III

6 minutes de lecture

Une colère fracassante suit la déprime du combat. Les morts jonchent encore le sol de la vallée lorsque Gorneval décide de punir l’instigateur de cet effroyable carnage. Le visage plaqué contre le sol qui porte encore les stigmates angoissants de la guerre, il réfléchit à la réaction qu’il faut adopter. Périnis au loin se ressource à la lueur écarlate du soleil couchant. Sa silhouette presque totalement absorbée par ses derniers rayons, attire le regard du Roi. Depuis le champ de bataille où gisent ensemble les corps de ses amis et ceux envers qui il n’avait pas de mépris particulier, il admire la beauté décalée de l’instant. Son maître d’arme, semble insouciant, perdu dans ses pensées de guerrier, alors que Gorneval se perd dans d’inutiles gesticulations mentales pour tenter de se défaire de l’idée de répondre à la violence par la violence. Le souverain craint que la colère lui dicte des choix que l’avenir lui fasse regretter. Cependant, la raison voudrait que Gwendal, grand manipulateur de cette guerre, soit puni. – Mais est-ce bien à moi de décider de sa punition ? – se demande le jeune homme le visage entre ses mains. – Qui suis-je pour décider comme cela de la vie d’autrui ? Quel pouvoir différent ai-je par rapport aux autres qui me permette de prendre cette décision ? –

Mais le jeune garçon s’aperçoit que la passion dévorante qui le ronge est de bouter Gwendal hors de ses terres. Cette idée rejoint la raison qui lui dictait de punir son assaillant. – Faut-il donc être Roi pour punir les lâches ? – La réponse est évidente. Quiconque saurait reconnaître un lâche, en cet homme. Celui qui ne suit pas ses hommes aux combats et qui préfère fuir face à la déroute ne mérite pas que l’on s’attarde à lui trouver des excuses. Le Roi se redresse vivement et s’en va d’un pas décidé en direction de la salle du trône. Il convoque une cellule de quelques chevaliers et invites Emilie, Wilfried, Guènelon, Ewan et Périnis à se joindre à eux.

“ Je vous ai tous invité ici pour vous entretenir de mes directives pour les jours prochains. En effet, j’ai décidé après mûres réflexions qu’il était temps désormais de ne plus laisser le bénéfice de Lidan à son usurpateur. ”

“ Suggérez-vous la guerre ? ”

“ En effet, j’ai peur que cette solution ne soit pas la meilleure, mais qu’elle soit toutefois la seule que le vil assaut d’hier mérite ! Que les troupes de la Vallée des Larmes me soient présentées en ordre dés demain matin et que les effectifs soient précieusement décomptés ! Je veux un état des lieux pour ce soir. Je donnerais les noms des commandants de sections à la nuit tombée et ceux dont les noms seront cités seront alors immédiatement responsables de cent hommes chacun. Je me réserve le commandement de cinquante chevaliers et laisse la charge des autres au maître d’arme Périnis. ”

Sur ces paroles déclamées avec une lenteur et un aplomb digne de son père, Gorneval quitte l’assemblée pour rejoindre le campement qui s’est modestement organisé sur la place d’armes à la fin de l’incendie. Par endroit, depuis cette place, on peut encore voir s’échapper quelques volutes noires des corps éventrés des anciens bâtiments. La fumée s’échappe avec une lenteur indescriptible sur fond de ciel ensanglanté et rythme malgré elle, la vie retrouvée au cœur du château. Une paix profonde s’inscrit dans les longs et profonds recoins de la communauté improvisée. Des tentes sont dressées et celle du Roi possède la superficie la plus élevée. En effet, ceux qui ont organisé la nuit, ont aménagé dans les appartements de fortune de leur souverain, un petit bureau et un lit. Eux même dormiront à même le sol, comptant sur lui pour trouver une solution au problème qui se pose. La victoire est une chose, profiter d’elle et savoir construire après la destruction en est une autre. Gorneval ne se sent pas capable de supporter cette charge mais peux comprendre à quel point le peuple à besoin de lui pour garder espoir.

L’armée protège la butte que surplombe le château ; ces hommes s’apprêtent à vivre l’une des nuits les plus détestables de leur existence, entre angoisse et manque de sommeil. Le Roi se sent coupable de tous ces maux sans parvenir à trouver de solutions. La douleur initiée par Cassandre est encore trop vive pour qu’il puisse envisager d’aider les autres. Cette sensation d’égoïsme, le jeune homme la ressent comme un manquement à sa fonction, une trahison envers la confiance que lui accorde son peuple. C’est pour lui qu’il se bat contre lui-même, pour lui et pour Cassandre, pour qu’au fond de lui, subsiste à jamais l’image d’un conquérant sans reproche qui a perdu sa Belle mais qui n’a rien à regretter. Pour que, d’où qu’elle soit, elle puisse être fière de lui, Gorneval s’engage à sortir son peuple de la morosité et du doute dans lequel il se trouve. Devant son petit bureau, il fixe sans intérêt, une plume dans un encrier et une feuille de papier ocre. Dans sa tête, telle une litanie enfantine, il répète les termes d’une promesse qu’il se fait fort de mener à bien.


