Andréa ne semble pas pouvoir détacher son regard du mien. En y repensant bien, je le sais surtout parce que je n’y arrive pas non plus. Un air affecté naît sur son visage.

« Clément, tu me fixes depuis un quart d’heure, au moins. Tu es sûr que ça va ? »

Je ne vois même plus l’intérêt de répondre avec des mots alors je l’ai fait avec un sourire. C’est la première fois qu’elle prononce mon prénom.

« En réalité, j’étais en train de me dire que je sais rien de toi. Tu t’appelles peut-être même pas Andréa.

-Je suis pourtant aussi réelle que les baisers qu’on vient d’échanger. »

Avec elle, les silences sont lourds de sens. Je pourrais passer toute la soirée à ses côtés. Après tout, c’était tout ce que je souhaitais en arrivant chez Tom. Je décide tout de même de continuer :

« On n’a pas fini notre partie, d’ailleurs ! Je crois bien que c’était à ton tour.

-Menteur. Tu viens de perdre.

-Hein ? Mais… Ah. Oui. Ce baiser avec ta nouvelle amie. »

Elle rit de ma bêtise et je réfléchis à la bonne manière de la cerner.

« Qu’est-ce qui te fait vibrer dans la vie ? »

Je ne pensais pas pouvoir aimer autant de ses facettes ! Quand elle sourit, quand elle m’embrasse, et maintenant même quand elle réfléchit, je perds pied. Elle lève la tête comme si les étoiles lui soufflent la réponse, puis elle ouvre la bouche.

« J’ai toujours été passionnée de voyages. Découvrir de nouvelles contrées, de nouvelles personnes, de nouvelles cultures… Aussi, j’adore la cuisine ! Hier encore, j’ai découvert une petite recette pour faire une tartiflette végétarienne ; il faudrait trop trop que je te la fasse goûter ! Je crois que j’aime tout ce qui se fait avec les autres. J’aime chanter à tue-tête avec mes amis, j’aime lire avec quelqu’un quand on est à peu près synchros sur la vitesse, j’aime jouer du piano ; j’en fais depuis que j’ai dix ans… »

Je n’écoute plus vraiment ce qu’elle raconte. Je suis obnubilé par son enthousiasme. Est-ce qu’elle a le moindre défaut ? Est-ce qu’elle va finir sa liste par une activité horrible ? Il faudrait au moins qu’elle soit une tueuse en série pour me faire douter.

« Je crois que j’aime vraiment les échanges avec des gens passionnants, avec des gens passionnés. Peut-être les deux sont-ils réciproques. Je vibre pour les mots, je lis énormément ! Je crois que mon livre préféré, c’est Bel Ami, je ne sais pas si t’en as entendu parler… »

Je hoche la tête. Toutefois, je ne sais pas qui est l’ami et pourquoi il est beau. J’ai dit oui car je dirais oui à n’importe quoi, tant qu’une femme aussi belle me le demande. Je me rapproche d’elle sans vraiment le vouloir, comme si elle est un aimant pour moi.

« Désolée, je parle énormément dès qu’il s’agit de ce que j’aime. Je veux tout savoir te concernant ! »

Comment atteindre un tel niveau ? Quand je lui ai demandé ce qui la faisait vibrer dans la vie, je cherchais surtout de quoi m’inspirer pour que je puisse répondre moi-même !

« Je suis fou de rencontres, d’affection, de sexe.

-Belle entrée en matière !

-Désolé. J’ai posé la question instinctivement mais je n’y ai jamais réfléchi auparavant. Je préfère dire ce qui me passe par la tête quand je t’ai sous les yeux. Ce qui me fait vraiment vibrer, c’est recevoir et surtout faire des papouilles à celle qui me plaît. J’aime la masser, voir ses yeux se rouler dans ses orbites quand je lui fais du bien. Je crois que je suis sur Terre pour procurer autant de plaisir que possible aux gens que j’aime.

-Donc tu masserais même ton meilleur pote ?

-Tu m’agaces. »

Je ne suis pas aussi doué qu’elle pour mettre l’eau à la bouche de mes interlocuteurs. Elle m’a brossé le portrait d’une femme avec qui je pourrais passer une vie, visiter un musée, écouter une conférence, manger au restaurant… Et je lui offre celui d’un homme avec qui elle ne passerait qu’une nuit, une longue nuit, à s’épuiser ensemble.

« Honnêtement, l’idée me plaît. On aura sûrement l’occasion d’en reparler, mais je n’ai pas eu exactement la vie sexuelle dont je rêvais. »

Je suis beaucoup trop sensible ! Elle a juste dit ‘sexuelle’ et me voilà au garde-à-vous…

« Un ex qui s’est comporté de manière horrible ?

-Je t’ai dit qu’on en discutera de nouveau une autre fois, ne t’inquiète pas.

-J’ai aimé tout ce que tu as dit sur ce qui te faisait vibrer, mais ça manquait clairement de physique, tout ça.

-Tu veux que je te raconte mes fantasmes ? »

Elle plisse un peu les yeux et arbore un sourire en coin, attendant sagement ma réponse.

« On va le découvrir quand je reviendrai des toilettes. »

Et, comme ça, je me suis levé et lui ai montré mon dos. Il me faut quelques temps pour digérer tout ça. Elle est belle à tous points de vue et j’ai peur de tout gâcher en étant maladroit.

Je traverse la piste de danse. Lucas me fait un clin d’œil ; est-ce mon sourire niais ou bien la baie vitrée qui m’a trahi ? En arrivant dans la salle de bain, je ferme la porte à clé et finis par avoir la réponse à ma question.

Au milieu de la pièce se dresse un homme d’une vingtaine d’années. Il n’a pas vraiment bu, semble sûr de ses capacités, presque comblé. Ses cheveux s’apparentent à la laine d’un mouton couleur châtain. Sa barbe de trois jours met en valeur ses yeux verts. Ses lèvres imitent le bas d’une vallée alors qu’il observe son reflet dans la glace. Sous sa veste en jean, on peut deviner sa carrure. Derrière son ventre, on peut deviner des papillons.

Je parle au reflet qui s’enthousiasme avec moi. Je lui raconte que je passe une soirée incroyable, que j’ai rencontré une fille incroyable, qu’on a échangé un baiser incroyable. Il réagit avec joie, mais pas une once de surprise ne traverse son visage. Au fond, je savais que je méritais un peu de bonheur. Le voilà qui saute à mes pieds, me priant de le prendre dans mes bras, de le chérir plus encore.

Je me suis précipité de revenir vers ma blonde.

Tiens ? Elle n’est plus seule. Celle qu’elle a embrassée s’est assise à côté d’elle.