02 – Le discours, partie 3 :

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Pour lui plus rien, si ce n’est le néant, jusqu’à ce que, après une dizaine de secondes de perte de connaissance, il reprenne petit à petit ses esprits pour constater qu’il se retrouvait étendu à plat ventre la face collée au pont du bateau. Cinq secondes de réflexion lui permirent de remettre de l’ordre dans ses idées et se remémorer les deux fulgurants coups reçus.

« Bigre, m’ont pas loupé. »

Alors qu’il portait une main sur l’arrière de son crâne, là où la douleur se faisait ressentir, ses doigts rencontrèrent une jolie bosse déjà bien dessinée. La zone étant légèrement sensible, il arrêta rapidement le massage tout juste entrepris et se concentra sur sa mâchoire.

Ah… putain…, gémit-il pendant qu’il s’évertuait à la bouger délicatement de droite à gauche.

Ça y est, tu reprends vie, vieux débris ?

« Face, Face, Face… oui je reprends vie, et déjà je t’entends brailler… »

Le Capitaine n’alla pas plus loin dans ses pensées, préférant se concentrer et se focaliser sur l’évaluation et la gravité de ses blessures.

Tout compte fait, je regretterais presque de ne pas t’avoir affronté tout seul, déclara Face toujours prompt à le défier. Puis, d'un ton plus haut pour que ses mots détracteurs soient entendus de tous, il entreprit d’haranguer la foule. C’est donc ça ? C’était donc ça, notre valeureux capitaine ? Voyez, voyez tous qui gît, ici, à mes pieds, après seulement deux malheureux coups ! Deux, malheureux, coups !

« C’est ça, insiste pour mieux me rabaisser… »

Notez donc qu’il n’aura pas fallu longtemps pour qu’il s’allonge et morde la poussière.

« Vas-y, bavasse, bavasse, ça va me laisser deux minutes pour récupérer et, ensuite, tu vas vite t’apercevoir qu’il ne me faudra pas longtemps pour me relever. »

Regardez ce pitoyable spectacle, regardez : il a la bave aux lèvres !

Il n’en fallu pas plus pour déclencher l’hilarité de tous.

« Je bave ? Oui, je crois que je bave… Fichus bâtards, riez, riez à gorge déployée, tant que vous le pouvez ! »

C’était donc lui, notre pitoyable capitaine... Et nous voilà étonnés, de nous retrouver là où nous en sommes ? Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes !

Dans la foule s’entremêlèrent des grognements, des murmures et des échanges engagés d’où le Capitaine retenu des bribes telles que : « oui, bien parlé », « couard, lâche, faible », « jetons-le par dessus bord », ou encore « tout ça est de sa faute, il mérite bien le sort qui l'attend ».

L’idée générale de la foule était évidente, il n’en fut guère surpris ; tous voulaient sa peau et, dans le flot, il ne pouvait espérer un quelconque soutien.

« Force m’est de constater que la suite risque de s’avérer compliquée... »

Pirates, il est temps d’en finir, débarrassons-nous de lui, choisissons-nous un successeur et rentrons chez nous !

Allons retrouver les nôtres !

Rentrons auprès de nos chères grivoises et prenons ensuite le temps de réparer.

Oui, rentrons prendre du bon temps, nous reprendrons la mer bien assez tôt !

Ce qu’avait prédit le Capitaine se confirma de parole en parole : les pleutres souhaitaient retrouver leur engeance, ne digéraient pas la défaite, n’envisageaient aucune remise en question et ne semblaient guère se soucier de leur misérable condition… bien entendu, il leur fallait trouver un coupable.

« Je suis votre bouc émissaire, c’est bien ça ? Je suis celui qui portera vos fautes ? Je suis celui sur qui tout retombera ? Et bien non, non, je tiendrai pas ce rôle ! Je ne serai pas votre Mésie, je n’accepte pas votre crucifixion et ne suis pas volontaire pour racheter vos pêchés ! Vous les paierez vous-mêmes, vous les paierez cher et les emporterez au Diable ! »

Le rhum a de bon que la douleur, lorsqu’elle est ressentie, ne dure pas. Trois jours que le Capitaine s’hydratait de la sorte, qu’il mangeait de la sorte, trois jours qu’il s’adonnait pieusement à ce vertueux breuvage. Il avait espéré que Face, ce sombre nigaud, jacasserait au moins deux minutes, pour que la potion fasse son œuvre. Elle fonctionna finalement si bien qu’il ne lui fallut qu’une minute trente pour sentir un nouveau souffle de vie l’envahir et pour que l’envie de résister et se révolter le gagne. Loin d’être connu pour avoir l’alcool joyeux, un besoin destructeur ponctué de rage et de fureur s’insinua également en lui.

Maudits bâtards, sans état d’âme, je vous déclare coupable, grommela le Capitaine.

Et, tel un mantra, il continua à marmonner :

— Maudits bâtards, vous allez goûter ma lame, je saurai être impitoyable.

Discrètement, il chercha dans son manteau le couteau dont il ne se séparait que rarement, pour ne pas dire jamais.

— Maudits bâtards, je viens chercher vos âmes, pour les offrir à mon divin Diable.

Rapidement, il saisit le manche en nacre dont le contact froid le réconforta et lui confirma la suite à venir.

Maudits bâtards, à vos dépens, voyez, voyez tous qui, ici, se couchera à mes pieds, le sang au coin des lèvres, une fois ma lame enfoncée au plus profond de vos gorges !

Doucement, il sortit son couteau, dont la longue, large et sinistre lame affûtée s’apprêtait à entrer en scène pour danser, valser, perforer, trancher…


« Allez, mise en place de l'ultime phase : ma frénésie suicidaire. »

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