L’éclat du brasier s’affaiblissait et Bakar enfila sa frontale. Le ronron des moteurs des véhicules de pompiers, les éclats de voix des ordres et des contre-ordres des soldats du feu s’atténuaient aussi. Un climat plus apaisé régnait sur le lieu de l’incendie. Un homme en rouge apporta un thermos de café et quelques gobelets. Bakar apprécia cette attention de la part du seul corps d’armée qu’il estimait.

Les gendarmes comme Carrière furent invités à s’asseoir. Bakar resta debout. La montagne autour semblait s’effacer, semblait aspirée par les dernières flammes. L’espace se résumait à un petit cercle autour du commissaire. Comme un feu de camp paisible qui attendrait les premières notes d’une guitare sèche. Mais l’heure n’était pas aux chants paisibles, aux accords d’un Maxime Le Forestier, sa maison bleue était en feu.

— Heureux de vous voir commandant, et désolé de vous avoir dérangé en pleine nuit.

— Tout le plaisir est pour moi commissaire, je sais que vous ne me dérangez jamais pour rien.

Mohamed ralluma sa pipe et respira quelques volutes parfumées et cela le changea de la fumée noire dont il s’était extrait. Un instant le temps resta accroché à ses lèvres. Suspendu aux fumerolles qui dansaient dans le faisceau de sa frontale.

— Farie, heu, Maître Mabouba a été victime d’une tentative de meurtre en sortant de l’hôtel de police. Son audition concernait un certain Greg, un SDF soupçonné de meurtre sur un autre SDF. Mais ce Greg en question qui cachait son identité jusqu’alors aux enquêteurs l’a donné à maître Mabouba. Un certain Grégory Dessait. Il a disparu avec son épouse, il y a 30 ans après une soirée bien arrosée ici même. Et vous y étiez présent M . Villard à cette soirée ! Sur la photo que voici, non ?

Bakar tendit le cliché de groupe à l’élu presque chauve et bedonnant aujourd’hui, jadis frisé à la « gueule d’ange ». Ce dernier l’observa presque méprisant quand le commissaire le lui mit sous le nez. En politique comme dans la vie cette espèce de rapace perché ne réagit que son nez dans sa merde.

— Qu’est-que cela prouve ! J’avais trente ans alors, j’ai déjà été interrogé à ce sujet à l’époque.

— Sauf qu’à l’époque comme vous le dites, la jeune femme que vous tenez par la taille, Elsa, n’est mentionnée sur aucun procès verbal et pourtant elle vous accompagnait et se faisait passer pour la patronne, qu’est-elle devenue ?

L’élu se décomposait tout doucement.

— Je ne connaissais pas cette personne, je ne comprends rien à rien de ce que vous me dites.

— Peut-être que ces faits sont trop vieux, alors m’expliquerez-vous comment vous êtes venus ici si rapidement. Quel hasard vous a fait passer à proximité de votre bien si mal entretenu et abandonné, aux portes murées pour je ne sais quel prétexte.

Villard resta muet.

Fait rare pour un homme politique ! Pensa le commissaire.

Villard, les gendarmes, un élu professionnel, trois militaires, une caricature de la république aux pieds de Bakar.

— Peut-être que votre comparse menotté ici présent aura pris soin de changer de fringue et de se laver les mains méticuleusement après avoir tiré sur Farie. Parce qu’on trouvera les traces de poudre sur lui immanquablement, s’il ne l’a pas fait.

À ces mots, la voix érayée de Bob se fit enfin entendre.

— C’est lui qui m’a forcé à tirer sur l’avocate contre un logement social !

— SDF ? Comme Greg ?

— Oui, on faisait la route ensemble. Quand il était à jeun, il parlait de tout ça. Il y a un mois on est même venu ici, il avait bu, il est devenu fou, il voulait me tuer, c’était une force de la nature et quand il buvait c’était plus encore. Alors, j’ai fui.

— C’est peut-être de cette visite que ce sont ravivés ses souvenirs. Je comprends mieux pourquoi le passage dans la cave était ouvert, ce qui m’a sauvé la vie et permit de découvrir ce que vous savez. Alors M. le conseiller général, vous ne connaissez pas cet homme ?