Instinct (part. 1)

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Montpellier, été, fin de journée (année 2005) - Autobiographique.

J'habitais cette belle et grande ville du sud de la France depuis trois ans. Nous sommes à une époque, fort lointaine, où je n'avais pas encore déniché l'employeur conscient de tout ce que je pouvais lui apporter. Je cherchais donc désespérément cette personne intelligente, et l'emploi rémunéré qui accompagnerait, dans la foulée, sa décision de m'embaucher, si possible dans cette commune. Ce qui survint ce soir là restera gravé dans ma mémoire. Laissez-moi m'y replonger et vous le confier.

J’ai pris l’habitude de me rendre à la bibliothèque d’une école très réputée pas loin de mon studio. Très pratique, et fort sympathiques, car ils permettent un accès à internet avec ordinateur fourni. Je peux ainsi envoyer des CV et lettres de motivation, travailler sur ma recherche d’emploi et utiliser ma messagerie. J’en profite bien sûr pour surfer un peu. C’est un vrai plan « débrouille » que m’a gentiment indiquée une amie, car en réalité, cet endroit magnifique est réservé aux élèves de l'école. La dame qui gère ce cadre privilégiée ne se montre cependant pas regardante et ne fait aucun commentaire sur le fait que je ne fasse pas parti des étudiants de ce prestigieux centre de formation. Je la remercie avec de grands sourires et en me faisant discrète et solitaire. Une dame au grand cœur, à n'en pas douter.

Les deux autres possibilités d’accès à internet qui s’offrent à moi sont : soit d’aller squatter le pc d’un ami, soit de me rendre à la bibliothèque municipale. L’une comme l’autre ont le mérite d’exister, et j'en ai tout à fait conscience. Cependant, ces amis ont le mauvais goût (ou le bon), de ne pas résider pas dans le voisinage et je me mets de stupides barrières, dixit ces mêmes amis : je n’aime pas déranger. La bibliothèque de la ville, située en plein centre, rien que pour me contrarier, est loin de mon quartier. Il me faudrait donc utiliser les transports en commun pour m’y rendre.

Je sais gré à cette école d’ingénieurs d'être proche de mon habitation, ce qui me permet une économie substantielle sur le temps de déplacement et l’argent nécessaire au transport.

Je n'ai jamais été du matin, déjà à la naissance, j'ai contrarié ma mère en me pointant à une heure indue. Inévitablement, j’ai pris l’habitude de me rendre à leur bibliothèque certains après-midi, et j’en sors à la fermeture. Impossible de m’arrêter avant, internet c'est chronophage. Vous partagez mon avis, vous êtes bien en train de lire, là, non ?

Revenons à mon histoire, je m'égare. La bibliothèque est située à une distance d’environ 800 mètres de ma résidence, aussi je m’y rends à pied, de plus en plus fréquemment. L’exercice ça entretien, tout le monde le sait. Et c'est bien connu, on marche, en arguant être sportive et dynamique, alors que la réalité est tout autre : financièrement à l'arrache !

Ce soir-là rien ne diffère. La nuit tombe doucement mais il fait encore jour quand je marche sur le trottoir. Je ne me plains pas, la route est sympa, et j'aime marcher. Avec toutes les histoires horribles dont les médias se font écho et dont mes connaissances me rabâchent les oreilles, nous les filles jeunes, jolies et naïves, nous évitons de tenter le diable, si tant est qu'il soit concerné, en sortant seule la nuit lorsque nous avons la possibilité de faire autrement.

Je n’ai que trop conscience d’attirer les regards. Dois-je pour autant nier ma féminité ? Ma fierté a tranché depuis bien longtemps cette question : je ne m'y résoudrai jamais. Des années sans pouvoir me vêtir selon ma volonté ont laissé des traces indélébiles. J'ai un équilibre à rétablir. Pas totalement inconsciente, du moins j'ose le penser, je reste prudente. Ma tenue est jolie, les couleurs accordées, mais mes jambes sont sagement couvertes d’un pantalon qui ne me moule pas. Sur mon corsage, j’ai ajouté une veste un peu longue ouverte sur le devant. Mes chaussures sans talons et semi-ouvertes me permettent une marche sans entrave. Ni sexy, ni moche.

J’aime flâner, observer la vie autour de moi, les oiseaux qui virevoltent et pépient, les ombres qui se meuvent et s’enlacent pour mieux s’allonger. Quelques klaxons lointains. Un chien qui aboit. L'autre qui répond en grognant. Il ne fait pas chaud, pas froid non plus. Devant le lavomatique que je dépasse, deux jeunes garçons déchargent leurs grands sacs débordants de vêtements sales. J'admire au passage la plaisante musculature que déploie l'un d'eux devant mes yeux attentifs. Il m'adresse un sourire que je lui rends. Charmant. Un temps idéal, renforcé par la douce brise qui rafraîchit agréablement ma peau.

Quelques voitures circulent. Je croise deux personnes. Nous prenons soin de nous ignorer mutuellement, comme il convient ici. Une attitude qui ne me sera jamais naturelle, vous noterez que je m'adapte. L’expérience m’a rendue attentive, presque paranoïaque, alors mes yeux scrutent chaque ombre, mes oreilles analysent chaque bruit.

Une voiture ralentit à mon niveau. Je suis presque arrivée dans la rue de ma résidence sans portail ni barrière. Pourtant, j’ai la certitude que ce véhicule est déjà passé dans les deux sens.

L’instinct vient de prendre le pas sur la raison. L’alerte se déclenche dans mon cerveau.

Danger. Je sais.

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