Le regard toujours sans profondeur, il se tourne lentement vers la besace qu’il a sortie des flammes. Le paquet qu’il a fait à la hâte est recouvert de noir de fumée et repose sur son bouclier renversé. Lentement, il s’avance vers celui-ci. Les bras en avant, il s’attelle à défaire le gros nœud qui clôt solidement le ballot. Quelques instants d’une attention soutenue lui permettent de venir à bout de cet obstacle. Les quatre battants rabattus tombent à terre et découvrent l’armure en vrac. Le regard du jeune homme court le long des cotes de sa cuirasse, remonte sur ses brassards, dévie sur les braconnières avec un sentiment croissant de terreur. L’éclat magnifique de l’acier poli a laissé la place à une égale couleur noire. Ses mains ont beau gratter, lustrer, essuyer chacune des parties de son armure, l’inquiétante couleur ne disparaît pas. Entre les mains tremblantes du Roi, les pans de métal de son uniforme de guerre reluisent d’un éclat perfide et troublant. La beauté des reflets anthracite attire l’attention du jeune garçon. Ces pointes de lumières saillantes au travers de la nuit, projettent dans son regard, la beauté maléfique des flammes de l’enfer. Elles le rappellent au souvenir de ses rêveries d’enfant, lesquelles relataient les faits d’un chevalier noir, magique et tout puissant qui combattait l’armée des ténèbres. Son cheval ressemblait à Orphée et son armure à celle qu’il tient entre ses mains. Il s’imagine devenir le chevalier de son enfance. L’armée des ténèbres devient celle de Gwendal et la fracture de son amour, une raison suffisante pour transformer le chevalier naïf qu’il est en un guerrier mercenaire à la solde d’une justice insolente.

“ Demain nous dormirons à Lidan ! ” fait le Roi à Périnis qui vient de rentrer dans sa tente.

Ce dernier remarque la couleur de l’armure et tente de prononcer quelques mots. Son ancien élève, sans détourner le visage lui coupe la parole.

“ Nous partirons tous vers la citadelle. Les commandants de section seront Emilie, Wilfried, Guènelon, Audret, Ewan et vous-même. La cavalerie restera à ma disposition pour l’attaque finale. Avons-nous en notre possession beffrois, béliers et catapultes ? ”

“ Bien entendu Sire. ”

“ Alors voulez-vous bien m’entretenir de la tactique à adopter pour attaquer la forteresse ? ”

Le preux sent en lui monter une fierté sans mesure. L’homme qu’il a en face de lui est devenu le Roi puissant et décidé qu’il avait désespéré de voir un jour remonter sur le trône de Lidan. Il s’empresse de déterminer les actions à accomplir pour attaquer la forteresse. Pour avoir vécu toute sa jeunesse là-bas, le chevalier connaît parfaitement les défenses du château et des douves.

“ Il serait de bon ton d’annoncer au peuple de quoi il retourne. ”

Gorneval regarde son maître d’arme avec le visage souriant. Il semble accueillir cette idée avec beaucoup de joie. Il sort immédiatement de la tente et demande à ce qu’une dizaine de torches lui soient prêtées pour illuminer la scène improvisée de son allocution. Il demande l’attention de toutes celles et ceux qui sont regroupés sur la place d’arme. Ses paroles sont d’une simplicité éclatante et ses arguments d’une rare évidence. Les guerriers comme les ouvriers sont immédiatement emportés par le flot de parole du Roi qui tente de les rassurer, de les motiver et de leur donner confiance en lui.

“ Gwendal vous a volé vos maisons et votre honneur en venant brûler ce château. La guerre est malheureusement la seule solution qui soit pour faire valoir nos droits et répondre à cet acte odieux. ” Gorneval laisse le silence envahir les lieux et reprend avec une éloquence que seul Dinas savait maîtriser “ Demain nous dormirons à Lidan. ”

Ses propos sont accueillis avec chaleur et respect. Des cris d’encouragement jaillissent du fond de l’assistance spontanée. Le Roi comprend que sa sincérité et sa volonté de protéger au mieux son peuple, sont bien passées au travers de ses paroles. Gonflé d’un courage sans pareil, il retourne dans sa tente, accompagné du regard complice de Périnis.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gorn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0