Instinct (part. 2)

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Ne montre pas ta peur. Respirer. Encore. Mon coeur bat si vite que je n'ai plus de souffle. Je panique. Non ! Il ne faut pas que la peur m'empêche de lui échapper en courant si besoin. Je ne dois pas paniquer. Ne rien changer. Ne pas avancer plus vite ou juste à peine. De manière imperceptible. Je me concentre sur la légère accélération que j'impose à ma foulée.

Ma vision périphérique repère la voiture qui ralentie à mon niveau. Un homme au volant. Blanc. Brun. Des cheveux qui arrivent sur la nuque. Il me semble. Volumineux. Une masse ondulée de cheveux. Je ne le vois pas bien, le siège conducteur est du côté opposé. Je n'ose pas regarder franchement car je veille à ce qu'il imagine que je ne m'inquiète pas, que je ne réalise pas qu'il me suit.

Mon poing se resserre sur la poignée de mon fourre-tout que je porte à l'épaule. Ma main opposée y fourrage avec discrétion. Trouver mes clefs. Être prête. La clé serrée au creux de mon poing, je me reproche l'absence d'objet tranchant dans mon bric-à-brac. J'avais peur de me couper ou de blesser quelqu'un par inadvertance, maintenant je souhaite m'en servir. La clé n'est pas une arme dissuasive. Ma petite taille face au grand gaillard qui me suis non plus. Aucune chance. Ces mots résonnent et se répercutent dans mon crâne, intensifiant l'évidence.

L'entrée de ma rue ou plutôt de ma résidence est là. J'y suis presque. Il n'y a pas de portail, aucune clôture qui puisse le dissuader de me suivre, juste le nom "Cambaceres" sur l'un des murs. L'entrée de mon bâtiment se situe plus loin, à l'intérieur, et n'est pas encore accessible.

Je me raidis quand une voix résonne dans mon dos. Il m'interpelle mais je ne réponds pas. Je ne sais même pas ce qu'il a dit. Je m'en fous. Fuir. Vite. Je poursuis mon chemin comme si je n'avais rien entendu. La voiture, cette fois, avance lentement, à un pas derrière moi. Elle se cale sur ma vitesse.

Mon cerveau s'active et analyse toutes les situations possibles. Un ami ? Non je ne le connais pas. Une connaissance dont je ne me souviendrait pas ou un copain d'enfance ? L'ami d'un ami qui ne m'a pas marqué ? Possible, mais je ne parviens pas à m'en convaincre. Quelqu'un qui veut juste un renseignement ? Je réponds et il s'en va ? Non, la voiture se serait arrêtée normalement dès le premier passage pour que le conducteur puisse m'interroger. Ça ne colle pas ! Ce qui est évident, par contre, c'est que je ne dois pas me faire remarquer.

Les questions, réponses, conclusions fusent à une vitesse impressionnante dans mon cerveau épuisé par une hyper ventilation que je tente de maîtriser. La peur me gagne. Mes mains sont moites. La boule dans mon ventre se resserre. Ma gorge est tellement nouée que je serrais bien incapable de parler.

Les ombres s'allongent, j'en prends conscience en tournant. Il fait déjà plus sombre. J'entends une portière claquer dans mon dos. Ce bruit vibre et se multiplie dans mon crâne comme pour mieux me narguer."Je suis mal barrée". Je pense à ce que me veut ce type. Vol, viol, torture ?

— Hey, mademoiselle, attendez !

Je jette un bref coup d'oeil par dessus mon épaule. Je vois son ombre sur mes talons. Une silhouette mince et masculine. Il ne court pas mais son pas est rapide, ses foulées plus grandes que les miennes. Il gagne du terrain. Je ne le connais pas. Aucun doute. Je ne vais pas prendre le risque de le laisser m'approcher. Dans la rue déserte, aucune aide à espérer. Je connais les gens d'ici, personne ne sortira, personne n'interviendra. Si par hasard, les policiers sont prévenus, ils n'interviendront pas avant une bonne demi-heure au moins.

Je le sens plus que je n'entends ses pas. J'accélère encore. Lui aussi. Il me rattrape. Je pense à ma mère, au fait qu'elle apprenne que je ne suis plus de ce monde ou que l'on me retrouve blessée. Son impuissante, elle qui est si loin. Sa souffrance. Je ne peux pas. Elle n'y survivrait pas. Moi non plus.

Il est là. Je suis presque arrivée devant la porte de mon immeuble. Ma clé est prête dans ma main. Foutu porte à serrure. J'effectue un calcul rapide. A cette vitesse il va me rattraper, il est plus rapide. Tant pis, je n'ai plus le temps de faire semblant. Peut-être qu'il sait où je vais ? Pourvu que non, ou je suis dans une impasse.

Mes doigts s'enfoncent sur l'anse et mon bras plaque mon gros sac contre moi alors que je m'élance. Je cours et l'homme qui me suis aussi. Je transpire, j'ai une boule dans la gorge, le ventre noué. Vite ! Je bataille avec ma porte que j'ouvre rapidement et referme derrière moi quasiment devant son nez. Il n'a pas eu le temps de la bloquer. Je ne perds pas de temps à attendre de voir ce qu'il va faire, ni a écouter. Il est toujours là. Je l'entends. Je le sens.

