PROLOGUE

6 minutes de lecture

- Usurpine Vulpine . Arcanine -

- 681 av JC


Arcaibh*

Je reprends mon souffle. L'excitation court encore dans mes veines quand je laisse retomber l'arme au sol. Les soldats sont presque tous sonnés, le dernier se tient la tête en gémissant de douleur. J'ai pris soin de n'en tuer aucun, ce n'était pourtant pas l'envie qui manquait.

Une fois la garde étrillée, je franchis les portes et me retrouve dans la grande salle de réception. Cette pièce où aurait dû se tenir un trône, selon les désirs de mon géniteur. Mais où seul le blason d'une famille déchue orne le mur.

Agneas entre dans la pièce, le front haut et le port altier, comme son habitude, elle s'avance jusqu'à me faire face.

C'est la première fois que son regard exprime autre chose que du mépris. Une forme de reconnaissance, de soulagement peut être, mais au demeurant, teinté de son éternel primauté. Que m'importe, j'ai l'assurance d'une seule chose en cet instant : elle ne me dénoncera pas.

Bien au contraire. Passant sa lourde tresse blonde sur son épaule, elle fait un pas de coté pour me laisser passer en hochant la tête, ultime signe d'assentiment. C'est la dernière chose venant d'elle que j'emporte avec moi. Ma sœur ne m'aura pas haï jusqu'à la fin.

J'ai pris peu de choses avec moi. Je n'aurais besoin de rien là où je me rends. Une fois que je serais enfin chez moi. Car je n'appartiens ni à cet endroit, ni à cette terre.

À ce père qui croit pouvoir se servir de moi afin de servir ses intérêts. Afin de recouvrer sa gloire perdue.

La brèche ne se trouve qu'à quelques kilomètres de là, je chevauche durant plusieurs heures avant de rejoindre la plage. Une fois sur place, je donne une claque à ma monture pour l'enjoindre à repartir dans l'autre sens.

Je lève les yeux sur l'horizon, le vent caresse mon visage alors que mon cœur se gonfle déjà d'allégresse. Je vais enfin pouvoir rentrer chez moi.

Le crépuscule approche, c'est le moment propice afin de rejoindre l'autre coté. Je m'avance le long de la côte à la recherche du point d'entrée.

C'est étrange... le voile demeure invisible et je ne perçois même pas son essence...

La nuit tombe et la fraicheur s'installe, portée par les embruns de la mer. Toujours aucun signe du portail. Le Sidh est fermé, c'est même comme s'il n'avait jamais existé.

Màthair* ?

Je pince les lèvres, incertain de la raison de ce silence. Elle devrait pourtant sentir ma présence. Je décide de dormir sur place, elle finira bien par se manifester. Toutes ces années passées sur terre n'ont décemment put annihiler le souvenir de son fils. La Déesse n'est en rien comparable à tous ces immortels belliqueux des autres mondes.

Je suis tiré de mon sommeil par une fragrance capiteuse, mélange entêtant de verveine et d'aubépine. En ouvrant les yeux, j'aperçois la main de ma mère qui plonge ses doigts dans mes cheveux avant de me caresser la joue. Son sourire est bienveillant, mais j'y discerne une mélancolie que je ne lui ai jamais connue.

— Pourquoi es-tu venu ici, Gwendal ?

Elle me parle dans la langue commune. Mes sourcils se rejoignent tandis que je me redresse pour lui répondre :

— Je suis prêt à rentrer chez nous, màthair, il n'y a rien qui m'attache à la terre des hommes.

— Ton père a besoin de toi. Il veut t'offrir un...
— Je n'ai que faire du trône qu'il entend m'octroyer !
Elle baisse les yeux un instant avant d’enchevêtrer ses doigts aux miens pour mieux presser ma main contre son cœur.
— Tu n'y es pas forcé, mais apprend à le connaître.
— Cet elfe est tout ce qu'il y a de plus vaniteux et colérique, il n'y a rien de bon en lui, màthair, je ne veux rien de lui, je veux simplement rentrer. J'ignore même pourquoi tu as tenu à ce que je le rencontre.

Les iris maternels plongent dans les miens et ses ongles s'enfoncent presque dans mes phalanges.

— Tu ne peux pas.

Je reste interdit durant un instant. Un rire nerveux et bref fend ma figure en deux :

— Comment ? Pour quelle raison ?

Je vois dans son regard qu'elle donnerait tout pour ne pas répondre à cette question.

