02 – Le discours, partie 5 :

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Après trois raclements de gorge, lui laissant ainsi le temps nécessaire à la réflexion, le Capitaine s’élança et exposa sa mirifique option :

Allons chercher l’or que je vous ai promis lorsque nous avons embarqué.

Allons bon ! Il est fou je vous dis, il nous mènera à notre propre perte ! s’écria un pirate bien caché au milieu de la foule.

« C’est ça, Peureux, égosille-toi sans que je ne puisse te voir. »

Je vous ai promis de L’OR et nous irons le chercher ! persista-t-il.

À d’autres, tu ne me la feras pas !

« Putain, Peureux, tu vas continuer encore longtemps à me les briser ? »

Montre-toi et si tu l’oses viens donc me dire en face le fond de ta pensée !

Peureux ne se déplaça pas, ne se dévoila pas et, d’ailleurs, sage décision, ne reprit plus la parole.

« Te voilà bien avisé, Peureux, car je suis de nature rancunière. Mais je loue ta perspicacité, tu as visé juste, je vous mènerai tous à votre propre perte, soyez-en sûrs. »

Regarde donc l’état du navire, je ne veux pas finir au fond de l’eau, osa reprendre un autre membre de l’équipage d'une voix plus modérée.

Abruti, crois-tu donc que j’ai une quelconque envie de nager ?

Ça suffit ! tonna soudainement le Lieutenant en avançant au devant de la foule.

Oh, surprise, enfin tu te montres. Tu t’es fait discret, jusque-là… Mais je suis heureux de voir qu’à toi, bien inspiré sois-tu, l’or te parle.

Détrompe-toi, je neme fais plus aucune illusion quant à ton prétendu or.

D’accord, tu as choisi ton camp…

Tu serais bien naïf de croire que nous n’avons pas décidé de ton sort pendant que tu te cachais dans ta cabine.

Crois-tu que je me cachais ? Vraiment ? Moi, me cacher ? Pourquoi aurais-je besoin de me cacher ?

Parce que tu ruminais la défaite, je ne te connais que trop bien.

Et en quoi ruminer est similaire à se cacher ?!

Je ne veux pas m’engager dans une de tes interminables discussions, vieux roublard. Alors, appelle ça comme tu veux mais, sache que, pendant que tu ruminais, pendant que tu te cachais, pendant que tu te saoulais ou pendant que tu t’occupais de je ne sais quoi, nous avons tranché.

Je suis tout ouïe, Lieutenant. Dis-moi, quelle est la sentence ?

Je pense être le plus apte à retrouver notre route et à nous ramener sain et sauf avant de…

Avant de quoi ?! s’énerva le Capitaine. Tu veux t’approprier MON navire, c’est ça, hein ?! Avant de reprendre la mer pour…

Sais-tu seulement où nous sommes ?! ne se démonta pas le Lieutenant qui, lui aussi, savait parfaitement jouer au jeu du "je coupe la parole".

Le Capitaine le foudroya du regard ; bien entendu que pour l’instant ils erraient, Dieu seul savait où, au milieu de nulle part. Agacé par cette vérité rappelée à tous, il serra plus fort encore le manche du couteau, toujours pointé sur Gauche, avec pour seule envie le lancer violemment dans l’œil du Lieutenant.

Capitaine, Lieutenant, puis-je prendre la parole ? se hasarda un jeune pirate quelque peu chétif qui, se frayant un passage parmi ses congénères, se porta à leur hauteur et leva timidement la main.

Nous ne t’avons pas sonné. Alors laisse les grands parler et résoudre les problèmes, le tança le Lieutenant.

« Tiens, cet Avorton me donne du capitaine et sollicite ma permission, aurais-je trouvé un allié ? »

Parle ! Je sens que tu as de solides arguments à porter à notre connaissance.

La raison veut que nous rentrions, le bateau ne résistera pas à un nouvel abordage.

« Quel con, pourquoi ne lui ai-je pas dit de se taire ? »

Exactement ! dit le Lieutenant, saluant ainsi la bien belle prestation d’Avorton.

Poursuis, car il y a forcément un "mais", tu n’aurais tout de même pas demandé à prendre la parole pour annoncer ces balivernes que tous ici avancent depuis déjà bien trop longtemps, n’est-ce pas ? osa espérer le Capitaine.

Mais… commença Avorton quelque peu apeuré.

Parle ! le somma le Lieutenant.

Mais bien que tous ici ayez raison, le Capitaine ne nous a jamais menti, nous avons subi un revers mais des richesses étaient bel et bien présentes sur le bateau ennemi. La raison veut que nous rentrions…

Tu te répètes, passe rapidement à la suite, le pressa le Capitaine.

