ENFERMÉ !

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Au milieu d’une plaine aride, se tenait une cage constituée de robustes barreaux de métal. Cette cage qu'un solide poteau de bois suspendait à trois mètres du sol, ne faisait pas plus d'un mètre de largeur pour un de longueur et ne dépassait pas le mètre cinquante quant à sa hauteur. On y était donc aisément à l'étroit. D'ailleurs, ça tombait plutôt bien, puisque c'était le but recherché. Elle était en effet la partie maîtresse d'un supplice issu d'une peine, elle-même émanation de ce que d'autres appelleraient la justice pénale d'une petite principauté aux limites des Confins Plats. A l'intérieur de cette cage, se trouvait notre bon héros Antranik.

Comment Antranik avait atterri là ? Qu'avait-il donc fait pour mériter pareil supplice ? Que lui reprochait-on exactement ? Quel sinistre crime avait-il commis ou de quelle triste injustice était-il la victime ? Peu importe, tel n'est pas notre propos...

Antranik est coutumier des menus larcins et autres vols bénins, sa vie n'est que rapines, duperies et forfaitures, qu'il se retrouve en pareille situation n'a donc rien d'étonnant et ne relève pas de l'exception. Sans doute avait-il chapardé quelque poule dans une ferme isolée, escroqué un paysan naïf ou encore frappé un enfant après lui avoir chipé son biscuit au miel.

Toujours est-il qu'ainsi cloîtré dans cette cage étroite, même pour son corps malingre, petit, velu et disgracieux, cela commençait à lasser. Surtout qu'il était enfermé depuis plusieurs jours, à la merci du soleil, de la pluie, du froid et du vent, avec pour seule protection un pagne crasseux. S'il voulait se soulager, déféquer, il n'avait pas d'autres choix que de le faire là, à trois mètres du sol, en prenant soin d'éviter les barreaux. Voilà qui était bien malcommode. Quant à sa pitance, le prévôt venait deux fois par jour la lui apporter. Il était souvent accompagné d'enfants rigolards qui avaient grande joie à assister à son repas. En effet le représentant de l'ordre lui lançait des gâteaux de riz, son plaisir étant de les lancer de toutes ses forces, à charge pour le supplicié de ne pas les faire tomber. Le prévôt, qui était un homme de cœur, aimait les enfants et ne dédaignait pas leur laisser le plaisir de lancer eux-mêmes la nourriture. Bien entendu, les enfants, qui sont toujours des êtres malicieux et facétieux, prenaient soin de viser la tête et aimaient à glisser dans les gâteaux de riz quelque gros cailloux bien contondants. Pour ce qui est de la soif, le prévôt lançait une petite outre, le but du jeu étant qu'elle se perce en s'accrochant aux crochets destinés à l'accueillir. Les repas de Antranik consistaient donc à manger des morceaux de riz flasques qui maculaient son corps et son visage tout en s'empressant de boire une eau qui filait par le trou de l'outre.

Il restait au condamné dix jours à purger. Ce temps lui paraissait affreusement long. Les sept premiers jours de sa peine avaient été terribles. Il avait perdu du poids, attrapé des coups de soleil le jour, pris froid la nuit, si bien qu'il toussait de manière pitoyable. Quoiqu'il ait fait, n'importe qui aurait eu pitié de lui, sauf dans ces contrées reculées faites de steppes arides et de taillis rabougris, et peuplées d'hommes rudes et robustes. Ici, pas grand monde n'aurait pitié de ce pauvre type, quasi nu, perché dans les airs. On trouvait ça normal, voire divertissant.

Un matin, tandis que Antranik avait trouvé une position presque confortable, il vit passer un drôle d'énergumène : un homme chaussé de sandalettes mauves, vêtu d'un pagne mauve et coiffé d'un bonnet mauve. « Voilà qui fait beaucoup de mauve, » se dit Antranik en se levant. L'homme courait dans sa direction. Antranik le héla, non seulement l'homme ne décéléra pas mais il lui fit un bras d'honneur en passant ensuite de quoi il disparut. Antranik, qui était habitué à la cruauté des Hommes et à leur folie, ne se formalisa pas outre mesure, se rassit et, bien vite, somnola.

Lorsqu'il reprit connaissance, Antranik aperçut un spectacle des plus saisissants. A une dizaine de mètres de lui, un homme était assis sur un rocher. Il était vêtu d'une longue robe mauve et d'une coiffe recherchée et emplumée de même couleur. Il se tenait la tête entre les mains et semblait maugréer. À ses côtés, relié par une longue corde, le cou penché vers lui, une autruche le regardait avec compassion, dans la mesure où une autruche peut regarder avec compassion, c’est-à-dire, au fond, assez peu…
Antranik déplia sa maigre carcasse et héla l'homme. L'autruche, prise de panique, émit un petit cri aigu et plaqua sa tête au sol en fermant les yeux. L'homme leva un regard fatigué vers le supplicié.
— Ola, mon bon ami, comment allez-vous ? dit Antranik.
— Ne m'en parlez pas ! J'ai bien des malheurs.
— A qui le dites-vous ! Le monde est fort cruel, dit Antranik en s’accrochant aux barreaux de sa cage. Mais que vous arrive-t-il donc, l'ami ?
— Ma foi, figurez-vous que j'étais en route pour Patavia avec mon autruche, que voici, et mon assistant, lorsque celui-ci m'a faussé compagnie à la faveur de ma sieste.
— Voilà en effet qui est fort fâcheux, feignit de compatir Antranik, mais qu'alliez-vous donc faire à Patavia ?
— Tout le problème est là ! J'allais participer à une autruchade.
— Plaît-il ?
— Une autruchade, voyons ! Un concours d'autruche. Mon autruchier m'est indispensable pour cela, et maintenant qu'il est parti, ma foi, je ne puis qu'abandonner.
— Mon Dieu, combien d’injustices rôdent ainsi en ce monde ?
Et Antranik se tut en baissant les yeux. Un plan s'était déjà formé dans son esprit vif et retors, mais il savait que pour le bon accomplissement de celui-ci, il fallait temporiser. Une personne accepte toujours mieux une idée qui semble venir d'elle. Surtout lorsque ladite personne est richement vêtue, jouit d'une position sociale haute et qu'elle est accompagnée d'une autruche.

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