Un homme mort

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Ouvrir la porte de chez lui l’horrifiait. Rouvrir ce lieu qui avait tant compté à ses yeux, qui portait tant de leur souvenir, détruisait l’intérieur de son corps. Arriverait-il à franchir le seuil de cet endroit ? Il l’avait évité pendant des semaines, mais désormais il ne pouvait plus le fuir encore et encore avec cette attitude d’enfant qu’il avait juré de laisser tomber.

Sa main tremblait. Les secousses infimes faisaient vibrer le trousseau de clé alors qu’il le tendait vers la poignée. Pathétique, il était devenu pathétique. Il avait dirigé des hommes, il avait manipulé des sociétés, il s’était rangé et était devenu un des meilleurs compétiteurs de moto et il n’était qu’un trouillard face au vide qui l’attendait derrière la porte.

Il aurait pu le voir venir s’il n’avait pas constamment nié l’évidence. S’il ne s’était pas uniquement centré sur lui, ce qu’il voulait et s’il n’avait pas laissé sa jalousie étouffer ce trésor qu’il tenait entre leur main. Lors de toutes ces nuits sans sommeil, il avait repassé le schéma de tous ces derniers mois et l’évidence l’avait frappé : toutes leurs conversations sonnaient comme un dernier au revoir. A chaque fois que ses yeux s’étaient posés dans les siens, elle avait été au bord de l’implosion, pourquoi était-il tombé des nues lorsqu’elle avait finalement pris la situation en main ?

« Mikey. J’en peux plus, arrête. Je te veux hors de ma vie. »

Ces mots le hantaient, ils tournaient sans arrêt dans sa tête et ce qui l’effrayait le plus, c’est qu’ils commençaient à remplacer les premiers qu’elle lui avait dit. Elle lui disait toujours qu’elle l’aimerait jusqu’au jour de sa mort, elle ne mentait pas. Elle n’était pas du genre à dire les choses sans les penser, alors il avait rendu les armes pour la première fois de sa vie et lui avait tout donné parce qu’il avait fait l’erreur de penser qu’elle était sienne. Elle l’était, mais même ce qui nous appartient demande de l’attention, et l’amour est une chose qui s’entretient. Au fil des années, elle était passée de l’aimer jusqu’à la fin de sa vie à le pousser en dehors de celle-ci, et lui… lui n’était plus qu’un homme mort de l’intérieur.

C’était le sentiment qu’il avait, maintenant il le réalisait. Il avait été incapable de répondre pendant un mois à chaque fois qu’on le lui avait demandé, à chaque fois qu’on lui avait posé cette stupide question universelle : « comment ça va ? ». Mort. Maintenant c’est ça qu’il aurait répondu, parce qu’il n’y avait pas de différence à ses yeux. Malgré les choses lourdes qu’il avait pu faire dans sa jeunesse, il n’avait jamais autant rien ressenti que tout en même temps. Son corps était engourdi par la douleur et le désespoir que ces mots avaient implanté férocement en lui.

Etaient-ils trop jeunes lorsqu’ils s’étaient mis ensemble ? Beaucoup le leur avait dit, ils avaient eu droit à cette fameuse prédiction qu’ils ne connaissaient rien en l’amour. Pourtant il savait que si, ils l’avaient eu, ce sentiment, le vrai. Il le savait parce que sinon, même un mois après son départ, il n’aurait pas si mal. Il avait arrêté de l’appeler parce que Ken lui avait dit que c’était trop. Il devait la laisser partir, il devait respecter son choix. Mais il n’en avait pas envie, elle était à lui, il était à elle. Il avait arrêté de se noyer dans l’alcool parce que ça ramenait tous les souvenirs de ce qu’ils étaient, de leurs moments. Quand il se couchait, complètement saoul et qu’il fermait les yeux, il entendait sa voix l’appeler, il percevait les légères vibrations amoureuses qui s’échappaient de sa bouche lorsqu’elle utilisait son surnom.

« Arrête de m’appeler Mikey. C’est fini. »

Aujourd’hui elle l’appelait par son prénom. Il se demandait qui elle appelait désormais lorsque ça n’allait pas ? Avant, il constituait son repère, son foyer, maintenant, il ne savait plus. Une part de lui espérait tellement que lorsqu’elle marchait dans la foule, comme lui, elle voyait son visage par endroit. Il se désespérait. Il se dégoutait d’être tombé si bas, il s’était fait battre à son propre jeu. Il s’était battu lui-même puisqu’il avait conscience qu’il avait ruiné cette relation.

Finalement, il inséra la clé dans la serrure et ouvrit leur appartement. Son appartement. Le courant d’air qui le frappa apporta des odeurs significatives et ses yeux s’humidifièrent. Il parvint à se convaincre que c’était la poussière. Ou le vent. Il s’avança dans l’entrée et referma la porte sans allumer la lumière. Il n’en avait pas besoin, les grandes baies du salon éclairaient l’espace de vie en laissant passer les rayons de la lune et les éclairages nocturnes de la ville. Le silence régnait dans le lieu mais le vide le frappa immédiatement. Elle avait déjà repris ses meubles, même s’il n’y en avait pas beaucoup. Ses livres n’étaient plus là, les photos de sa famille non plus. Certains cadres qui décoraient leurs murs étaient vides.

