X

4 minutes de lecture

L’infirmier avait débarqué dans la salle d’attente qui deviendrait leur repaire, « J’ai besoin de quelqu’un qui n’a pas peur. ».

Le mercredi était le jour de la prise de sang. Chaque fois, Séverine n’attendait que des résultats négatifs. Chaque fois ses veines étaient inexistantes, chaque fois il fallait reporter.

Chaque fois guetter les chiffres hors norme, chasse aux mauvais résultats. Elle ne tombe presque jamais malade. Elle est trop résistante.

À l’hôpital, le temps s’écoulait différemment.

Ici elles apprenaient à attendre. Attendre faisait partie de la thérapie. Attendre les repas, qu’on vienne les chercher pour les activités. Ici le temps libre était légion, Reine avait proposé de jouer. Elle avait apporté un jeu de cartes et de Tarot. Séverine avait regardé Reine, Manon et Louise faire un Scrabble, pendant que Viviane était repartie déambuler dans les couloirs.

— Je vais continuer dans les mots gais : FADE ! entendit-elle Reine s’exclamer.

Et Manon de renchérir :

— Tu peux faire un verbe si tu veux. Genre « CREVA » !

Séverine avait souri.

Elles parlaient, et peu à peu, apprenaient à se connaître.

Comme elle, Viviane et Louise en étaient à leur première hospitalisation, Reine avait déjà passé quelques mois dans un centre pour adolescents, Manon encore, récidiviste, avait déjà été hospitalisée deux ans plus tôt.

Séverine commençait à saisir des bribes de vie, les contours d'une histoire. Reine avait visiblement une dent contre ses parents, « Qui aurait donné un prénom pareil, je rêve ! »

Elle était lumineuse.

Elles étaient descendues en atelier d’« activités manuelles », Séverine avait failli pleurer car elle n'arrivait pas à trouver et démêler des fils pour commencer un bracelet brésilien. Des nœuds au cerveau, des nœuds partout. Pas son truc. Elle a l’impression de ne plus savoir rien faire et pleurer pour un rien.

Plus tard, la psychologue les recevrait sur son siège bleu électrique. Séverine voit Manon revenir les yeux rougis. Elle admirait ces gens qui trouvent la force de sourire après ce qu'ils ont traversé. Elle n’en a pas vécu le dixième, pourtant une mélancolie sourde s'est logée en son cœur.

Je n'en ai pas le droit.

En entrant dans la pièce, Séverine n’était pas parvenue à faire taire l’appréhension tapie au creux de son ventre.

L'échange est dur. On aimerait se confier, mais on ne sait pas ce qu'on a le droit de dire. Où est la limite, ce qui est acceptable.

— Ça ne me ressemble tellement pas... j'ai toujours apprécié le fait de manger. Et voilà que je fais une fixation ?

Elle ne savait même pas comment elle avait pu en arriver là.

— J’ai l’impression que vous contenez beaucoup de choses, avait dit la jeune femme qui l’avait reçue, encourageante. Il est important de parler. En faisant sortir la violence et la tristesse, en la faisant passer de notre cœur à notre bouche, elle n'est plus en nous.

Séverine sentit son cœur accélérer. Elle perçait ses secrets. Il fallait faire sortir les mots, les dépecer de leur robe de honte et de dégoût, oser ne pas les ravaler.

Elle parla peu, pensa beaucoup.

C’était jouer avec la vie et la mort. C’est disparaître avec panache. Sa vie était trop lisse.

La mort était belle. Elle était belle dans sa noirceur, belle dans son extrémisme. Inatteignable, elle restait le suprême, le visage de la fin. Peut-être était-ce bien là ce qui les enchantait tant. Elle les voyait accourir, ceints du mal le plus honnête, auréolés des désespoirs les plus purs. Oui ils étaient tous là, les brisés, les exclus, les timides, les ratés ; tristes papillons fous éblouis par le drame. Qu'importe leur histoire, par elle ils étaient tous reliés, elle les cognait ensemble, pulvérisait leurs peurs, jubilait à leurs corps fracassés contre les murs de l'horreur. Elle se tordait de rire, à voir cette horde de pantins sidérés se détruire, luttant pour innover, hantés de rêves ignobles, ne pensant qu'à sombrer. Il était bon de s'affaiblir, de râler, de croupir. Comme ils étaient minables, à chercher la beauté dans les affres du mal. Il fallait trouver les manières les plus folles, les plus douloureuses, les plus voyantes, les plus horribles. Tous les moyens sont bons pour déconstruire son âme. Elle les fascinait ; ils voulaient, ils devaient sentir son souffle, toujours plus loin, toujours plus près.

Et lorsqu'on finissait par la toucher au terme d’une ultime imprudence, on se dégonflait. Finis les rires et finie la cavale. C'était trop tard. Personne ne les prévint quand ils eurent assez joué. Soudain, elle ne paraissait plus aussi resplendissante. Ils n’étaient que des lâches, des perclus d'immondices, des mangeurs de pitié. Non ils n'étaient pas prêts, oui ils avaient eu tort.

Elle était à l’hôpital, elle avait réussi. Aucune gloire. Aucun miracle. Aucune jouissance. Tout passait à côté.

— C’est tout ?

Non, ce n’était pas tout. C’était assez.

Mme F. l’avait regardée.

Séverine était impressionnée par son absence d’émotions. Son visage ne trahissait aucun choc ; aucun jugement ne tremblait dans ses paroles et le ton de sa voix.

Ce n’était pas honteux, avait-elle assuré.

Elle lui avait souri, l’avait raccompagnée.

— Et Séverine, il n'y a pas besoin d'avoir une mère malade ou un père alcoolique pour aller mal. S'il y a une souffrance, alors elle est légitime. Vous ne l’inventez pas.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Parallel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0