III

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Les sabots d’Orphée griffent à nouveau le sol retourné de Lidan. Sous l’herbe fraîche et humide, courent les vibrations de son galop. Elles rugissent face au silence de plus en plus grand, au fur et à mesure que les belligérants tombent. Gorneval regarde la scène d’un œil vif et éclairé. Il remarque rapidement trois fantassins qui font face à Dinas ; Gwendal est un peu en retrait et s’avance promptement vers le Roi, par sa gauche. Périnis se situe également sur la gauche du Roi, mais à quelques pas seulement, finissant de croiser le fer avec un adversaire qui s’écroule à ses pieds. Le jeune garçon s’approche du groupe par la droite de Dinas. Les hommes n’ont pas encore remarqué sa présence qu’il commence à pointer son arme sur celle de Gwendal. Son esprit est libéré du poids du doute et vogue en des sphères autrement plus agréables que celle dans laquelle il évolue. Sa bouche se déchire à plusieurs reprises, en des rictus de nervosité. Sa main ne tremble pourtant pas et sa cible se rapproche de plus en plus vite. Le magnifique destrier bondit encore par-dessus une sorte de petit vallon et se réceptionne avec une grâce et une maîtrise digne de ses illustres ancêtres ; de fantôme, la monture légendaire de Dinas.

Dans sa course, le chevalier noir voit défiler sa vie sous ses yeux comme si, en modifiant le passé, il s’apprêtait à mourir tout en sachant que de ce décès, allait naître une vie nouvelle. Il voit les bons moments de son existence, comme les mauvais, tournoyer autour de lui comme une farandole maudite et imprévisible qui se joue de ses sens. Mais dans le monde étrange dans lequel il a basculé, rien ne peut plus le surprendre. C’est pour cela qu’il poursuit sa course, plus déterminé que jamais, tout en s’apercevant que les fantassins viennent à peine de constater sa présence.


Tout en les regardant, telles de monstrueuses statues d’argile, pétrifiées d’une stupeur extraordinaire, il s’approche de Gwendal. Titane fend les airs tout autour de son armure et commence une lente et terrifiante descente en direction de son ennemi. La lame d’argent glisse sur la brume qui disparaît d’autant mieux qu’il se trouve de plus en plus près de lui. Bientôt, le chevalier noir est si proche de sa cible, qu’il peut discerner ses yeux au travers des lames de son ventail. Ses yeux sont blancs de peur, mais il parvient à lire dans leur jeunesse, une rage qu’il ne connaissait pas chez lui. Pour l’avoir côtoyé, aussi étrange que cela puisse paraître, vingt ans plus tard, il est sûr de ne jamais avoir décelé chez lui, une telle volonté de tuer. Cette affirmation dans la haine et le mépris, n’ébranle pas le moins du monde le cavalier qui poursuit le cheminement de son devoir.

Titane vole au-dessus de Gwendal avant de s’abattre. Gorneval, au moment où son bras tombe, souhaite de tout son cœur, ne pas commettre d’erreur. L’idée de modifier la trajectoire de la lame, lui vient à l’esprit. Ce qui le freine et l’empêche de commettre l’irréparable, c’est cette sensation qu’il éprouve et qui l’assure de la justesse de sa décision. C’est à cet instant que l’épée rencontre celle de son adversaire. Ce dernier, se préparant au choc sévère de la lame contre sa cuirasse, est si surpris qu’il laisse son arme lui échapper. Désemparé, il tente de croiser le regard du chevalier noir. Celui-ci majestueux, peine pourtant à stopper sa monture. Il tire sur les rênes d’Orphée tant qu’il peut pour poursuivre sa route. L’animal a dépassé largement Gwendal à la gauche de Dinas, à une dizaine de pas de ce dernier. La tête du chevalier sombre, pivote dans les deux sens pour retrouver son père.