Euh… mais la raison est-elle le propre des pirates ? Sommes-nous devenus des flibustiers pour être prudents ? Sommes-nous montés à bord de ce vaisseau pour suivre aveuglément un dégénéré suicidaire ? Non ! Non ! Et Non ! Nous avons fait confiance au Capitaine, pourquoi ne serais-ce plus le cas aujourd’hui ? Parce qu’il s’est caché dans sa cabine pendant trois jours ?

Je ruminais… je ne me suis pas…

Parce qu’il a pris le temps de digérer la défaite ? poursuivit Avorton sans renchérir sur la précédente remarque. Parce qu’il a repensé l’avenir, a concocté un autre plan ? Vous aussi avez pris le temps, vous aussi l’avez bue cette défaite, vous l’avez plus que décortiquée, vous l’avez encore bien bue, vous l’avez encore bien commentée, jusqu’à ce que vous, VOUS, trouviez celui sur qui vous venger ! Alors oui, le Capitaine n’était pas présent pour se défendre et n’était pas là pour vous redonner du baume au cœur ; oui, il a mis du temps à se montrer. Et alors oui, il vous était aisé de le condamner, mais beaucoup moins aujourd’hui qu’il se tient là, fièrement, devant vous, à vous dire qu’il compte, pour notre bien à tous, reprendre les rênes ! Pourquoi désirez-vous sa mort ? Pour une défaite parmi tant d’autres ? Vous en avez déjà vécues et vous n’avez pas tué tous vos capitaines, si ? Vous a-t-il seulement trahis ? La défaite est collective, l’or était à portée de main, mais il nous a été impossible de le saisir, l’ennemi était trop fort…

Tu t’emportes trop, le coupa le Lieutenant. Le Capitaine nous a conduits droit dans une impasse et il aurait dû le savoir. Certains d’entre nous ont péri…

Ils sont morts dignement, ils sont mort comme ils ont vécu, en pirates, ils étaient, eux, de vrais pirates ! contre-attaqua le Capitaine. J’avais foi en eux, je n’ai pas sous-estimé l’ennemi, mais vous je vous ai surestimés ! Rassurez-vous, je vous ai surestimés parce que, messieurs les pirates, brave, vaillant et téméraire équipage, vous ne m’avez jamais déçu – « simplement déshonoré et humilié » – , j’ai ma part de responsabilité – « avalez donc mes couleuvres » – et c’est non sans courage – « donc avec une réelle faiblesse » – que nous avons…

Réussi à nous échapper, lorsque le Capitaine a jugé la situation critique ! continua pour lui Avorton.

Vous me connaissez, moi vivant jamais je ne fuirai ! Plutôt mourir que subir cet affront. D’où le fait que je rumine… sur le sens du restant de ma misérable vie… pendant trois jours.

Tu vas me faire pleurer, Capitaine. Moi, j’en retiens seulement que, quoique tu en dises, nous avons fui la queue entre les jambes, constata d’une voix placide le Lieutenant.

Non ! s’emporta Avorton,

Non ? Euh, non ! relança le Capitaine.

Non ! répéta Avorton. Du moins si.

Si ! Euh, si ? Attends, rassure-moi, il y a encore un "mais", non ? interrogea le Capitaine qui, petit à petit, perdait un peu le fil de la discussion.

Mais oui.

Mais oui… oui quoi ? demanda-t-il maintenant totalement perdu. Oui il y a un "mais" ?

Oui, mais, oui… vous me perturbez, Capitaine.

Souhaites-tu prendre la place de Gauche ? Un couteau pointé sur le cœur te permettrait-il de rester concentré ?

Non… je…

Le Capitaine a peut-être raison, peut-être même qu’un couteau droit dans le cœur te permettrait d’éviter de trop t’égarer, déclara le Lieutenant qui comprenait, lui, que le discours d’Avorton risquait à force de semer le doute dans l’esprit de l’équipage.

Je ne tue pas les miens pour un simple désaccord, voyons ! Continue, Avor… Continue, jeune homme, ton discours semble être porteur.

Mais oui…

Par contre ne recommence pas avec tes "mais" incompréhensibles à répétition qui commencent réellement à m’exaspérer.

Pardon. Nous avons fui, plutôt nous avons réussi à échapper à une mort certaine parce que le Capitaine a su nous tirer, entre autre de part ses qualités de navigation, de la mauvaise posture dans laquelle nous étions. Alors oui, certains appelleront ça fuir et peut-être même que le Capitaine assimile aussi, à son grand dam, cela à une fuite. Mais en réalité, de part ce que moi j’appellerais un retrait tactique, le Capitaine nous a sauvé la vie !

