XIII

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Elles avaient signé leur contrat de poids le mardi suivant. Aucun soupçon de comédie, un contrat dans les formes, sans sentiment. « Il y aura des moments difficiles, mais nous sommes là. Au jour le jour. C’est une première étape. » Six kilos à prendre en trois mois, six kilos d’inconnu.

Le docteur Di Milano lui avait expliqué ce qu'était l'ostéoporose. Les os deviennent poreux, plus fragiles prématurément. Plus propice aux fractures spontanées, vous avez les os d’une femme de soixante-dix ans.

— On ne va pas vous laisser à ce poids-là, il y a trop de risques pour la santé.

Ils disaient qu’il y avait tout à y gagner, l'irritabilité, l'anxiété, la fatigue seraient diminuées.

— Votre famille le sait ? lui avait-elle demandé de but en blanc.

Séverine n'avait jamais pu répondre à cette question. On ne savait rien d'elle.

— Je ne veux pas faire de mal aux autres.

— Mais vous ne faites de mal à personne, si ce n'est à vous-même.

— J'ai du mal à dire les choses. J'en ai honte.

Les traits du docteur Di Milano s’étaient adoucis.

— Ici c'est un espace libre, avait-elle garanti. Il y a peu d'espaces aussi libres qu'un cabinet médical. J'ai juré devant Hippocrate que même sous la torture je ne révélerai rien de ce qui est dit ici par mes patients. Sinon je serais ostracisée par l'ordre de tous les médecins du monde !

Les mots étaient venus en file indienne, butant les uns sur les autres, vains et risibles.

— J'ai toujours l'impression que c'est de la rigolade.

— Votre état est critique, ce n’est pas de la rigolade.

C'est comme désamorcer une bombe.

Séverine l’avait regardée, elles n’avaient plus rien dit.

Elles avaient apposé tour à tour leur signature en bas de la feuille. Les infirmiers avaient déjà signé.

Les instructions étaient claires : « S’habiller selon les conditions météorologiques, dormir avec une couverture, ne pas prendre de douche froide. Suppression de toute activité physique en-dehors de celles proposées dans le service. Ne pas déambuler dans les couloirs, ne pas rester debout pendant les activités telles que lectures ou discussion avec les autres patients, supprimer les trajets à pied non indispensables, trajets quotidiens à réaliser en transports en commun aller ET retour. »

Sonnée, elle avait dit au revoir au docteur.

En réaction face à la contrainte, en proie à la panique, elle n’avait qu’une solution. Rester debout dans les transports, faire les cents pas le long du quai. S’offrir à la révolte. En elle tout s’insurgeait.

Prendre l'escalier au lieu de l'escalator était devenu son moyen de garder le contrôle, un secret qu’elle pourrait garder.

Elle fut dépassée par un groupe de sportifs sur le trottoir d'en face. Un commentaire railleur lui piqua la gorge. Elle n'était pas la seule à courir, tiens. Ils n'avaient juste pas la même raison. Elle n'en avait pas, au fond. Elle n'aurait pas dû. Une fille seule sans impératifs n'aurait pas dû en avoir. Elle faisait pitié. Elle se faisait horreur.

Lorsqu'elle arriva au pont, elle était essoufflée, les cheveux lui giflant le visage, les larmes lui brûlant les yeux. Elle le regardait, ce mur. Juste un élan de plus, et que le jour jamais plus ne se lève. Elle réprima son envie, récupéra son souffle et repartit en trottinant. Le cœur gros, le corps lourd.

Trop lourd.

Marcher était devenu sa liberté.

Ils lui interdisaient.

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