire ne coule dans ses veines. De plus, je suis un bâtard.

— C'est d'autant plus malhonnête ! Et Lucius Daas sera probablement là !

Erwann retrousse son nez en abimant la commissure de ses lèvres vers le bas. Je me morigène intérieurement d'évoquer le nom de cette créature perverse en sa présence. Lucius est celui qui a converti la mère d'Erwann pour en faire une folle sanguinaire.

— Pardon...

— Ce n'est rien. Tu devrais y aller. Ne fais pas attendre la furie.

Je presse son bras pour m'excuser encore, il baisse la tête et je le prend dans mes bras et il me serre plus fort encore en retour.

Lexique:

Aife : Prénom Gaélique, prononcé Ifa.

MacDhuibh : Forme Gaélique du patronyme MacDuff

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