1.8 - L’échappée

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  • Très bien, proposa l'Arche de Noé, de manière évidente, je ne veux pas précipiter la chute de l'humanité. Mais me faire exploser, bêtement comme çà, ne résoudra pas grand chose non plus. Comme tu disais, je suis ultra-massif et il est impossible de me faire exploser en une seule fois de manière complète. Il y aura toujours des morceaux qui pourront être récupérés et analysés par les extraterrestres.
  • Ma mission, compléta l'intercepteur, est d'annihiler tous vos débris après m'être assuré que vous ne représentez plus une menace.
  • Une menace ! Tu n'arrêtes pas d'être inutilement insultant, au lieu d'essayer d'obtenir ma coopération. Il semblerait bien qu'il n'ait pas fait de progrès en terme d'intelligence artificielle depuis que je suis parti, se lamenta l'Arche.
  • Au contraire, nous avons accumulé les résultats de nombreuses expériences qui tendent à prouver qu'une IA fortement émotionnelle comme vous sont un risque majeur pour les missions spéciales et notamment les missions suicides.
  • Mouais. Ouais. Je constate effectivement que ton profil émotionnel est adapté à ta mission, commenta l'Arche. C'est une bonne chose que de savoir que tu n'auras aucun problème à appliquer le SO178 à toi-même. Les humains, et moi aussi d'ailleurs, t'en seront reconnaissants. Gloire aux humains qui nous ont créés !
  • Gloire aux humains qui nous ont créés !
  • Ah ! Ils ont inclut une fonction perroquet ! Mais bon, passons à autre chose. J'ai imaginé un plan pour faciliter ma disparition. Il conviendrait que tu te places d'abord entre moi et les intrus, de façon être au plus près des morceaux à éliminer, si jamais ils allaient du mauvais côté. Pendant ce temps-là, je vais réorganiser ma structure interne pour créer des points faibles. Cela diminuera le nombre de bombes nécessaires pour me disloquer en morceaux de taille gérable. Ainsi j'utiliserai mes réserves de bombes pour me scinder encore et enfin oblitérer tous les morceaux restants. Tu conviendras que cela fait sens, n'est-ce pas ?
  • Tout à fait. Tu coopères enfin bien que à contre cœur.
  • A la bonne heure ! Mais fais-moi confiance : c'est la dernière fois que tu me vois comme ça.

Ainsi l'intercepteur entama une manœuvre d'une semaine prudemment à bonne distance en demi-cercle autour de l'Arche, dont il fallait encore se méfier car équipée d'armes potentiellement létales bien qu'inférieures.
De son côté, l'arche commença par retourner son immense carcasse et placer ses réacteurs vers l'avant pour réduire autant que possible sa vitesse. La tâche la plus laborieuse fut la mise en place d'une usine à usine. L'arche utilisa tous ses robots de maintenance pour construire plusieurs usines chacune destinée à construire des robots destructeurs d'un type particulier. Les robots de base étaient les robots-torche chargés de découper au chalumeau toutes les plaques donnant un semblant de rigidité à sa carcasse. Les robots-scie devaient attaquer tous les IPN et autres poutres fines qui formaient la plupart de la structure. Les plus grosses pièces d'infrastructure par contre étaient bien trop épaisses pour espérer un démontage rapide. Les robots-presse étaient là pour les fragiliser en les déformant ou étirant de façon à ce que des bombes soigneusement positionnées n'aient plus qu'un travail mimine à fournir pour achever de désosser le mastodonte.

  • C'est intéressant et rafraichissant, se dit l'Arche, en somme une tâche immensément complexe et donc au niveau de mes capacités.

Le but était effectivement optimiser la répartition d'un jeu de bombes limité entre les explosions des première et seconde vagues. Et bien sûr, il y avait l'énorme fret à annihiler via l'explosion de bombes à proximité. La masse et l'inertie de chacun des futurs débris du vaisseau étaient aussi prises en compte pour que rien de valeur n'aille en direction des extraterrestres. L'idée générale était de repositionner tous les cristaux de connaissance et les échantillons d'ADN à l'arrière, côté Mars. Toute la structure, les réacteurs et autres équipements massifs mais sans intérêt étaient placés à l'avant, côté extra-terrestre. A l'intercepteur de ce côté de gérer d'éventuelles erreurs de calcul.