Et d’ailleurs, observer cette courte escarmouche m’a fait comprendre que les pertes seraient bien trop importantes en comparaison du butin final. Votre vie n’a pas de prix, mes amis !

Ne vous laissez pas embobiner ! lança le Lieutenant. Ces deux là font la paire, ils essayent de…

De quoi ? s’insurgea le Capitaine. De vous dire la vérité ? De vous ouvrir les yeux ? De vous faire comprendre que je ne vous veux que du bien ? Je suis dans la même posture que vous ! Je suis sur le même bateau que vous ! J’ai les mêmes aspirations que vous ! Nous sommes des pirates, nous voulons nous enrichir, nous ne devons pas décevoir les nôtres, nos chères et bien aimées familles, alors oui nous avons perdu et alors oui… oui, j’aurais dû en tant que capitaine partir dans l’au-delà avec les miens.

Le Capitaine baissa la tête et, sentant la situation évoluer en sa faveur, il alla même jusqu’à abaisser le bras et ne plus tenir Gauche en otage.

Non vous n’auriez pas dû mourir, bien sûr que non, Capitaine. Vous m’avez sauvé ainsi que tous ceux qui sont là devant vous. Vous pouvez en être fier. Et maintenant, votre destinée est de nous conduire à cet or que vous nous promettez. Et je sais que je peux, plutôt devrais-je dire que nous pouvons, avoir confiance en vous, déclara Avorton en guise de conclusion.

Jeune homme, n’en doute pas et n’en doute jamais – « Saint Diable, vais-je m’en tirer à si bon compte grâce à un pur imbécile sorti du diable Vauvert ? ». Ainsi vous comprenez donc qu’en prenant la fuite, j’ai renié mes convictions pour vous sauver. Désormais ma vie vous appartient, car au fond de moi je suis déjà mort… le Capitaine s’essuya les yeux. Mais je veux revivre, je ne veux pas mourir en paria, je veux que vous compreniez que vous êtes tout pour moi, je veux honorer, pour me racheter, les promesses que je vous ai faites lorsque vous avez embarqué sur MON navire.

Puis, relevant la tête et fixant le plus grand nombre :

Comme cet Avorton, accordez-moi une fois de plus votre confiance et je saurai vous rendre riche !

Avorton ? s’étonna Avorton.

« Merde, ça m’a échappé ».

Un terme amical pour un jeune homme clairvoyant, voyons !

Euh… si vous le dites…

De son côté, secouant la tête de droite à gauche, le Lieutenant n’entendait pas être si dupe :

Le bateau est à la dérive ! Trop d’entre nous sont morts et tu penses réellement que nous avons une chance de nous emparer de quoi que ce soit ?! Pas à nous, Capitaine, tu nous la fais à l’envers.

« Putain de Lieutenant à la con, va me faire chier encore longtemps ?! »

Nous ne rentrerons pas, pas avant que les cales soient saturées d’or ! martela-t-il.

Nous ne rentrons pas ! reprit en cœur Avorton.

Nous rentrons, les contredit le Lieutenant en portant sa main sur la garde de son épée.

La discussion tourne en rond et n’a que trop duré.

En effet, Capitaine.

Moi, je veux rendre l’équipage riche, tandis que toi, tu souhaites les faire retourner, sains et saufs comme tu le prétends, dans leur foyer.

Mais…

Avorton, tu nous emmerdes avec tes " mais", s’énervèrent à l’unissons le Capitaine et le Lieutenant.

Pourtant… tenta-t-il. Et puisque ils ne le reprirent pas, il continua. Pourtant rentrer pauvre ne nous garantira pas de survivre bien longtemps.

Avorton est, de toute évidence, de ton côté, dit le Lieutenant en le fixant du regard. Tous deux allaient finir par tous nous conduire à notre perte !

Avant je t’aimais bien, tu sais, mais aujourd’hui je décèle ta véritable nature. Tu veux mon poste, tu veux mon bateau. Tu veux ma place.

Ce que je veux c’est vivre et ne plus me faire duper ! Je ne veux plus d’un capitaine qui nous guide sur des missions suicidaires !

Dans ce cas, je ne vois qu’une seule regrettable issue.

Je vois où tu veux en venir.

La seule issue est donc un duel. Si je gagne, à nous la fortune. Si tu gagnes, à toi mon bateau.

Ça me va !

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