XXIX

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Un après-midi, sur l’initiative de Reine, elles avaient regardé des sketchs des Inconnus. Dans la grande salle, à côté de Viviane, Séverine s’était prise à rire. Contractions dans son ventre, sensation oubliée. Sans bruit, l’air autour d’elle se déchire. Elle se rend compte qu’elle a peur, horriblement. Si elle rit elle n'est plus anorexique.

Il lui semblait que sa maladie ne tenait plus que sur un fil ; elle voulait tant la retenir. Alors elle revenait, elle la faisait revivre.

L’instant d’après, elle retournait à ses puzzles. Elle s'y raccrochait, elle voulait y rester. C'était si rassurant. Elle voulait s'engouffrer dans les symptômes à ne plus en sortir.

Elle a peur de l'après, du vide. Elle a peur de guérir. Sans ça elle n'existe plus.

Louise allait bientôt rejoindre Manon sur le podium de la course aux kilos. Avec la rémission venait un gouffre immense, la peur de perdre son identité. Qu’est-ce qui est moi, qu’est-ce qui est la maladie.

Elle vient se coller à votre personnalité.

Vous oubliez qui vous étiez.

Il y a une notion quasi identitaire, leur avait dit le docteur Di Milano. Qui vais-je être après ? Vous vous rendez compte à quel point c’est difficile, une question existentielle. Trouver une authenticité. Il y a quelque chose de l’ordre du deuil. De l’ordre du passage à l’âge adulte. « Peut-être que vous avez encore besoin d’être rassurée, lui avait dit la psychiatre. Et si on doit le répéter 18 000 fois je vous le répéterai 18 000 fois. »

Le soir, elles avaient pris un café et un Coca Zéro au café à l’angle de la rue Ferrus, qui menait à l’arche. En prenant place, Séverine avait souri. Le café devenait le repaire des anorexiques du quartier.

Louise avait partagé aux autres ce qui l’avait décidée. « Allez, j’accepte de suivre ce qu’ils disent, je le fais et on verra. De toute manière, au pire on sait comment faire marche arrière. » Séverine avait senti un infime sursaut en elle. Cette phrase pourrait tout changer.

Elle ferait illusion. Elle reprendrait, pour essayer. Peut-être finirait-elle par y croire.

— L'anorexie est une des seules maladies où on dit : je suis anorexique, avait observé Manon. On ne dit pas : je suis un cancer. C'est très dur de sortir d'une maladie qui est nous. C'est se battre contre soi-même.

Séverine aimerait la jeter derrière elle. S’en détacher, à jamais. À un moment elle a été nécessaire, comme un instinct de survie, une béquille. Sinon on aurait disparu. Elle aimerait se réautoriser à manger, que ce soit une libération. Ne plus avoir besoin d’elle. Simplement.

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