Au même instant, alors que ses gesticulations sont stériles, comprenant l’éphémère de sa fortune, Périnis se jette sur son ennemi désarmé. Plus proche de lui que de Dinas, il met son maître dans un recoin de ses pensées au profit d’une vengeance personnelle. Le fils de celui qu’il abandonne, qui tourne le dos à la scène, tord la bride de son destrier pour le faire basculer sur son flan gauche. Dinas, submergé, subit l’assaut des trois fantassins. Le temps de remettre sa monture en course, Périnis lance son attaque sur son ennemi qui ne peut riposter. Tous les principes de la chevalerie sont bafoués. Les yeux de Gorneval remarquent ceci avant même de remarquer le danger que représente son ancien maître d’armes. Celui-ci, investi d’une colère et d’une rage peu commune, oublie tous les codes de son rang. Son adversaire se jette en avant pour retrouver son arme. Mais à terre, son agilité est réduite. Le chevalier noir bondit pour couper la trajectoire du preux. Cependant, ce dernier, plus leste qu’un cheval sur la terre détrempée, arrive à placer son attaque. Son arme perfore violemment la cuirasse de Gwendal qui s’effondre lentement, le visage pétrifié de stupeur. Ses genoux plient et frappent la boue d’un seul coup très net. Ses mains repliées se rejoignent sur sa plaie et couvrent l’hémorragie. Tout bascule dans la tête de Gorneval. A trop penser, il voit son rêve s’effacer. Dinas reste son dernier espoir. En se retournant pour le voir, ses yeux vont et viennent sur les silhouettes des fantassins. Ceux-ci s’acharnent avec une violence insensée, sur son père. Glacé de terreur, il parvient pourtant à trouver les ressources suffisantes pour courir vers lui en criant. Orphée, une fois de plus, jaillit des ornières et traverse la brume. Perforant les nuages, il vole à la rescousse de son maître éternel. Tel le prince des ténèbres, tout vêtu de noir, Gorneval fait exploser les murs de brouillard et fond sur les assaillants du Roi. Son bras justicier fend les airs et tranche le bras de l’un d’eux. Mais la hargne et la fièvre meurtrière des deux autres, suffisent à mettre à nouveau en péril la couronne de Lidan.

Son représentant chute comme Gwendal l’a fait quelques instants plus tôt. Son heaume préserve le secret de sa dernière intimité et fait perdurer le secret de son regard. Son fils, terrassé de douleur, regarde les meurtriers s’échapper puis disparaître entre les bras nébuleux du brouillard. Son hébétude se lit aisément sur son visage. Il se tourne et se retourne à nouveau. Des sueurs incontrôlables investissent son front. A trop vouloir bien faire, il vient de laisser passer, plus qu’une seconde chance, mais certainement aussi la chance de sa vie, la seule chance d’être heureux, celle de retrouver Cassandre ; celle de trouver en Ygrène et Dinas, les parents qu’il désirait. Le temps s’arrête, le vent balaye les terres de sa désolation. La brume se lève comme un rideau qui vole au-dessus des corps inanimés de ses plus proches espoirs. Il conserve son heaume pour ne pas dévoiler son visage à Périnis qui est tout aussi stupéfait que lui. Ce dernier, les bras le long du corps, regarde le théâtre du drame avec la même expression que son futur élève. Le ciel au-dessus d’eux, laisse entrevoir les couleurs ternes de son flan obscur. Gorneval plonge ses yeux dans cet antre gris et laisse échapper un grognement de rage. Ses mains se contractent. Orphée est immobile, comme s’il faisait subitement parti du reste ; tout le reste, ce qui entoure son maître et qui s’est arrêté de bouger pour le laisser à sa douleur. Un silence plus que pesant, gronde dans la tête du jeune garçon redevenu Roi. Ses rugissements ressemblent à ceux du dragon qu’il voulait terrasser dans l’Orée des Ténèbres.

Le premier chevalier de la couronne ne prononce rien, mais le jeune garçon l’entend dire ce qu’il aurait probablement dit s’il avait surgit de la forêt maudite, avec cet âge et cette expérience qui lui fait encore défaut. Le pire n’est jamais décevant ! Cette phrase, il l’entend comme s’il venait de la prononcer. Le chevalier qui devient régent de Lidan, se détourne du chaos pour se concentrer, accablé, sur le personnage à l’armure sombre qui vient de loin pour l’aider. Ce dernier n’entend rien de ce qu’il dit. Son esprit est ailleurs, par delà les vallées, par delà les nuages de son désespoir. Les sentiments qui coulent dans ses veines sont bien plus violents qu’une simple envie de pleurer. Il voudrait déchirer le ciel, arracher la terre de ses propres mains, détruire pour détruire ; se venger par l’annihilation de tout ce qui l’entoure. La rage fait trembler ses mains, le découragement fait briller ses yeux et ses désirs perforent violemment la barrière de la réalité. Il faut une grande et puissante maîtrise de lui-même pour ne pas succomber au charme destructeur de sa colère. Il ferme les yeux et tente de se rasséréner en imaginant des souvenirs de Cassandre. Mais cette même image active un mouvement de révolte qui fait céder brièvement les verrous de son contrôle. Son bras droit, au bout duquel se trouve Titane, transperce les filets de soie de la brume tout autour de lui. Emporté par sa fougue, l’arme l’emporte avec elle à terre. La violence du choc est si importante que le chevalier noir, en plus d’être accablé d’une fatigante douleur, se perd dans la léthargie nébuleuse d’une brève perte de connaissance. Le calme revient très lentement en lui. Les sons et les sensations de l’extérieur le pénètrent à nouveau. La voix de Périnis coule jusqu’à ses oreilles. Gorneval se surprend à lui répondre. Sa voix prononce des choses qu’il n’avait pourtant pas envie de partager. Le premier chevalier de la couronne n’entend rien à ce combat intérieur mais écoute attentivement son futur élève, répondre à ses questions.

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