XXX

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La dernière semaine de la session de printemps arrivait. Lorsque Séverine était montée ce matin, Gabrielle avait posé la main sur son épaule.

— Vous êtes comme un petit papillon qui s’est envolé… Même si vous ne pouvez pas vous en rendre compte.

Elle regrettait le départ de ses compagnes, mais elles garderaient contact, se verraient en-dehors. Séverine était soulagée de rester. Elle continuerait ici, à prendre des kilos de vie. Elle se sentait chez elle, protégée.

Il fallait que cela sorte. Ces semaines, aussi dures fussent-elles, la changeaient. Par certains côtés, son regard sur ces troubles a commencé à changer, elle les glorifie moins, car elle est un peu plus confrontée à leur réalité. Démystifier. Ce temps à l'hôpital déconstruit une à une les idées qu’elle s’en faisait.

« Ce n'est pas un lieu de vie, mais un lieu de transition. Vous ne le faites pas pour être bien ici, mais pour être bien dehors », lui avait-on dit.

Elle n’avait pas voulu entendre, les mots s’étaient dissous dans l’air.


Séverine avait mis l’unique robe longue qu’elle possédait, rouge profond et lacée à la jambe.

— Elle est splendide, avait commenté Coralie. Il manque un peu de formes, mais…

— Mais elle ne m’ira plus.

— Elle t’ira encore mieux !


Une infirmière leur avait proposé une séance beauté.

— Quand on a un TCA, on est un peu en rupture avec soi-même. Il faut apprendre à se réautoriser des choses, prendre soin de soi.

La porte de la petite salle s’était refermée, elles étaient restées dehors à jouer au « Six qui perd », comme Reine aimait l’appeler. Lorsque Viviane les avait rejointes, sans bruit, elle leur avait coupé le souffle. Le mascara faisait ressortir ses grands yeux bleus, son teint n’était plus livide. Elles étaient si contentes de voir Viviane ainsi, si belle et non en tenue de sport. Abasourdie, la jeune femme en avait les larmes aux yeux. Un instant la guérison était là, toute proche, possible.


Jérémie leur avait fait la surprise de faire venir un chien thérapeutique. Elles l’avaient caressé, choyé. Un moment simple. Au moment de faire le bilan de leur séjour, Séverine avait dit qu’elle avait peut-être avancé dans la communication avec les autres.

— Enlevez des choses, l’ergothérapeute l’avait contrée. Dites « j’ai avancé dans la communication », pas « peut-être ». On le voit. Vous êtes rayonnante.

Louise avait souri. Séverine était touchée.

Cela lui fait tellement plaisir d’entendre Viviane dire qu’elle avait pris pour la première fois le petit déjeuner avec ses enfants, qu’elle était décidée et qu’elle était sereine. On l’avait menacée de sevrer son hyperactivité en l’hospitalisant au deuxième étage. Le chantage semblait porter ses fruits.

L’ergothérapeute leur a dit de fermer les yeux et de répondre à une question.

— Qui a envie de perdre du poids en sortant d’ici ?

Séverine avait levé la main à moitié. Le cœur battant, elle avait rouvert les yeux.

— Quand les difficultés vont arriver, et elles vont arriver, vous allez vous réfugier dans la maladie parce que ça vous réconforte. Il faut essayer de faire sans. Et surtout, tirez la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. Vous êtes sensibles, pas fragiles. Vos fissures sont vos forces. Vivez. Ça vaut le coup.


Elles ont fini leur kintsugi, puis sont allés déjeuner à l'extérieur avec Jérémie, Bastien et Coralie. Cela faisait près d’un an que Manon avait réellement apprécié un restaurant.

— J’avais pris une quenelle de brochet sauce Nantua et un flan aux abricots, s’était-elle remémorée.

Jérémie était resté stupéfait.

— Vous vous souvenez de ce que vous avez mangé il y a un an ?!

— Bienvenue dans notre monde !


Au goûter, Bastien n’avait pas eu le courage d’aller chercher les CNO au frigo, alors il les a laissé prendre deux gâteaux à la place. La salle s’était teintée d’une atmosphère étrange, un goût de dernier jour, si l’on pouvait stopper le temps. Personne ne partait, l’infirmier restait assis sur sa chaise.

— Pourquoi vous êtes encore là vous ? s’était étonnée Reine.

— Je pourrais vous dire la même chose ! avait claironné Bastien.


Louise avait voulu prendre une photo de groupe contre le mur rouge du couloir, elle avait convaincu Viviane de rester à leurs côtés. Elles avaient récupéré leurs affaires et avait dit au revoir au médecin, à Coralie, à Gabrielle. Séverine leur avait emboîté le pas, on lui avait dit à bientôt. Ce n’était pas la fin. En elle sa maladie veillait, gardienne d’un flambeau mystérieux. Elles avaient essayé la trottinette électrique de Reine devant les portes de la clinique.

Avec Louise elles ont quitté Viviane à l’entrée de Sainte-Anne. L'arche était belle sous le soleil. En trottinant, elle s’était retournée avec un poing victorieux : « Guerrières ! »

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