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Il ne restait plus que quelques poutres qui ne laissaient échapper que des flammèches faméliques. Les pompiers rangeaient le matériel. Villard sanglotait comme un enfant. Farie rendit son arme au gendarme. La maison sans toit s’était affaissée comme un soufflet, comme l’angoisse des dernières heures. Pourtant, rien ne s’était dit encore, il ne restait qu’un mystère en suspend comme les dernières volutes de la pipe de Bakar. De ces ruines enfumées planait la rage de Greg et elle seule. Une rafale de vent sembla attiser quelques cendres comme le dernier sursaut d’agonie d’une haine sans objet.

Les gendarmes se regardaient incrédules, Carrière se gratta la tête, Farie observait Mohamed suspendu à ces lèvres qu’elle aurait préférés baiser tendrement. Tout était en suspension.

C’est Carrière qui rompit le silence.

— J’ai pu avoir accès au dossier de cette affaire, plus précisément c’est le commissaire Simonaud notre prédécesseur à la retraite et en charge de l’enquête à l’époque qui m’a rencardé. Gregory Dessait était à cette soirée parce qu’invité par M. Didier Villard. Simonaud n’a pas souvenance de cette Elsa. L’enquête révéla que la femme de Gregory, Céline, était la maîtresse de M. Villard. Mais rien de plus, tout ce petit monde de fêtards s’était couché dans les chambres aux étages peu après minuit, rien n’est ressorti des protagonistes de cette soirée, personne n’a rien entendu. On n’a plus entendu parler des disparus jusqu’à l’arrestation du SDF. Seuls éléments concernant ce dernier, des antécédents d’hospitalisations pour délires psychotiques et des violences conjugales répétés.

— Et, oui, on a plus entendu parler de Céline et jamais de Elsa. Et pour cause elles sont mortes ici, massacrées dans les toilettes et leurs cadavres cachés dans une cave secrète seule connue de M. Villard et de rares intimes, comme Elsa. M. Villard, le charmeur à tête d’ange selon Greg, amant de Céline et d’Elsa, la fille Kleenex, perdue et inconnue dont le souvenir ne reste que dans cette photo polaroid. Une fille vulgaire, une fille étrangère à ce milieu huppé de la famille Villard, une conquête sûrement facile dont il ne devait connaître que le prénom.

À présent l’élu rondouillard plongeait sa tête dans ses genoux et son sanglot sonnait comme un aveu.

— Que s’est-il passé ce soir d’avril 1986 ? Il est minuit sur la photo, Céline est déjà partie, j’imagine que Didier ne va pas tarder à la rejoindre. Pourquoi dans ces toilettes ? Car c’est bien là que Greg se remémore une scène de crime. N’est-ce pas M. Villard. ?

— C’est une idée à Céline, un préliminaire en somme comprenez-vous ?…

— Nous comprenons ! Bien sûr ! Le fantasme d’être surpris sans risque de l’être.

— Oui, c’est cela, mais je n’ai pas tué pourquoi l’aurai-je fait ? Mais Elsa et Greg sont venus pour la même chose sans le savoir dans le wc voisin et il a entendu Céline chuchoter, il est devenu fou. Il y avait une barre de fer qui servait à ouvrir le soupirail en hauteur et…

— Et il a frappé sans discernement Céline puis Elsa. Et vous ?

— J’ai fui, il était monstrueux, rien ne l’aurait maîtrisé, j’ai eu peur !

— Vous avez eu peur et il y avait de quoi quand Greg délirait entre deux hospitalisations en HP. Bob en a témoigné à l’instant. Une force de la nature et plus encore quand il avait bu. L’état des squelettes l’atteste !

Et j’imagine bien la suite quand le calme est revenu que vous avait vu Greg repartir seul et prendre sa voiture. Vous avez rappliqué sur le lieu du crime, parlons plutôt d’un massacre. Vous effacez toutes les traces et glissez les corps dans la cave secrète qui s’ouvre par le placard à balai. Ha ! La peur des ragots était plus forte que la vérité crue sur le meurtre de vos maîtresses par le mari dément de l’une d’elles, pour un petit jeu érotique gentillet, mais à haut risque avec un malade aussi violent qu’imprévisible que Gregory.

Restait l’épée de Damoclès du retour de ce dernier, et il est revenu en clodo avec ses délires et ses idées fixes, trente ans plus tard. Avec une réalité déformée et un passé en vrille où, sous l’effet de l’alcool, il exprimait son désir de vengeance et à jeun un délire parano structuré sur le meurtre qu’il avait pourtant commis, mais dont il accusait le salop à la tête d’ange. Il menait en bateau ceux qui l’écoutaient dans un discours halluciné, plein de sous-entendus et de métaphores.

— Je l’ai reconnu un soir dans la rue et je l’ai entendu ! Fit Villard anéanti.

— Bien sûr ! Moi aussi, un pauvre hère délirant ravagé par l’alcool. Son compagnon de rue, Bob, est venu vous faire chanter et vous avez accepté contre un toit hypothétique et à la condition d’un meurtre. Il n’est pas dur en affaire le Bob et il a accepté ! La peur toujours la peur de perdre votre notoriété, de la tacher de faits qui pourtant au plus valaient complicité d’un meurtre sûrement prescrits et dans des circonstances atténuantes.

Tuer Greg ? Mais notre Bob est un amateur ! il tire par méprise sur un sac à viande qui ne contient que le cadavre d’un compagnon de route déjà mort de froid et que Greg délirant encore, lardera plus tard de coups de couteau.

Quand, malheureusement pour vous, on serre Greg, il faut tuer l’avocate aussi qui en sait sûrement trop. Raté encore ! Notre tueur n’est pas habile, c’est un métier. Alors, vous nous suivez avec votre liquidateur d’opérette pour brûler votre maison avec ses occupants embarrassants dedans ? Ça aurait pu marcher nous avons eu, Farie et moi, beaucoup de chance.

— Je ne savais pas que vous étiez dedans !

— Ben, voyons ! Vous ne saviez surtout pas que nous en étions sortis et c’est pourquoi vous vous êtes imprudemment approché de notre feu de camp.

Les gendarmes se levèrent, une menotte claqua sur le poignet de Villard puis sur l’autre poignet de Bob. Le capitaine vint rendre ses bracelets à Bakar.

— Faut m’excuser, pour tout à l’heure, Commissaire, je ne vous ai pas reconnu.

— Il n’y a pas de mal, moi oui, mais je suis chatouilleux avec vos uniformes.

À cet instant nul ne savait que Grégory venait de se suicider dans sa cellule.

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