— Parce que j'ai fait une promesse.
La culpabilité dévore les traits de son visage.
— Que me caches-tu ?
Elle redresse le menton, déterminée :
— J'ai une dette envers Iain MacRuari et je ne peux me dédire de ma parole.
— Alors c'est cela ? Je dois payer pour la faute que tu as commise le jour où tu as violenté cet homme et en a fait mon géniteur ?

Ma mère reste roide, mais ses pupilles cillent sensiblement. Si elle n'avait pas les cheveux auburn, elle ressemblerait tant à Lucifer en cet instant. Mon frère ainé si mal-aimé.

— Je le fais pour ton bien, m'assène-t-elle.

— Non, tu le fais pour ta conscience.


— Mon honneur est en jeu !


— Un honneur qui prévaut sur l'amour de ton fils ! Tu n'as jamais tendu la main à Lucifer lorsque son propre père le répudiais et aujourd'hui tu prétends m’empêcher de rentrer chez moi, après des siècles d'exil, en paiement d'une dette ? Je n'y crois pas un instant.


— J'essaie de te préserver, Gwendal, fais moi confiance.


Je relâche sa main avec dédain. C'est la peine qui brille dans ses yeux. Elle tente une nouvelle fois d'atteindre ma joue mais je reflue prestement :

— Qui crois-tu leurrer, mère ? Je ne suis dupe de rien. Je m'avance, menaçant :
— Et j'exige de rejoindre le Sidh.
— C'est impossible.

Mon regard se porte par dessus son épaule. La brèche est là, dessinée sur les parois rocheuses, ouverte et vibrante d'énergie. Je suis à moins de deux mètres de mon foyer.

— Qui va m'en empêcher ? Toi ?

Ce n'est pas en son pouvoir. Elle ne peut me contraindre et elle le sait. Je suis Gwendal Auj'Duibhne MacRuari, fils de la Déesse, né sur les rives du Sidh, j'appartiens au Sidh. Même elle, la grande Déesse, ne peut lutter contre ma volonté.

Je la dépasse pour atteindre la faille par laquelle elle est venue, mais elle m'attrape le poignet d'une main de fer :

— Gwendal, je t'en conjure.
— Lâche moi !
Elle n'en fait rien, aussi, je récupère brutalement mon bras avant de poursuivre mon chemin. Elle accourt devant moi pour me barrer la route. Je m'agace :

— Écarte-toi !

Elle tente encore de me faire reculer, en vain. Je la repousse une ultime fois avant de tendre la main sur la surface de l'eau qui coule sur l'arcade s'ouvrant sur le Sidh.

La vérité assiège ma mémoire.


Conor*.


Des images abreuvent mes pensées.

Ma mère tient la dépouille inerte et consumée de mon frère jumeau. Ses boucles blondes ne sont plus qu'un souvenir. Elle m'explique la faute de Lucifer, sa punition divine, sa malédiction. Il l'a brulé vif, par accident...

Je ressens à nouveau mes genoux s'échouant sur le sol, la douleur atroce déchirant ma chair.

Je retrouve la réalité et me tourne vers ma mère, dont l'expression est plus désolée que jamais. Je recule, effrayé par ces souvenirs arrachés à mon âme qui refont surface.

Ma mère m'a volé la mémoire de mon frère, Conor. Elle a fait en sorte que j'oublie jusqu'à son existence.

— Dis moi que ce n'est pas vrai ?


Elle secoue la tête en serrant les lèvres :


— Tu n'aurais jamais dû...


— Comment ?


— Ezhekhiel. Tes souvenirs devaient rester au Sidh pour l'éternité. Emmurer dans cette infime part de toi, je pouvais t'épargner cette peine qui te rongeait. Oh, Gwendal, tu as passé tant de millénaires à te détruire. Toutes ces guerres et cette peine que tu t'infligeais. Je ne pouvais plus te regarder souffrir de la sorte. Je ne le supportais plus.

Je la contemple comme si je ne la reconnaissais pas.

— Taire les morts, est-ce cela qui nous les rends moins douloureux ?

— Je suis terriblement désolée.


— Le pacte est rompu, deviné-je.


— En touchant la surface du Sidh, tu as brisé la magie d'Ezhekhiel.


Maintenant, je me souviens, et la douleur revient.

Lexique :

Arcaibh (Gaélique écossais) Les Orcades – Archipel d'îles du nord de l'Écosse.

Mathair (Gaélique) Mère, prononcer Måhere.

Conor Lire le prologue du roman "Les mondes en cage, livre I".

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