Chapitre 79

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La nouvelle ne fut pas longue, en effet, à circuler entre les murs du lycée Marie Curie. On se taisait sur le passage de Fanny tout en lui lançant des regards noirs ; on murmurait dans son dos diverses insultes à son encontre. La jeune fille évitait les croche-pieds, plus nombreux depuis quelques jours, et la peur l'envahissait dès qu'elle passait la porte de sa salle de classe pour se retrouver au milieu de la foule estudiantine, plus hostile et dangereuse que jamais. Elle quittait l'établissement le cœur battant à tout rompre, la crainte de se faire harceler se faisant farouchement ressentir.

Plus cette atmosphère glaçante se manifestait, plus Fanny recherchait la compagnie d'Amandine, qui jurait de ne rien comprendre à la situation, bien que ses manières insinuaient le contraire. Car l'impétueuse adolescente n'était plus, depuis une semaine, qu'une petite créature timide et alerte. Le cours de sport, toujours sujet aux plaisanteries entre les deux lycéennes, s'était déroulé dans un silence de mort. Le banc n'avait pas cessé d'être leur lieu de rendez-vous, mais l'ambiance toujours amicale s'était subitement refroidie, ne laissant place qu'à une tension inédite et palpable. Amandine jetait des regards inquiets à travers le gymnase, et la discussion qu'elle tenait avec Fanny se limitait aux plus strictes formules de politesse.

A la maison, le cinéma inquiétant se répétait. Pia évitait sa sœur dès que cela lui était possible ; l'attitude de Monsieur Lans se résumait en deux mots : colère et renfermement, et celle de Madame Rita-Lans n'avait jamais été aussi fébrile et timorée. Tout indiquait l'apparition d'un drame que Fanny brulait de connaître. Mais Amandine évitait toutes les interrogations qui s'y référaient, autant que Monsieur et Madame Lans. Et Marie Curie semblait être devenue une prison où tout le monde, sauf la principale intéressée, était au courant de quelque singularité. Après plusieurs jours d'attente insoutenable, Fanny était allée au-devant de Luc. Une sorte de réserve l'avait jusque-là empêché de se tourner vers le garçon ; mais sa patience finalement mise à bout, tout était devenu plus tolérable que de rester dans l'ignorance. Et elle fut bientôt heureuse, ou du moins satisfaite, d'avoir pris cette décision.

Luc reçut la demande de sa camarade avec embarras. Il se pinça les lèvres, et sembla réfléchir un instant à la façon la plus appropriée de révéler ce qu'il savait, indubitablement. Hector, son fidèle allié, tenait à peine en place, et fixait le sol, incapable de supporter en face le regard inquisiteur de Fanny. Puis Luc vint à la charge, ignorant toujours la meilleure manière de s'adresser à son interlocutrice, et ne pouvant plus épargner la pauvre jeune fille.

Sophie Calice allait revenir. Elle n'était plus la proie d'un système judiciaire décadent. Ses aveux n'avaient plus de sens, plus de valeur, plus d'importance. Fanny était la risée du lycée. Et sa plainte devenait vacillante avec ce retour imprévu. Selon les propres mots de l'inspecteur de police, le commissariat n'était pas un établissement scolaire, mais une prison pour les délinquants. Et l'on ne savait plus, aujourd'hui, si Sophie Calice entrait dans cette case-là. En attendant de nouvelles preuves et un procès qui l'accuserait ou l'acquitterait totalement de ses charges, Monsieur Dungan avait été contraint de reprendre l'étudiante dans son établissement. Bien que placée sous surveillance judiciaire, elle étudierait, se promènerait et, en somme, agirait presque comme tous les autres élèves.

Fanny avait gardé le silence durant le monologue de Luc, mais ne pouvait s'empêcher de hoqueter lorsqu'une information lui semblait trop invraisemblable. Quand il eut fini, elle l'examina avec trouble, horreur et effroi, secoua la tête à de multiples reprises, et entendit à peine le coup fatal qu'il lui infligea.

- On dit qu'elle s'en est tirée grâce à des magouilles policières. Aucun flic n'a levé le petit doigt quand l'inspecteur et le procureur ont pris la décision de la renvoyer chez elle. C'est quand même dingue, non ? Une fille comme ça devrait finir ses jours en taule !

Il paraissait vraiment hargneux, et Fanny ne put que remercier cette preuve d'amitié dont elle avait tant besoin.

- Pourquoi on croit ça ?

Luc observa sa compagne en soupirant. Son visage exprimait une tristesse infinie et une compassion insupportable.

- Parce que cette vidéo dont tout le monde parle n'aurait pas été retrouvée. Enfin, c'est ce que Charlotte et Mathilde racontent. Et l'on ne peut que deviner l'identité de leur source.

- Alors c'est vrai... Sophie est vraiment rentrée chez elle ?

- Hier soir, d'après les rumeurs. Et elle devrait reprendre les cours lundi prochain.

- C'est un cauchemar... bruit Fanny, dont la surprise avait fait place à une morbide résignation. Personne ne m'aidera donc ?! agonisa-t-elle presque.

