IV

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Les essuies-glaces battaient rageurs et la pluie répliquait sur le pare-brise par des assauts de gouttes énormes constellées de glaçons punctiformes. Le fourgon s’élevait toujours dans la brume, mais des paquets de neige sales bordaient la route et témoignaient de l’altitude. 

L’Aigoual ! Ce que ce nom faisait rêver Mohamed quand enfant, il accompagnait son beau père pour skier sur les courtes pistes de la station de Prat Peyrot. L’aventure à une heure de Nîmes ! Les bois serrés qui ployaient sous les paquets de neige, la désolation polaire du sommet couvert d’une croûte de glace façonnée par le vent et son observatoire aux allures de château médiéval hérissé d’antennes. Ouais, mais ce soir les phares ne balayaient que les silhouettes faméliques de hêtres encore nus.

La mélodie familière de son portable le fit sursauter.

— Décroche s’il te plaît, ce doit être Carrière. Je t’expliquerai…fit-il à sa passagère.

La voix de Farie prononça un timide, allô

— Qui est à l’appareil ?

— C’est Farie…

Silence.

— Ha ? Je croyais que…

Et le commandant enchaîna aussitôt,

— Dis-lui qu’il y a bien eu une disparition dans un centre de vacances près de l’Espérou et à deux pas du sommet de l’Aigoual. Une femme et son mari ont été vus là, pour la dernière fois, la nuit du 20 mars 1988. Leur voiture a été retrouvée dans le Nord de la France quelques jours plus tard. Leurs noms : Céline et Grégory…

Farie sursauta et compléta.

— Dessait…

— Dis-lui aussi que cette Elsa n’existe sur aucun rapport…

La voix de Carrière se fit en morse et la communication coupa.

— Tu connaissais ce type ? dit-elle en balançant un nouveau regard noir.

Mohamed raconta sa soirée de la veille et sa quête de renseignements auprès de Carrière sur les bribes de récit de Greg . Le commandant avait fouillé les archives et contacté le vieux commissaire Simonaud.

— Oui, a part que la maison de Vacances appartenait au père, Ernest Villard, et qu’elle est aujourd’hui la propriété de son fils Didier, conseiller général. Compléta Farie.

— Et nous y sommes, fit Mohamed.

Un panneau tordu indiquait centre de Vacances de l’Espérou. Deux rochers obstruaient l’entrée du chemin et un panneau tout à fait superflu, indiquait défense d’entrer propriété privée. Le commissaire gara le fourgon dans un chemin proche à l’abri des regards et du balayage des phares.

— Je ne comprends pas, où veux tu en venir Mohamed ? Qu’allons-nous résoudre en venant dans ce coin perdu ?

— Deux choses, se mettre à l’abri et voir venir au plus près de la clef de ce drame. Si on veut t’éliminer, c’est que le peu que tu sais est de trop et c’est précisément d’aller mettre son nez dans une vieille affaire qui met quelqu’un peu scrupuleux en danger d’être démasqué.

Le commissaire commença à remplir un sac à dos de fringues et de victuailles puis il enfila des chaussures de randonnées.

— Mais je n’ai que ça sur moi, fit Farie qui regardait ses chaussures à talon et sa cheville gonflée.

Bakar ouvrit un placard qui faisait office de penderie.

— J’ai gardé tes fringues et tes chaussures de marche. Ça va le faire, fit-il en lui faisant un clin d’œil. Elle répondit par un sourire en coin forcé.

Après une demi-heure d’approche sur un chemin jadis goudronné et tapissé d’un damier de plaques de neige molle et remaniée par les premières douceurs, ils arrivèrent sur le parking qui s’étalait devant la maison. Une grande bâtisse aux volets fermés et aux portes obstruées par quelques rangées de parpaings. Par bonheur, le battement d’un contrevent les attira à l’arrière du bâtiment où une fenêtre libérée par quelques squatteurs de passages permettait un accès facile. Ils pénétrèrent dans l’immeuble glacial et obscur. Mohamed sortit une frontale et l’alluma. Le chant d’une rafale vint mourir dans l’ouverture ajoutant un peu plus de funeste à ce lieu abandonné. Ils visitèrent le rez-de-chaussée qui gardait quelques meubles oubliés des vols ou du vandalisme. Quelques tags égayaient les couloirs jonchés de tessons de bouteilles et de canettes de bière.

Un grand escalier plongeait en sous-sol. Ils y descendirent pour trouver une large porte défoncée qui donnait sur une salle au décor de grotte en polystyrène où ce qui en restait en lambeaux déchirés. Des spots explosés, un comptoir, quelques canapés effondrés aux coussins en lambeaux témoignaient de la fonction passée de ce lieu. Un simili de boîte de nuit et son dancefloor où les joyeux vacanciers devaient batifoler au rythme des musiques à la mode. Mohamed entendait encore la voix de Greg.

— Comme je te dis mon pot, des copains tous ensemble pour faire la fête un week-end entre nous. On avait dégoté ça, le fils du propriétaire, tu comprends ? Un enculé je te dis avec sa gueule d’ange.

L’air paraissait moins glacé en ce lieu, moins humide, peut-être un effet du décor en polystyrène. L’estomac de Farie et Mohamed était vide. Ils se retrouvèrent bientôt face à face sur le comptoir à la chaleur d’une bougie. Mohamed trancha un morceau de saucisson et le tendit à Farie, leurs regards s’effleurèrent. Mais celui de Farie restait dur.


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