1.12 - Les adieux

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La Véritable Frontière quelques jours plus tard.

Le silence fut rompu par une voix métallique et caverneuse, qu’Adam et Eve ressentirent physiquement comme une gigantesque vague pénétrant leur corps.

‒ Est-ce que vous réalisez que vous me faites parler avec un code de chiffrement datant d'avant-guerre ? C'est presque aussi mauvais que diffuser ouvertement nos intentions à l'ennemi. Alors maintenant vous arrêtez les conneries, et vous vous faites sauter proprement et complètement ! Comme ça, je n'aurais pas à engager le combat avec vous, en plus de l'avant-garde des envahisseurs. C'était l'intercepteur 5. A vous.

Adam et Eve avaient l'impression d'avoir été happés et tenus prisonniers par une vague qui les retournait encore et encore alors qu'ils recherchaient la surface. Ils s'aperçurent l'un l'autre et se demandèrent si l'autre avait entendu et compris la même chose. Puis il leur revint l'idée de respirer.

Le vaisseau confirma :

‒ C'est le message que j'ai reçu il y a moins de 10 minutes. J'ai préféré vous convoquer tous les deux dans la salle de contrôle pour vous annoncer la mauvaise nouvelle de vive voix, si j'ose dire.

Instinctivement, Eve enveloppa son bébé de ses bras protecteurs. Adam avait la mâchoire crispée et les yeux complètement fermés. Puis il regarda Jonas, qui souriait innocemment dans sa grenouillère. L'atmosphère était tendue et personne n'osa parler, laissant le temps filer.

‒ On a plus beaucoup de temps à vivre de toute manière, reconnu finalement Adam. Alors autant faire d’autres enfants. Qu'en penses-tu ?

‒ Est-ce qu'on ne pourrait pas plutôt se concentrer sur l'objectif de survivre ? Je n’en ai rien à faire de tes prophéties apocalyptiques.

‒ D'accord. D'accord.

‒ Je veux pouvoir penser que j'ai un plan pour sauver Jonas, dit-elle résolument avec un regard qui ne supporterait pas la contradiction.

Mais avec ces simples mots, elle ne se rendit pas compte qu'elle venait de livrer à un triste sort, Jeremy, son autre fils.

En arrière-plan, les sanglots réprimés de Jeremy, agenouillés près de la porte ne furent pas entendu par ses parents adoptifs. La confirmation que sa mère ne s'inquiétait que pour son fils naturel était prévisible mais terrible pour un enfant né dans une couveuse cryogénique. Il serrait les poings en se tapant doucement et régulièrement la tête contre le mur.

Il aurait peut-être pu comprendre que le plus jeune fils était le préféré de ses deux parents. Mais il percevait que c'était plus profond. Cela alimenta une rage latente jusqu'à ce qu'elle tourne en désespoir puis en résignation.

‒ Il voit mon frère comme un être merveilleux, alors que je ne suis qu'une chose utile, se dit il intérieurement.

Il se leva et prit la direction de l'arsenal, alors que dans la salle de contrôle Adam demanda à Eve de remettre Jonas au lit pour l'aider à formuler un message de détresse à l'intention des extraterrestres.


***


A bord du vaisseau amiral, le capitaine centaurien parcourait patiemment les différents rapports sur l'explosion massive, ou plutôt la double explosion observée à l'orée du système solaire vers lequel ils se dirigeaient.

‒ Ca ne peut vouloir dire qu’une seule chose, dit-il avec une pause théâtrale.

‒ C'est un avertissement, proposa Igor. Ils vont nous détruire si on continue de s'approcher.

‒ Non, c'est la guerre, déclara Grishka.

‒ Non, c'est du renseignement, coupa le capitaine. L'explosion n'était pas contre nous. Ce n'est même pas sur notre route directe. Non, ceci est une information qui prouve qu'ils sont en guerre certes, mais entre eux très probablement.

‒ C'est quand même la guerre, estima Grishka.

Le capitaine soupira et le regarda pendant un moment long et inconfortable.

‒ Ta tâche est claire, Grishka. Tu dois comprendre leur langage, pour que nous sachions ce à quoi nous faisons face précisément et bien sûr ce que nous devrions faire intelligemment.

‒ Capitaine, dois-je vous rappeler à tous dans cette salle que ces messages une fois décryptés seront peut-être inutiles ou perfides. Ils ne devraient pas être le seul déterminant des décisions que vous prendrez au nom de notre valeureux peuple.

Et cette fois-ci le regard qui se voulait inconfortable était dirigé dans l'autre sens.


***


Après deux essais non concluants dans le microphone de la capsule de sauvetage, Jeremy opta finalement pour une annonce sobre et se concentra sur sa prononciation.

« Mes chers parents,

Il est venu le temps pour moi d'achever ma mission. Je suis né pour vous permettre de vous entrainer à la responsabilité parentale et ainsi vous prouver en tant qu'humain à part entière. Il est clair que j'ai peu de choses à vous apporter maintenant que vous vous êtes embarqués dans ce défi encore plus complexe que de donner naissance à un enfant de votre propre sang.

Mon seul vœu, et aussi dernier conseil que je puisse vous procurer, est que vous puissiez donner tout votre amour, sans condition, à tous ceux qui me suivront. J'aurais aimé vous entendre dire "Nous t'aimons." Et j'aurais adoré pouvoir répondre "je vous aime aussi." J'imagine que la seule phrase adéquate à présent est "je vous aime quand même."

C'est pourquoi je veux agir utilement une toute dernière fois. Et donc j'ai décidé d'attaquer l'intercepteur qui nous menace. Je n'ai probablement pas de grandes chances de succès ou de retour, mais j'espère que ma diversion vous permettra d'une manière ou d'une autre d'augmenter la probabilité de réussir votre propre mission.

Ainsi donc, Bonne chance.

Votre Jeremy. »

Il arrêta l'enregistrement et se relâcha dans le siège en mousse amortissante en pensant longuement. Il fit une grimace et se retourna vers l'arrière de l'engin minuscule.

‒ J'ai fait le bon choix, n'est-ce pas ? demanda-t-il à son frère Jonas. Qu'est-ce que tu en penses ?

Le bébé offrit instinctivement un large sourire à son grand frère et se mit à gargouiller dans son berceau qui deviendrait bientôt son cercueil.

‒ Ouais. C'est bien ce que je pensais. Je ne peux plus rien faire d'autre maintenant. On va en reste là. On verra bien.

‒ C'est marrant à dire, mais à cet instant, je ne ressens que de la pitié. Pour nous tous. Au début, je voulais uniquement me venger de ces parents indignes, et petit à petit mon excuse d'attaquer l'intercepteur est devenu pertinente voire primordiale. C'est bizarre ce relâchement, cette sorte de paix intérieure. Et du coup la question c'est est-ce que je suis un humain étrange, ou aussi étrange que tous les autres humains ?

A travers le minuscule hublot en verre renforcé, Jeremy essaya de repérer le vaisseau qui l'avait vu et concrètement fait naître. Mais sa capsule n'était pas dotée d'une vision virtuelle normalement fournie par le vaisseau, et il perdit de vue ses parents au milieu d'une myriade d'étoiles lointaines.

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