ARRIVÉS !

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Le lendemain, en chemin, Antranik ramassa une courte et petite pierre effilée qu'il cacha toute la journée sous son pagne, dans un endroit que la décence nous défend de préciser. Le soir même, alors que tous dormaient, il commença à scier sa corde à l'aide de sa pierre. Il procédait lentement, doucement, par gestes courts, à l'affût du moindre bruit. Parfois Léopoldus, qui était couché près de lui, était secoué de saccades, soulevait une paupière et gloussait d'une manière étrange. Antranik s'arrêtait net, persuadé que ce maudit oiseau procédait de quelque magie et était voué à lui nuire. Puis lorsque l'autruche redevenait silencieuse et immobile, il reprenait son ouvrage. Enfin, il parvint à rompre la corde.

Il se leva et commença à s'éloigner à pas délicats. Il était déjà sorti des limites du camp quand il entendit un craquement. Il se retourna. Léopoldus lui sauta dessus avec force caquètement, claquement de bec et autre coups de pattes. Giboin se précipita.

— Oh ! on dirait que Léopoldus n'a plus peur de vous. Voilà qui est une bonne nouvelle.

Antranik prétexta une urgence urinaire pour expliquer sa position éloignée, et Giboin feignit d'y croire, tandis que l'autruche glougloutait avec circonspection. Toujours est-il que le lendemain, l'autruche se montra plus coopérative. Elle prenait ce que l'autruchier lui donnait, se laissait brosser, se contentant de temps en temps d'un gloussement rauque ou d'un bec claqué sur un bout de doigt. Il s'agissait de montrer qui avait l'ascendant psychologique.

Un jour qu'ils gravissaient une colline, Léopoldus gambadant comme à son habitude devant, Antranik demanda :

— Toute les autruches sont-elles comme ça.

— Comme ça, quoi ?

— Eh bien, aussi farouche.

— Pour sûr, non ! Mais on reconnaît la valeur d'une autruche à son caractère, c'est ainsi. C'est pourquoi Léopoldus est très recherché.

Soudain l'autruche planta sa tête dans la terre.

— Mince, que lui arrive-t-il, demanda Antranik.

— Soyons sur nos gardes, quelque danger doit rôder.

Giboin tira une longue dague de sous sa robe, affermit la prise de son bâton et avança, aux aguets. Antranik lui emboîta le pas, doucement, puis le laissa prendre de l'avance en s'arrêtant au niveau de l'autruche, qui, toujours cul en l'air, avait la tête plantée dans la terre. Le silence était pesant. Un vent balayait la terre aride, soulevant des gerbes de poussières dans un bourdonnement constant. L'autruche était toujours immobile et Antranik se recroquevilla derrière les amples plumes de son fessier. Un peu plus haut, Giboin arriva en haut de la côte. Après avoir embrassé du regard l'horizon et s'être tourné, il s'écria :

— Ça y est, nous sommes arrivés, nous sommes à Patavia !


Tout au long de l'approche, Léopoldus tremblota. La bête n'était pas habituée aux villes, élevée qu'elle avait été au grand air dans des étendues plates et vides.
Pourtant Patavia ne payait pas de mine. Autour d'un palais famélique quelques maisons à toits plats se pressaient les unes contre les autres, et puis cernant le tout, il y avait un amas de toiles, de tentes, de campements improvisés où s'ébrouaient une multitude de silhouettes disparates et chatoyantes. Sur un côté de la ville, un peu à l'écart, un arc de triomphe en brique indiquait l'accès à l'amphithéâtre.
Giboin les mena à travers une foule composait d'une infinité de peuples, de professions, d'allures et de coutumes exotiques : des lettrés des Hautes-cités avec leur longs chapeaux ovoïdes côtoyaient de terribles guerriers des Confins avec leur étui pénien ; des artisans à la tunique crasseuse croisaient des marchands aux robes colorées ; de la soldatesque avinée bousculait des moines d'autant plus pacifique qu'ils étaient désarmés. Pour la première fois, Léopoldus n'ouvrit pas la marche, au contraire, Antranik dût le pousser pour qu'il avança.
« Voilà bien ce qu'il me faut, se dit Antranik, rien de tel qu'une bonne foule pour fausser compagnie à quelqu'un ! »
Ils allèrent directement s'inscrire sous une tente accoudée au palais, puis ressortirent de la ville pour établir leur campement. Là, Antranik vit le prévôt du village qu'il avait fui. Celui-ci venait à Patavia avec ces adjoints et quelques notables du village pour assister au concours. Le prévôt le regarda avec un demi sourire et lui fit un signe. D'abord il montra ses yeux puis désigna l'ancien condamné d'un index déterminé et joignit ses poignets. « Bon, il est urgent de temporiser », se dit Antranik
C'est ainsi que le premier soir, il décida de rester tranquille. Mais le deuxième jour, les choses s'accélèrent. Le concours commençait. C'était la présentation des concurrents.
Giboin ficha une plume dans le bonnet de Antranik et lui donna ses vêtements de parade. Alors qu'il vérifiait la tenue de son autruchier, il lui donna ses dernières consignes.
— Tu mèneras Léopoldus, moi, je serais derrière vous. Tu tiendras Léopoldus avec cette laisse que voici. Sois ferme, veille à ce qu'il se tienne tranquille. Et surtout prend des positions qui le mettent en valeur.
— En valeur ? Mais comment met-on en valeur une autruche ?
— Ma foi, c'est simple. Ecarte tes bras, pointe-les vers Léopoldus, fais des moulinets avec, ouvre la paume de tes mains, fais des zigouigouis avec tes doigts, ne lésine pas avec les mains, chaque détail compte, et aussi plie tes jambes, c'est très payant ça de plier les jambes, cela renforce l'impression de longueur des bras et la hauteur de l'autruche, il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir de suggestion des jambes pliées. Et surtout n'aies pas peur de tomber dans l'hyperbole, on n'en fait jamais trop !
— D'accord, mais le pagne mauve tu crois que c'est vraiment nécessaire ?
— Pour sûr ! Ce sont mes couleurs ! C'est à ça que l'on reconnaît mon autrucherie.
Antranik haussa les épaules et ils se mirent en route.

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