Étrangement, le cabinet d'avocat n'était pourvu que d'un seul et unique tabouret pour accueillir ses clientes, et je n'eus d'autre choix que de m'y installer. Certes large et bien rembourré, l'inconfortable siège carré me sembla tout à fait inadapté au contexte. Face à moi, assis derrière un large bureau de bois sombre, un homme un peu gras, des lunettes de presbyte posées sur le nez, le regard captivé par l'écran de son téléphone, n'avait pas bronché. Il m'avait juste invité à m'installer d'une voix indifférente.

« Bonjour Monsieur, mon confrère m'a transmis votre dossier. Il m'a précisé que vous deviez me fournir les mails de vos échanges avec votre Monsieur X. Les avez-vous retrouvés ?, me demanda-t-il, imperturbable, sans même lever la tête vers moi.

— Non, malheureusement ! Il faut croire que j'ai tout supprimé. J'ai eu beau chercher, je n'ai rien pu récupérer de nos échanges ! Il y a tellement longtemps !

— Dommage ! Si vous les aviez retrouvés, c'était votre totem d'immunité, répondit-il, souriant, manifestement content de son allégorie douteuse, lâchant brusquement le téléphone sur le bureau, là, ça va être plus compliqué. Dans ces affaires-là, on a tout intérêt à ne rien effacer. Cette erreur risque de vous coûter quelque 2000 euros et des brouettes. À moins que… ».

Il se mit soudainement à farfouiller dans une pile de dossiers enchevêtrés les uns aux autres à la droite de son bureau. Tout portait à croire qu'une idée venait de lui traverser la tête. L'air mécontent, grommelant quelques mots inaudibles, je le vis bondir de son fauteuil et se précipiter vers la porte qui se trouvait derrière moi. Dans cet empressement un peu pataud, il se prit les pieds dans le large tapis étalé au sol et bascula en avant, tenta vainement d'accrocher ses mains dodues, curieusement tachées d'encre noire, à l'angle du bureau, et réussit finalement à se rétablir dans un sursaut d'orgueil. Le suivant du regard, amusé, j'aperçus, fixée au mur, l'image d'un homme svelte et musclé accroché au sommet d'une vague sur une planche de surf. Le contraste avec le bonhomme presque essoufflé de l'effort qu'il venait de fournir était saisissant et je me surpris à en sourire.

« Dominique ! Qu'avez-vous fait du dossier Longuet ? je n'arrive pas à mettre la main dessus ! ».

J'entendis la voix calme et sereine d'une voix féminine, douce, presque sensuelle, se faufiler dans la pièce et répondre calmement :

« Vous m'avez demandé d'en saisir les informations ! C'est ce que j'ai fait ce matin. J'ai fini, le voulez-vous ?

— Euh... oui ! S'il vous plaît ! J'en ai besoin ! ».

Les talons hauts d'un pas féminin assuré et tranquille firent à leur tour irruption dans la pièce et j'aperçus des mains soigneusement manucurées tendre un dossier rouge par l'entre-bâillement de la porte.

« Voilà, Maître ! »

— Merci Dominique, susurra le gros avocat en refermant la porte, sans même porter un regard à la secrétaire ».

Je le vis ouvrir et consulter le dossier tout en revenant s'assoir à sa place. Je dois avouer que le voir avancer ainsi sans même regarder où il mettait les pieds m'inquiéta un peu, mais c'est pourtant sans encombre qu'il finit par sombrer dans son fauteuil immense, me faisant face à nouveau.

« Je crois que je peux arranger cela, il se peut que l'un de mes confrères ait été confronté au même problème. Laissez-moi passer un coup de fil ! »

Perplexe, je répondis que cela ne me posait pas de problème et me mis à l'observer composer fébrilement un numéro de téléphone dont il semblait lire les chiffres un à un sur une des feuilles extirpées du dossier rouge.

Moi, je ne pensais plus qu'à la voix et à la silhouette de Dominique et me disais que finalement, ce n'était peut-être pas un si mauvais avocat.