Il sentait la panique monter dans son corps amaigri et il fourrageait ses cheveux sombres de manière frénétique. Tout, tout devenait réel. Il n’y avait plus rien. A sa gauche, la cuisine était intacte mais aucun petit mot attentif ne décorait le bar en granit. Sur le porte manteau, sa veste favorite pendait mollement, comme triste d’avoir été délaissée par les écharpes et les manteaux qu’elle avait l’habitude d’entasser. Au fur et à mesure qu’il posait ses yeux sur différentes parties de l’endroit, son souffle s’accélérait, et l’excuse de la poussière et du vent devenait visiblement invalide.

« Ça ira, Mikey. Tu t’en sortiras de toute façon tu es seulement concentré sur ton rêve. »

Il hyperventilait. Sa main se plaqua contre sa bouche pour étouffer le son désespéré qui allait en sortir. Tout était réel, tout s’effondrait. Il repassait le choc de la nouvelle pour la première fois. Elle avait menti, non, ça n’irait pas. Ça ne pouvait pas aller. Il se sentait si vide, si seul, si détruit. Il avait besoin de s’accrocher à son corps, respirer son odeur, sentir ses caresses, savoir qu’elle ne l’abandonnerait jamais. Mais elle l’avait fait, elle était partie et il se retrouvait, comme un idiot, au milieu de l’endroit qu’ils avaient choisi à deux pour y vivre leur vie. Après des années de relations, quelques années de vie commune, il courrait après le fantôme de ce qu’ils avaient été. Il comprenait maintenant, il voyait ses erreurs, il percevait clairement la douleur de se sentir délaissé, abandonné.

Ses jambes bougèrent d’elles-mêmes. Elles le menèrent tout droit vers la chambre qu’ils partageaient et, dans l’encadrement de la porte, il s’effondra en larme. Son armoire était vide. Plus aucun vêtement. Plus aucun carnet ne trônait sur sa table de nuit. Les bougies qu’elle affectionnait tant avaient également disparues. Vide. Tout était vide. Il n’y avait même plus sa stupide peluche ourson à côté de celles en forme de Sunday qu’il lui avait gagné à une fête foraine.

L’ourson était parti, la glace était toujours là.

Le message était clair, elle se choisissait et le poussait en dehors de sa vie. Il se laissa tomber, ses genoux percutèrent le sol en premier, sa tête inclinée vers l’avant. Comment avait-il pu tout perdre ? Comment avait-il pu la laisser filer ? Il l’aimait. Il l’aimait tellement. Il l’aimait encore. Il ne supportait toujours pas de l’imaginer proche d’un autre homme que lui. La simple idée de savoir qu’elle était peut-être avec quelqu’un d’autre, entrain de rire à une autre blague, de commencer à tomber amoureuse d’une autre personne… Non. Non elle ne pouvait pas. C’était ce qu’ils avaient l’amour. C’était seulement ensemble qu’ils pourraient ressentir de nouveau quelque chose d’aussi fort, il voulait lui montrer, il voulait le lui faire comprendre, le lui dire.

Machinalement, sa main saisit son téléphone dans la poche arrière de son jean sombre. Malgré les larmes qui embrouillaient sa vision, il savait exactement où son contact se trouvait. C’était le dernier qu’il avait appelé de toute façon. Son doigt glissa sur l’écran humide de ses larmes et il porta une main tremblante à son oreille. Il ne lâchait pas du regard la peluche solitaire sur le lit, comme si elle détenait la clé de toute cette histoire. Pourquoi se raccrochait-il à ce souvenir-là ? C’était le premier cadeau qu’il lui avait offert, le premier qui avait scellé leur histoire. Ce soir-là, il l’avait embrassé pour la première fois. Ce soir-là, il avait vu dans ses yeux ces lumières disparue la dernière fois qu’il les avait croisés. Il n’allumait plus rien en elle, plus aucune vie. Un shot de vérité, voilà ce qu’il reçut de nouveau à force de chasser ces images fantomatiques qui devenaient presque plus palpables. Il y eut deux sonneries.

- Reviens, supplia-t-il dans un murmure écorché. Reviens je t’en supplie… je…j’ai compris… J’ai totalement merdé, je t’ai délaissé, je t’ai étouffé… Reviens. Je ne veux pas être sans toi, je ne peux pas être sans toi, tout ce que l’on avait… Je suis à la maison et tu n’es pas là, tu n’es plus là. Il n’y a plus rien de toi. Pourquoi tu as laissé la peluche ? Pourquoi ? Je l’ai gagné pour toi. Elle est à toi… comme moi.

Il ne criait pas, mais sa gorge le brulait. Les sanglots étaient acides et amers, comme la réalisation de ce qu’il venait de perdre. Sa main s’accrochait désespérément au téléphone, à ce dernier lien.

- Dis-moi que tu me veux dans ta vie… Dis-moi que tu m’aimeras jusqu’à ta mort… Je ramperai à tes pieds pour que tu redonnes vie à ça, j’en ai besoin. Dis-le, s’il te plait… s’il te plait… Ne me repousse pas... Je t’aime, je t’aime tellement… Je veux revenir vers toi.

Il laissa éclater un sanglot, chose qu’il n’avait pas fait devant elle depuis une éternité.

Mais seul le signal de la fin de l’appel lui répondit.

« Je te donnerai tout, encore et encore, tu n’auras qu’à prendre, mais tu dis que tu me veux hors de ta vie alors que je suis qu’un homme mort ce soir »

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