DÉLIVRÉ !

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Sur Glempyrion, on ne connait pas le cheval ou plutôt, on ne connait plus le cheval. Aux temps anciens du Glorieux Empire, à en croire les fresques, sculptures et autres fragments de textes exhumés, les chevaux étaient courants, et même très courus, mais depuis, ils ont disparu. Voici qui ne facilite pas les transports, et notamment celui des marchandises. Presque tout se fait à dos d'homme. Il existe bien des convois de bœufs, mais ces bêtes-là, sont lentes et onéreuses. L'autruche a donc été domptée pour ce genre de tâche. Et il n'est pas rare de voir des convois entiers d'autruches traverser les terres désolés de Glempyrion. Bien entendu, l'autruche, en tant que bête de somme, a aussi ses inconvénients. Sa charge utile est faible, elle est fragile et surtout, elle a un caractère assez buté. Il peut ainsi facilement lui prendre l'envie de cavaler à toute vitesse sans que rien ne le prévoit, ni ne l'explique et surtout sans concertation préalable avec son autruchier. Et une autruche, ça court vite. Il n'est donc pas rare de voir des caravaniers brandissant leurs badines et criant mille injures à la poursuite de leur convoi caquetant filant à toute allure. Mais des autruches, on tire bien plus que quelques dizaines de kilos de marchandises transportées sans peine. De l'autruche, on utilise son cuir, on mange sa viande et on se pare de ses longues plumes. Bref, l'autruche, c'est de l'or sur pattes. Alors, un homme qui dispose d'une autruche pour aller concourir dans un bled paumé, c'est très certainement qu'il jouit d'un statut social élevé.

Pendant qu'il déduisait cela, Antranik se dit que justement, l'autruche, avec sa tête au ras du sol, fixe et immobile, il était temps d'en parler.

— Mais dites-moi, fit-il, votre autruche, que fait-elle ?

— Elle se cache. Faites comme si vous ne l'aviez pas vu, vous pourriez la vexer.

L'autruche souleva un sourcil. Antranik détourna le regard.

— En tout cas, c'est une bien belle autruche que vous avez là.

— Certes oui, j'en suis très fier.

— Pour sûr, avec une belle bête comme celle-ci, vous auriez pu gagner.

— A qui le dites-vous ! J'étais parmi les favoris.

Et en effet, c'était une bien belle autruche. Deux longues pattes interminables et musclées, un tronc large et solide gonflé de majestueuses plumes soyeuses, une queue opulente, un cou haut et fin surmonté d'une jolie petite tête bien dessinée. L'animal devait bien faire deux mètres trente et tous son corps était parcouru de muscles secs. Il était splendide. Sans parler de ce bec, dur et plat, parfaitement formé, un bec, mais un bec ! La perfection faite bec !

— Quel dommage, fit Antranik, tout ça à cause d'un autruchier sournois et carapaté.

— Si fait. Comme quoi, le succès tient à peu.

— Comme vous le dites. À très peu. Un autruchier, ce n'est pourtant pas sorcier à trouver.

— Nenni.

— Ni à former.

— Nenni non plus, mais le temps m'ait compté, comment en trouver un si rapidement ?

— Ah mon bon ami, si ça ne tenait qu'à moi... fit Antranik en prenant garde de ne pas terminer sa phrase.

L'homme contempla le supplicié, considéra sa petite taille, sa maigreur, ses courtes jambes. Antranik lui jeta un regard en biais, discret et appréciateur. Cela cheminait dans la tête du maître de l'autruche.

— Il est vrai, dit celui-ci, que vous auriez la morphologie.

— Hélas, la volonté je l'ai aussi. Mais pour ce qui est de la possibilité...

— Voilà qui est bien fâcheux.

— Mais j'y pense, vous pourriez faire quelque chose.

— Vous faire évader ? Vous n'y pensez pas !

— Que nenni. Vous pourriez seulement payer ma peine.

— Comment donc ? Qu'est-ce cela, payer votre peine ?

— Et bien, dit Antranik en feignant l'hésitation, les jours qu'il me reste à faire ici peuvent être rachetés.

— Vraiment ? Voilà qui est doux à mes oreilles ! Et combien faut-il verser ?

— Voyons, voyons... Il me reste dix jours... Je crois que la journée est à trois piécettes, ce qui fait l’équivalent d’une pièce d'argent et dix piécettes, plus la levée d'écrou qui doit être, si je ne m'abuse, à sept piécettes, et la location de l'escabeau, une pièce d'argent tout rond... Cela fait trois pièces d'argent et sept piécettes au total.

— Ma foi, ça devrait aller. Comment procède-t-on ?

— Eh bien, attendre le retour du prévôt me semble le plus sage, à moins que vous alliez le quérir au village.

— Je serais bien aller le quérir mais vous comprenez, avec l'autruche, c'est peu pratique. Une autruche, c'est encombrant. Et Léopoldus est craintif, il pourrait faire du grabuge.

— Qui ça ? s'étonna Antranik.

— Léopoldus... Mon autruche... D'ailleurs, j'y pense, je ne me suis même pas présenté. Je m'appelle Giboin, maître autruchier, dit-il en ôtant son chapeau emplumé d’un geste ample.

— Enchanté. Moi, c'est Antranik. Mais pour revenir à nos affaires, je crois que le prévôt ne devrait pas tarder. Le soleil décline.

Et en effet, le prévôt ne tarda pas. Un nuage de criailleries enfantines le précédait. Il paraissait de belle humeur, un sourire barrait son visage. Giboin l'aborda aussitôt et lui annonça vouloir payer la peine du supplicié. Le prévôt parut fort déçu. Les enfants plus encore. L'homme sortit quatre pièces d'argent de sa bourse et exigea qu'on libère sur le champ son nouvel autruchier. Le prévôt ronchonna et alla chercher l'escabeau. Certains enfants étaient en pleurs. Avant de libérer Antranik, le prévôt demanda une faveur : nourrir une dernière fois le prisonnier. « Cela fera plaisir aux enfants », affirma-t-il, maître GIboin n'y vit pas d'inconvénient.

— Allez-y les enfants, le ratez pas ce salaud ! fit le prévôt.

Les enfants s'en donnèrent à cœur joie et bombardèrent Antranik. Certains plus vicieux que d'autres, ou plus matures, avaient eu le temps d'enfouir des cailloux dans les gâteaux de riz. Lorsque Antranik descendit chancelant de l'escabeau, son visage était couvert de bosses.

— Maudit prévôt, fit-il, je saurais m'en souvenir. Le maître de l'autruche abonda :

— Vos méthodes en matière de justice, monsieur le prévôt, sont tout à fait rétrogrades. Je désapprouve fortement. Et, passant le bras autour de Antranik pour le réconforter, il ajouta :

— Néanmoins, voilà qui fait une bonne préparation au métier d'autruchier.

— Vous m'en voyez ravi, fit Antranik.

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