Cet appel à l'aide brisa les dernières barrières que Luc avait posées entre Fanny et lui. Il la prit dans ses bras et la câlina tendrement.

- Et toi, tu y crois à cette histoire de magouilles judiciaires ? s'enquit l'étudiante auprès de son compagnon lorsqu'elle eut séché ses dernières larmes.

- Je ne sais pas... avoua le garçon. Tout le monde sait ce que ses filles ont fait, mais on attend patiemment une preuve matérielle pour les incriminer. C'est délirant.

- Oui... hésita l'adolescente dont la confiance envers les policiers venait de se rompre définitivement. Je crois que dans certains cas, il faut se faire justice soi-même.

Toujours lovée dans les bras de Luc, Fanny lui lança un regard grave qui lui fit froncer les sourcils. Témoin de leur intimité soudaine, Hector, encore en arrière, se sentait plus mal à l'aise que jamais.

- Tu veux dire... Est-ce que tu as des projets ? murmura le robuste lycéen.

Fanny se mordilla les lèvres, et acquiesça.

- Je n'en ai parlé à personne d'autre, mais j'ai bien l'intention, si la justice ne fait pas son travail, de m'y employer moi-même.

Luc amena son amie dans le coin retranché d'un couloir peu passager ; et Hector, en vrai chien de garde, se posta à quelques mètres de là, les oreilles et les yeux aux aguets, prêt à repousser tout élève un peu trop désireux de satisfaire sa curiosité en cherchant à découvrir le sujet de leur conversation aux airs bien trop sérieux.

- Il saisit tout, ton pote, remarqua Fanny, un peu surprise de la brusquerie de son camarade, mais stupéfaite de voir la confiance et la compréhension absolues qui s'exerçaient entre les deux garçons.

- Ouais... Peu importe, bredouilla Luc. Il faut que tu m'en dises plus sur cette enquête personnelle. Tu as déjà trouvé quelque chose ?

Il parlait vite, mais son regard vif et son expression exaltée montraient combien tout cela l'intéressait et excitait sa curiosité.

- Eh bien, non. Pas vraiment... balbutia l'étudiante à son tour.

- Comment ça : "Pas vraiment" ?

L'adolescente se sentit rougir, mais fut bien heureuse de se trouver suffisamment dans l'ombre de leur coin pour être en mesure de dissimuler sa lâche émotion aux yeux de son compagnon. Pourtant, elle songeait que Luc trouverait plus d'intérêt à ses révélations qu'à la couleur qui apparaitrait ou disparaitrait sur son minois.

- Rien. Je n'ai rien vu, raffermit-elle devant l'air intrigué, puis déçu de son ami.

Cette semi-vérité dérangea celle qui avait parlé. Elle n'avait certes rien découvert de spécial (ou du moins l'espérait-elle) mais ne pouvait oublier les voix qui l'avaient obsédée lors de sa dernière promenade à la chapelle. Et la folie s'étant emparée d'elle à ce moment-là, elle ne voulait pas que Luc la juge durement en lui faisant part de cette confidence alors que cet état n'avait été que passager. Elle rougissait de honte à cette idée et, bien qu'encore persuadée de l'importance de ce lieu pour son enquête, se refusait à y conduire son camarade au cas où ses fantômes réapparaitraient.

L'élève resta silencieux quelques minutes, fixant sur la jeune fille un regard indécis, puis se décontracta, et sourit.

- Je veux t'aider, si tu le veux bien.

Puis, sans attendre sa réponse, il se détourna vers Hector et lança nonchalamment :

"On t'aidera tous les deux. Hector s'y connait assez bien en informatique. Ça pourrait être utile pour retrouver la vidéo."

Celui-ci cilla, puis ouvrit la bouche pour la première fois depuis le début de l'entrevue.

- Je joue à Minecraft sur mon PC tous les soirs. Ca me donne pas le pouvoir de hacker des systèmes de police, et j'ai certainement pas envie de m'y essayer pour finir en taule à mon tour.

- Allez quoi ! Hector ! Je suis sûr que tu y arriverais avec un peu de travail ! Tu m'as dit que t'avais déjà pirater des films et des séries en ligne pour les avoir gratuitement !

- Eh quoi ? Tu crois que les services secrets vont m'appeler demain pour me missionner en me demandant de découvrir des zones terroristes en Afghanistan grâce à mes talents exceptionnels ? Mec, je suis pas un hackeur ! Je suis un fan de séries japonaises indisponibles en France et un gamer une fois passé la porte de ma chambre.

- Eh ben bientôt, tu seras un hackeur, s'impatienta Luc. La vie est faite de surprises, ajouta-t-il en se retournant vers Fanny pour éviter d'autres répliques d'Hector. Et cette aventure-là, on la partagera ensemble.

Il tendit une main cordiale à la lycéenne, qui la saisit avec timidité.

- Ne t'inquiète pas pour lui, chuchota Luc en percevant sa gêne, je m'en occupe.

Confuse, l'adolescente tenta de sourire, mais ne put que grimacer. Son ami la prit par les épaules et la considéra avec amusement.

- Et maintenant, te voilà une fière équipe ! C'est un bon début, tu ne crois pas ?

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