IV

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“ Qui êtes vous ? ”

“ Je suis le fou d’un Roi sans haine ”

“ Ce Roi a t-il un nom ? ”

“ Il n’a ni nom ni Reine ”

“ Le royaume qu’il possède est-il prospère ? ”

“ C’est un Roi qui voudrait n’avoir ni amour ni confiance ”

“ Ce sont là des qualités qui font d’un Roi un grand souverain ! ”

“ Mais il est fou d’un amour vain et m’a accordé sa confiance ”

“ C’est un honneur ! ”

“ Je l’ai trahi et il va payer toute sa vie durant, pour cette erreur ! ”

“ L’amour et la confiance sont des sentiments dont on doit savoir se passer ”

“ Il n’est point de chose dont il voudrait se passer ”

“ Epargner son cœur des souffrances en épargnant ses souffrances d’un cœur ; voilà comment doit vivre un Roi ! ”

“ Sans doute ” Répond docilement le jeune garçon. Il baisse les yeux sur la terre détrempée. La tristesse qui s’imprègne de son regard est étonnante. Il semble résigné au sort d’un Roi qu’il refuse pourtant du plus profond de son être. Sans cœur et sans confiance, tels sont les termes qui planent douloureusement sur son règne à venir.

Il empoigne les rênes d’Orphée et s’apprête à quitter les lieux. Il regarde l’horizon et estime rapidement le temps qu’il lui faudra pour rejoindre la colline qui surplombe l’Orée des Ténèbres. Etrangement, il se surprend à imaginer ce qu’il va trouver de l’autre coté. En retrait de ses pensées confuses, flotte la voix hésitante de son maître d’armes. Il le supplie de rester à ses cotés. Il lui fait même quelques promesses. La décision de Gorneval est irrévocable. Il enfourche son fidèle animal et embrasse l’horizon d’un seul regard circulaire. Derrière le ventail de son heaume, il perçoit les mouvements du preux qui tente d’attirer son attention. Son regard est aussi froid et redoutable que la lame de son épée. Il jette sur lui toute l’indifférence de son cœur malade. Ses pieds s’enfoncent dans les flans d’Orphée qui glisse un peu avant de s’arracher des griffes de la brume. Les deux compagnons s’enfoncent dans la ouate légère qui protège les regards du carnage innommable dans lequel Lidan se retrouve. Périnis les regarde avec un étonnement rare. Le mépris du chevalier noir le meurtri un instant. Cependant, la douleur que lui procure le décès de Dinas, s’amplifie pour lui prendre le pas.

Dans sa fuite, Gorneval croit percevoir des cris lointains. Périnis en est l’origine. Mais son esprit ne s’attarde pas sur ces mouvements de rage. Il l’emmène en des contrées voisines, un endroit de sa mémoire qui s’épanche douloureusement sur son être ; un recoin de son âme dans lequel grouillent encore les paroles du preux, en qui il vouait une confiance sans borne. Mais aujourd’hui, cette confiance n’a plus de raison d’être. Par-delà le fait qu’il soit seul pour assumer la défaite, les récits du maître d’armes font peser sur sa conscience, tout le poids d’un mensonge éhonté. Ses yeux ont vu les derniers instants de vie de son père. Ils ont vu des choses que son précepteur était le seul à pouvoir raconter. Cependant, compte tenu de la position de Gwendal et celle de ses fantassins, il est hautement improbable, voire même impossible, que ce dernier ait eu la possibilité de se jeter sur le Roi afin de lui ôter la vie. De plus, compte tenu de la place qu’occupait le premier chevalier de la couronne, il lui était impossible de courir sans rencontrer ce dernier. Les conclusions du jeune prince sont sans appel. Elles le font cheminer sur la voie d’un probable mensonge destiné à le motiver et à faire gronder la haine qu’il aurait pu avoir envers l’usurpateur du trône. La parole du preux s’effondre donc avec tout ce qu’elle pouvait représenter pour lui. L’étendue de sa confiance se rétrécit tant, qu’il est bientôt le seul à pouvoir s’y inscrire. C’était peut-être là, la dernière leçon de son maître. Une ultime leçon qu’il lui livre depuis l’antre des ténèbres, comme une récompense parfaite à son acharnement à vouloir rester lui-même sans y parvenir pleinement. Et s’il n’y parvient pas, c’est sans doute par manque de confiance en lui. N’avoir confiance qu’en soi-même est une chose, se faire confiance en est une autre. C’est une des lacunes du chevalier noir, qui fait trembler les fondations de son être dés qu’il y fait allusion. La preuve la plus récente qui justifie cette indécision, est sans conteste cette formidable sensation d’être dans le vrai lorsqu’il décida de l’attitude à adopter avant de charger sur Gwendal. Le passé lui a prouvé le contraire de cette sensation pleine. Alors, se demande t-il, à qui se fier, si je ne peux pas même me fier à mes propres sentiments ?

