Baraque 7

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Début août, les journées s'élongeaient encore. Les journées étaient d'autant plus longue que le thermostat ne baissait pas la nuit, et que dans le village, malgré que chacun gardait ses fenêtres ouvertes, les nuits étaient inconfortables et nombreux étaient ceux qui se réveillaient déjà recouvert d'une sueur collante. 

Tom avait lui aussi évité les bars, se cantonnant à la caserne, traînant entre collègues militaires. Après réflexion, il avait décidé d'arrêter de se terrer parmi les treillis et de profiter, lui aussi, de la belle saison. Il sortait de quelques années particulièrement difficiles, il avait eu beaucoup de mal à donner du sens à son existence, à trouver une direction. Il avait beaucoup cherché, beaucoup rejeté les gens autour de lui. Quand la souffrance retrouvait son chemin vers lui, sinueuse et sifflante, il se terrait dans le silence, dans la colère qu'il parvenait tant bien que mal à contrôler grâce au sport, et grâce au lever de drapeau, chaque matin sans exception, peu importe la saison ou le temps, quoiqu'il se passe dans sa vie. Il était apaisé par cette régularité, par le fait de savoir qu'au moins une chose dans sa vie  s'approchait de la permanence. Quand la vie devenait trop dure, il appréciait ne pas devoir réfléchir. Dans la caserne, il était nourrit et logée par des bonnes fées invisibles. Il était mis au garde à vous, et ne décidait ni de l'heure du lever, ni de celle du coucher. Souvent épuisé par ses journées, particulièrement pendant les saisons aux températures extrêmes, il n'avait aucun mal à s'endormir. Sitôt couché, Morphée posait un voile opaque sur ses yeux avant de le recueillir dans ses bras comme une mère. Autour de lui il n'y avait que des semblables, tous habillés pareil, et tous portant les mêmes valeurs. La camaraderie qui se tissait entre eux immédiatement était renforcé par leur appartenance contractuelle à l'armée, passé les différentes périodes d'essai, ils étaient liés par la signature sur les pointillés en bas de la feuille. Il s'épanouissant donc dans ce milieu qui l'avait recueilli comme une famille d'accueil. La perspective de partir en Afghanistan le réjouissait, même s'il savait que cet enthousiasme pouvait déstabiliser le gens autour de lui. C'est là-bas que son métier prendrait tout son sens. Il entendait depuis des années les histoires de ses supérieurs, collègues. Ils racontaient les crasses qu'ils se faisaient subir avec tendresse, le désert, les afghans, les fratries qui naissaient. De là à parler d'un sujet commun et facile à aborder, non. Les horreurs restaient tues, plus pour ne pas y penser que pour ne pas les dire. Il estimait qu'après des années de formations et de travail sur le sol européen, il était temps de réaliser ce à quoi il aspirait. Dans les rangs de l'armée, il avait pu suivre une formation médicale qui lui permettrait d'épauler ses collègues soignants et blessés une fois sur le terrain. Tom aimait l'adrénaline, on peut y être addict paraît-il et voulait bien le croire. Il ne loupait jamais un shot lorsqu'il se présentait. Sous la pression, plutôt que d'être paralysée et impuissant, il rayonnait. La drogue courait dans ses veines et ouvrait grand ses yeux, rendait son esprit affuté et précis. Il pouvait prendre des décisions, aussi difficiles soient-elles dans une lucidité surprenante. Il pouvait déplacer des montagnes et nager à contre-courant des fleuves les plus agités. C'était une qualité que l'armée récompensait et appréciait, mais cela rendait le quotidien lourd. Il carburait au stress et à la pression, et était en permanente en recherche de ce bouillonnement. Il avait donc rechigné peu de temps avant, comme un challenge, de décider de recommencer à sortir dans des cercles qu'il avait en commun avec elle. Alex. 

Les quelques jours après leurs étreintes avaient été particuliers. Son esprit le forçait à réfléchir ce qu'il évitait en général de faire trop longtemps. D'habitude l'instigateur de ce genre d'épisodes, il s'était fait surprendre à son propre jeu. Il avait cru un moment que coucher avec elle le soulagerait de la pression qui s'accumulait autour d'elle depuis quelques temps, et que comme il le faisait d'ordinaire, il se détournerait pour se concentrer sur une nouvelle distraction, sur une activité nouvelle qui lui permettrait de se challenger par des sensations encore inconnues. Il avait remarqué qu'Alex n'avait pas hésité longtemps avant d'accepter qu'il la ramène. Il avait trouvé cela assez séduisant, parfois il aimait le défi, le jeu entre un homme et une femme lorsque l'un et l'autre savent parfaitement où va mener la soirée. Mais il savait qu'en l'occurrence rien n'était prévu ou prévisible, et si il avait été interloqué une seconde lorsqu'elle avait emboîté  ses pas pour regagner le 4x4, il avait aimé cette spontanéité mais aussi la confiance qu'elle lui portait. Elle savait qu'elle ne risquait rien avec lui. Tom avait la petite idée qu'elle avait accepté par curiosité, pour voir où cela mènerait, comme un défi personnel. Il était presque effrayé par cette perspective, cela voudrait dire qu'ils se ressemblaient plus qu'il ne pensait. Du peu qu'il avait vu, elle était très honnête dans ses opinions, qu'elle pouvait balancer sans ménagement sur la table pour voir quelle carte son opposant allait pouvoir jouer. Il soupçonnait que l'adversaire devait souvent coucher ses cartes face à elle. Il était intrigué par ce côté de sa personnalité, et imaginait parfois avec malice le genre d'échanges passionnés qu'ils pourraient entretenir. 

Agathe, qu'il connaissait depuis qu'elle était bien plus jeune qu'elle ne l'était, insistait depuis leur dernière sortie pour qu'il se joigne à elle dans ses péripéties. Il entretenait avec elle un rapport fraternel uniquement, et la petite et pétillante jeune femme ne pourrait jamais déchaîner chez lui des passions comme il avait pu en connaître par le passé. Persuasive et agaçante, il avait fini par céder en promettant de se joindre à elle dans les jours qui suivent. Lors des événements d'Agathe, les âges pouvaient parfois se confondre sans que personne ne s'en offusque. C'était le lot probablement des villages de campagne, la population jeune étant déjà peu nombreuse, se répartir selon les âges des uns et des autres était du suicide social. Plusieurs fois déjà, et avec très peu de subtilité, Agathe lui avait parlé d'une jeune femme qui aurait pu l'intéresser, une certaine Capucine. Il avait déjà eu l'occasion d'échanger quelques mots avec elle à l'occasion d'une soirée chez Agathe. La soirée même ou il avait parlé à Alex pour la première fois. Elle était très flatteuse et était dans un état de séduction que l'on ne pouvait pas qualifier de subtil. Il n'allait pas démentir, il avait joué au même jeu pour se distraire, comme elle le faisait elle-même. Puis Alex était arrivée et Capucine ne comptait plus vraiment. Le jeu était terminé, et Tom ne cherchait plus à se distraire. Mais Agathe insistait sur l'évidence selon laquelle ils s'entendraient à merveille si il acceptait de se montrer un peu plus charmant, Capucine ayant un caractère trempé, mais surtout une réputation de charmeuse qu'il partageait aussi. 

Pour faire taire Agathe, il avait accepté sous la contrainte d'être le galant chauffeur de sa prétendante lors de la prochaine sortie qui, s'il avait bien compris, devait se dérouler chez Antoine, un garçon un peu plus âgé qu'Agathe, de 22 ans peut être. Le rendez-vous était pris. 

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