Premières douleurs

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Elle pleure, elle crie, elle tape, elle blesse ses petites mains encore si fragiles pour son jeune âge, mais elle sait que ça ne changera rien. Dans sa petite cage thoracique, la douleur sera la même, toujours aussi vive, aussi puissante et destructrice. Oh, comme elle la hait ! Elle ne la connaissait pas et n’aurait jamais voulu la découvrir.

Pourquoi subit-elle ça ? Sa maman et son papa l’ont toujours protégé, ils ont toujours veillé sur elle comme la prunelle de leurs yeux. « Tout ira bien mon bébé, papa et maman sont là ». Oui, ils sont là, ils sont même en bas dans la cuisine à discuter avec une voix grave. Eux aussi ils sont affectés. Ils l’ont prise dans leur bras, ils l’ont câliné comme lorsqu’elle fait un cauchemar… Elle aimerait que ça soit un cauchemar, parce que même si ça fait peur et ça fait mal, quand on se réveille on découvre que tout ça n’est pas vrai.

Mais là, ses petits yeux sont grands ouverts comme lorsque le sommeil la fuit. Ils fixent le mur rose pâle de sa chambre d’un air colérique et elle a très envie de pleurer. Papa et maman ont dit que tant qu’ils seraient là tout irait bien et c’est faux. Ils sont là et tout va mal. Elle a mal. Elle a très mal. Ses poings se serrent autour de son doudou préféré, une petite peluche en forme de renard. Lui aussi devait la protéger de la douleur mais il ne fait rien. Est-ce que c’est parce qu’il ne peut pas ou parce qu’il ne veut pas ? Maman dit toujours qu’il y a une différence entre les deux. Elle le croit. Et elle sait que Jude ne veut pas déménager au loin et la laisser.

Elle connait Jude depuis qu’ils sont bébés, ils avaient la même nounou. C’est son meilleur ami, leurs parents se connaissent bien et s’invitent souvent. Elle peut tout dire à Jude, il comprend. Lui aussi ses parents ils sont stricts parfois, mais Jude il lui donne toujours raison et elle, elle fait pareil. Quand maman lui propose d’inviter un ami à la maison, elle pense directement à lui, pas à ceux du centre aéré ou de sa classe de grande section. Non, c’est Jude, toujours Jude. Parce que Jude, il a une place toute particulière dans son cœur, là où ça brûle drôlement maintenant.

Jude, c’est son compagnon d’aventure. Ils ont franchi des mers remplies de pirates, volés à bords des grands aéronefs. Ils ont déjoué les plans du plus grand magicien de l’histoire et ont vaincu une armée de troll. Rien que ça.

Leur duo, c’est le plus fort.

Mais Jude, il était aussi là le premier jour d’école où elle avait peur et elle ne voulait pas lâcher sa maman. Il était là pour lui prendre la main, le regard tout triste de la voir comme ça et de quitter le confort de leur bulle, mais un petit sourire aux lèvres pour la rassurer. « Viens, Lucy, lui avait-il dit. On reste ensemble ». Et jusque-là, il tenait sa promesse. Jude et Lucy étaient toujours tous les deux.

Ce matin, la maman de Jude est arrivée sans prévenir chez les parents de Lucy. Elle était en train de finir son bol de chocolat que son papa lui avait préparé avant de partir faire son footing. Lucy a été surprise de la voir en larme, la maman de Jude était presque aussi jolie que sa maman à elle et pourtant, quand elle pleurait, elle l’était moins. Puis elle avait vu Jude, accroché à sa maman, il pleurait lui aussi. Ensuite, la nouvelle était tombée : le papa de Jude était muté.

D’abord, Lucy n’a pas compris que ça voulait dire. Elle ne connaissait pas ce mot encore, les livres qu’elle lit n’en parlent pas. Quand maman a pris son amie dans ses bras, elle a compris que c’était grave. Alors, elle est descendue de sa chaise pour aller serrer Jude dans ses bras aussi, sans trop savoir pourquoi.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? a-t-elle chuchoté.

- Je vais déménager loin, a répondu Jude.

Et ce mot-là, Lucy, elle sait parfaitement ce qu’il veut dire parce que Tata elle a fait pareil l’an dernier. C’est à ce moment qu’elle a eu très mal dans sa poitrine, juste vers ses poumons. Elle s’est mise à pleurer pour ne plus s’arrêter, comme Jude, qui la regardait tout triste.

En y repensant, Lucy se dit que ça aurait été à son tour de le consoler comme il l’a fait avec elle le premier jour d’école. Elle aurait dû plus le prendre dans ses bras et ne pas pleurer plus que lui, mais elle n’a pas pu. Elle pleure encore parce qu’elle ne veut pas que Jude parte. Elle ne veut pas aller à l’école toute seule, elle ne veut pas perdre son confident, celui qui comprend tout. Elle ne veut pas qu’il s’éloigne et qu’il l’oubli. Elle ne veut pas continuer à grandir sans lui.

A quoi ça sert de se battre toute seule contre une armée de trolls ? De diriger un empire magique sans son compagnon ? Quel bateau pirate va-t-elle aborder si elle n’a pas son ami ? Leur bateau il est à tous les deux, pas qu’à elle…

Mais même si Jude non plus ne veut pas partir, même si elle voudrait tout faire pour retourner la Terre et empêcher que le papa de Jude aille travailler ailleurs… Lucy est impuissante et c’est pour ça qu’elle pleure.

Son petit cœur est brisé et même si tout le monde l’a protégé, personne ne peut l’empêcher de ressentir et de s’être attachée.

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