Il n’entendra aucune réponse à cette question muette. Quand bien même il se trouve sur des terres recouvertes par une étrange sorcellerie, elles ne lui fournissent cependant pas de solutions miracles. Seuls sa détermination et son courage pourront mettre une fin à ce combat incessant qui bouscule son être et fait chanceler son âme. Ils parviendront certainement à calmer la douleur de vivre avec le souvenir infâme de la mort de son père. Ils lui donneront matière à oublier le sillon de sang qui coulait paisiblement – trop sans doute – le long des ornières laissées par la pluie, à la surface des terres dont il est le maître. Les filets écarlates qui glissaient le long des rigoles sombres de la terre, hantent déjà sa mémoire fracturée. Tels des sillons de cire sur son âme, ils scellent à jamais son sort et le plongent dans un inextricable doute. Son armure de combat devient tout à coup bien plus légère que le fardeau qu’il s’apprête à porter pour le restant de ses jours.

Mais Orphée continue de courir et retire de sa conscience l’entière responsabilité du trajet du retour. La bête poursuit son instinct et rentre à Lidan, pour tenter de trouver lui aussi, la paix et le repos. De l’autre coté, les choses ont obligatoirement changé. Gorneval ne peut encore les imaginer telles qu’elles sont devenues, mais tente de se les figurer.

Là-bas, de par la mort de Dinas, il y a de fortes chances pour que sa mère ait péri à nouveau dans l’accouchement. Gorneval imagine des scénarios tous aussi compliqués et farfelus que l’est son esprit à l’heure actuelle. Cependant, il sait retenir du passé, les leçons qu’il faut. Il sait que l’avenir dicte souvent le pire à la vie. Son maître d’armes avait raison, le pire n’est jamais décevant. Comment être déçu par le pire lorsqu’on s’y attend ? Se dit le jeune Roi en pensant à sa mère. Qu’elle souffrance devra t-il encore faire subir à Lidan avant que ce peuple innocent puisse enfin trouver la paix ? Sans doute y a t-il une étroite corrélation entre les grands soucis de sa vie et l’acharnement du destin à faire affronter le pire à ce pays si paisible. Parvenir à résoudre ses problèmes de conscience, lui donnerait l’expérience nécessaire pour gouverner son royaume avec la plus grande justesse qui soit. Par ailleurs, en repensant à ce qu’il croit trouver de l’autre coté de l’Orée des Ténèbres, il constate que les choses ont de cela de différentes, qu’elles lui offrent une nouvelle fois, la possibilité de se racheter. Avec le décès de Gwendal sur le champ de bataille, c’est toute la menace de ses armées qui ne pousseront pas Lidan dans la guerre et l’infortune. Mais cette mort, donne à nouveau à Gorneval la souveraineté sur les terres maudites de la citadelle. Il ne sait comment prendre l’acharnement du destin à lui donner cette charge. Punition ou bénédiction ? Telle est la question qu’il est en droit de se poser. Mais ce qu’il parvient à déceler au travers de ses pensées qui s’éclaircissent, c’est l’importance de ses décisions et de sa volonté dans l’engrenage de la vie. Son raisonnement devient si absurde, qu’il lui fait voir la vérité en face. Il devient l’unique clé du futur essor de Lidan. En lui, existe, comme en tout un chacun, la force de rompre les liens avec un funeste destin en lequel il croit, parce que Périnis croyait en lui. La vérité existe en lui, infime, mais bien présente, comme elle existe en chacun des habitants de la cité. Ensemble, ils construiront leur vérité autour des remparts de la citadelle. Gorneval ne saura sans doute jamais se débarrasser de cette langueur affligeante qui alourdit chaque jour un peu plus sa peine. Mais parvenir à faire vivre Lidan dans la paix et la prospérité est déjà une sorte de victoire qui suffit à le soulager un peu.

Seul, le Roi de Lidan gravit la colline qui surplombe l’Orée des Ténèbres. Son cheval, essoufflé, stoppe momentanément sa course. Cet instant de répit, permet à son maître de contempler ce pays aux charmes mystérieux qu’il quitte sans regret. Ce même pays qu’il regarde avec les yeux du mépris, lui a donné pourtant plus de choses que la Vallée des Larmes. Il a inscrit en lui, la force de combattre la vie, seul. Sa confiance s’est brisée lorsqu’il a compris que même ses plus proches amis pourraient le trahir. Désormais il saura que la parole des autres n’est rien, qu’elle est même parfois un frein. Jamais il ne pourra être plus sûr que le seul à ne pas pouvoir le trahir, c’est lui-même. Cette conclusion le fait encore souffrir et le glace d’une terreur peu commune. C’est comme s’il se trouvait tout en haut d’une falaise et que sa vie se trouvait à ses pieds. Fondamentalement, elle ne se trouve pas très éloignée de lui. Cependant, l’espace qui les sépare paraît infranchissable, meurtrier et douloureux. Cette inconnue le fait frémir d’une peur nouvelle, pour ne jamais avoir vécu comme cela. Vivre seul et sans l’appui salvateur de ses amis, est une aventure à la fois douloureuse et terriblement excitante. Il fouette les flans d’Orphée. La bête s’envole à nouveau. L’Orée des Ténèbres se rapproche et ses angoisses aussi. Le noir de ses entrailles gonflent et les joyaux qu’elles recèlent avec.

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