Je monte quatre par quatre les quelques marches qui mènent à mon palier. J'ouvre la porte de l'espèce de sas qui relie mon entrée à celle de mon voisin d'en face, me faufile à l'intérieur. Mon dos pousse le battant qui se referme derrière moi. Ouf. Le bruit de l'ouverture de la porte d'entrée me sidère et je me fige. Comment est-ce possible ? Il a la clé ? Je me baisse car il y a un carré vitré sur le haut de cette porte.

Recroquevillée contre le battant, je me fais toute petite. J'entends ses pas. Il est là. Juste derrière les particules de bois qui nous séparent. Sa respiration est lourde. Tout mon corps est l'objet de tremblements incontrôlables. Il semble agacé. Il regarde par la vitre, j'ai l'impression que son examen du sas prend des heures. Je tente de contrôler ma respiration pour qu'il ne m'entende pas, sinon je serai découverte.

Je prie aussi pour qu'il n'ait pas l'idée de tester l'ouverture qui n'est pas verrouillée. Impossible de bouger, s'il m'entend ouvrir la porte de mon studio avec ma clé, il saura que je suis là. Mon Dieu, faite qu'il s'en aille.

Il s'écarte de la porte puis s'éloigne. J'entends qu'il monte les escaliers. Il rode à l'étage du dessus. Il monte encore, puis encore. Palier par palier. Méthodique. Il me cherche mais ne me trouve pas. Il écoute mais n'entends rien. Le silence palpable, étrange, prend des proportions inconcevables. Il doit s'étonner de ma disparition subite. Pourvu qu'il n'ai pas l'idée d'appuyer sur la clenche ! Il a fait tous les étages, fouillant méticuleusement et redescend en courant.

De nouveau, l'ombre de son visage opacifie la vitre, puis il disparaît. J'écoute attentivement. Le temps passe... mais rien. J'ai peur qu'il ne soit encore là, à guetter. Puis j'entends la porte s'ouvrir et se fermer. Je reste figée. J'ai trop peur de prendre le risque de bouger. Et s'il avait fait semblant ? J'ai vu trop de films d'horreur sans doute. Pourtant, je ne bouge toujours pas. Je contrôle mon souffle. Je ne dois pas paniquer et attendre encore un peu. Mieux vaut ne pas prendre de risque inutile. Dix minutes de plus ce n'est rien pour être sauve. Les secondes passent. Lentement. Je transpire. J'ai des courbatures.

Je me fige, en alerte : des bruits de pas résonnent à nouveau. Il rode sur le palier, monte au premier puis eu deuxième. Je grelotte de partout. Par quel miracle ne m'entend-il pas ? L'homme redescend et va regarder au bas de l'escalier, à l'entrée des caves. J'entends de nouveau la porte s'ouvrir et se fermer. Terrifiée, je n'ose pas bouger. Est-il parti cette fois ? Le doute est trop fort, omniprésent, et m'empêche de réfléchir.

Je suis restée là encore un bon moment, mais je suis incapable de dire combien de temps. J'ai rampé jusqu'à ma porte sur mes membres flageolants, ai glissé la clé dans la serrure et me suis faufilée à l'intérieur le plus silencieusement possible. A l'abri derrière ma porte fermée à clé, je me suis laissé glissée à terre, tremblante, courbaturée, vidée. Des histoires entendues tournaient dans ma tête avec en fond le visage inquiet de ma mère.

Je suis resté là un moment avant de parvenir à me lever et ensuite à vaquer à mes occupations quotidiennes. J'ai appelé ma soeur, mes amis, j'avais besoin de me sentir vivante. Ceux qui m'étaient proches ont réussi à me faire parler. Je leur ai confié ce qui venait de m'arriver en tremblant de frayeur rétrospective. Tous ont été unanime : j'avais eu de la chance. La configuration des lieux m'avait autant sauvé que ma réaction instinctive et rapide. Attendre dans le sas sans bouger fut une idée de génie.

Cet homme avait un passe pour entrer dans mon immeuble. Comment penser à une telle possibilité ? Une fois passée la porte de son immeuble on s'estime à l'abri de tous dangers externes. Par quel miracle avais-je eu le réflexe de rester dans le sas et de m'y cacher ? Il aurait eu tout loisir de faire ce qu'il voulait de moi dans mon studio. Toute la nuit.

Je n'ai pas raconté cet épisode à ma mère. La pauvre n'en aurait plus dormi et m'aurait harcelée pour que je revienne à la maison. Ce n'était pas la solution.

Les semaines suivantes, j'ai redoubler de prudence, adoptant une attitude fort peu rationnelle. Mais il n'y eu pas de suites, rien. Comme si ce soir là, il ne s'était rien passé. Et pourtant...

J'ai la conviction que mes lectures, déjà fort abondantes et variées, et mon empathie m'ont permis d'adopter le comportement adéquat. Qui sait ce qui me serait arrivé dans le cas inverse. J'en ai encore des frissons quand j'y repense. Passer dans cette rue à pied, quelque soit le moment de la journée me fait toujours un étrange effet.

Alors si ce texte peut guider d'autres femmes également...

Fin.

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