02 – Le discours, partie 4 :

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Pas de sot de cabri, pas de geste agile pour se redresser, pas de surpuissante contraction de saillants abdominaux occasionnant un bond hors du commun… non, rien de tout ça, rien d’extraordinaire ne se produisit, rien de surhumain n’eut lieu.

Pas même de charge héroïque, non plus une petite attaque tout en grâce ou en délicatesse ; la charge frénétique s'avéra finalement discrète et sans ardeur.

Toujours ventre à terre, le Capitaine tendit le bras et, le couteau bien en main, sectionna le tendon d’Achille de ce beau parleur de Face.

Ainsi, l’ultime phase débuta et se termina par un geste fourbe, sans honneur mais diablement efficace.

Surpris par l’effroyable douleur lui irradiant toute la jambe jusqu’au bas-ventre et lui vrillant le cerveau, Face s’effondra tout en gêne et tout en lourdeur en aspirant tout l’air possible au point que plus aucun son ne sortit de sa bouche pourtant toute grande ouverte. Abasourdie, la foule s’arrêta elle aussi de vociférer.

C’est alors que, dans le silence le plus total, le Capitaine, désinvolte mais tout en prestance, en profita pour se relever sans se presser. La lame souillée du couteau, nonchalamment pointée vers le sol, laissa poindre une goutte de sang sur sa botte. Le ploc qui s’en suivit résonna dans ce mutisme ambiant tel un coup de tonnerre. Pour toute réaction, le Capitaine se contenta de baisser les yeux pour admirer le gracieux motif tout juste formé ; pleinement satisfait, il hocha la tête lorsqu’une seconde goutte décora à nouveau sa botte.

Les minutes auraient pu s’écouler ainsi sans que rien ne se passe, chacun planté à attendre qu’un chef naturel prenne l’ascendant et se manifeste. Naturellement, il ne se passa que quelques petites secondes, avant que le Capitaine, d’une voix autoritaire, prenne la parole :

Rentrer, réparer, vous n’avez donc que ces deux mots là à la bouche ? Vous me faites honte ! Tous autant que vous êtes ! J’admettrais bien volontiers ma part de responsabilité mais… vous…. vous… regardez-vous ! Bande de pleutres vous ne savez que chouiner ! Vous m’êtes redevables, je vous ai tout appris mais vous n’avez, à l’image de Fac… de ce parasite qui couine à mes pieds, rien retenu ! Il parle, bavasse, jacasse, en appelle à la révolte et au final regardez-le : aucune dignité, il est là à geindre et à se contorsionner. Vous en conviendrez, il n’a pas sa place ici.

Sans autre cérémonie, le Capitaine se pencha et, sans manquer de fixer Face, lui enfonça avec application son couteau dans la pomme d’Adam.

« Face, c’est officiel, je me sens mieux. »

Lorsque le Capitaine retira sa lame, sans omettre de la pivoter, le sang ne gicla pas, une simple flaque noirâtre s’agrandit sous la tête de Face qui, les yeux écarquillés, convulsait en se serrant la gorge.

Subjugués par cette subite mise à mort, somme toute épatés par ce duel gagné sans combattre, les pirates se contentèrent d’assister passivement au spectacle jusqu’à la mort de celui qui, encore quelques secondes plus tôt, les invectivait.

Tout était allé vite, en décontenançant les siens, le Capitaine avait obtenu un sursis mais, réaliste, il savait le temps compté avant que les esprits se reprennent et s'échauffent. Hors de question que cela se produise, cette fois-ci d’un geste vif et précis, il s’élança sur sa gauche et pointa fermement son couteau droit sur le cœur de son tout premier agresseur.

« Gauche, tu as voulu entrer dans le jeu, me voilà. »

Dois-je continuer à vous apprendre les bonnes manières, un par un ?

Personne ne répondit, encore moins Gauche, bien conscient que sa survie dépendait de son immobilisme et de son impassibilité.

Nous avons donc deux options, soit je le tue, me retourne contre vous et emporterai dans ma tombe le plus grand nombre, déclara le Capitaine sans exposer la seconde option pour que tous assimilent bien la présente menace.

Soit ?

Alors que le Capitaine présentait un mouvement de foule, alors qu’il s’attendait à attendre une voix glaçante ordonner de le tuer, alors que jusque-là il visualisait les pirates se jeter sur lui avec pour seule envie l’éviscérer, il comprit avec ce simple mot, ce petit "soit" anodin, qu’un dialogue possiblement salutaire s’engageait ; ce nouvel avenir entrevu, ne lui restait plus qu’à mener le jeu, à influencer quitte à mentir, à ne pas se tromper, à faire preuve de charisme, à choisir le bon argumentaire et à être persuasif, quitte à tromper. En somme, à lui d’être lui-même et de délivrer son plus beau discours pour sauver sa peau.

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