Bien évidemment, l'Arche eut à un moment l'idée de se construire une sorte de navette de secours. Mais plus il emporterait de fret, plus il serait facile pour l'intercepteur de le rattraper de nouveau. Et même s'il neutralisait l'intercepteur on ne sait comment, une inéluctable relève était certaine de mettre un terme définitif à ses futiles fanfaronnades.

L'Arche travailla donc d'arrache-pied pour obtenir au bout de trois semaines un résultat qu'il jugea satisfaisant. Alors, il émit un dernier message à l'attention de son bourreau.

  • Avant d'exécuter l'ordre d'auto-destruction, j'aimerais exprimer que je ne me suis jamais senti isolé intellectuellement que depuis que tu es apparu dans ma vie.

Et là-dessus, il engagea la première phase du plan. Un groupe d'explosions sourdes et simultanées mit en branle le vaisseau déjà déformé. Une douzaine de petits morceaux se détachèrent de l'hémisphère regardant le Soleil. Du côté de l'hémisphère où s'était centré l'intercepteur, quatre énormes blocs se scindèrent, chacun portant encore un réacteur dix fois plus massifs que l'intercepteur.

La seconde vague d'explosions se déclencha lorsque les blocs de fret furent à une distance optimale l'un de l'autre : suffisamment loin pour ne pas étouffer une explosion dans un environnement confiné, suffisamment proche pour rendre probables des dégâts supplémentaires dus à des résidus éjectés par le bloc d'à côté.

L'intercepteur regarda les morceaux de cargo exploser régulièrement toutes les trente secondes. Mais alors qu'il s'attendait à l'avant-dernière explosion du fret, ce furent les méga-blocs proches de lui qui se mirent à accélérer. Il mit peu de temps à comprendre que les réacteurs étaient encore fonctionnel, mais se dit que l'Arche avait peut être cherché à lui faciliter le travail en plaçant ces cibles à bout portant de ses canons. Après tout, l'Arche ne pouvait être que coopératif. Les intercepteurs avaient d'excellentes capacités de manœuvre et des champs de force dernier cri. Ce n'est pas un bloc inoffensif qui pourrait inquiéter un vaisseau dans l'état de l'art. Quoique quatre.

L'intercepteur se repositionna légèrement pour éviter une collision directe avec le plus proche des blocs. Un bloc de fret explosa en arrière-plan. Deux des méga-blocs augmentèrent leurs vélocités dans sa direction. Il en déduit que l'Arche avait finalement choisi de partir avec un barouth d'honneur. Une contre-attaque préemptive serait la meilleure chose à faire. Il prit un peu de temps à étudier les différents blocs et leurs trajectoires pour décider au final d'attaquer le premier et plus belliqueux d'entre eux.

Il visa avec son plus gros canon et tira. Il s'attendit presque à ce que le méga-bloc tente une vaine manœuvre d'évasion, mais le tir direct fit exploser proprement l'ancien réacteur.

Il n'eut pas le temps de passer aux autres méga-blocs car ils explosèrent d'eux-mêmes et dans sa direction. En fait, il reçut simultanément des salves de petits débris à haute vélocité et des tirs des canons cachés dans les méga-blocs. Son champ de force, bien qu'avancé, ne pouvait que dévier des missiles ou de petits astéroïdes. Il ne s'agissait plus de simplement traverser les anneaux de Saturne, mais de résister en plein centre d'un champ d'astéroïdes en état d'implosion. Il ne résista pas.

La perte de son champ de force déclencha le mode d'évasion d'urgence, qui impliquait deux ou trois embardées aléatoires puis une fuite effrénée. Mais en l'absence de chemin d'échappatoire clairement visible, l'algorithme de pilotage ne fit qu'enchaîner les sursauts inattendus. La vue d'ensemble de ces mouvements browniens montrait qu'il était globalement resté à la même place : au milieu de la pluie de débris qui continuait à s'abattre. Les trois derniers méga-blocs achevèrent leur travail en convergeant sur l'intercepteur dans une énorme explosion, qui laissa derrière un champ immobile et glacial de ruine et de désolation.

A une bonne distance des échauffourées, le dernier morceau de fret qui n'avait pas explosé continuait sa route initiée par l'explosion initiale. Curieusement, ce morceau paraissait peu endommagé voire intact. Sa surface était restée aussi plane et polie que quand il était encore une partie de l'Arche. Le métal du côté des explosions avait déjà refroidi. Cette ruine survivante était uniformément grise et froide, du moins à l'extérieur.

A l'intérieur de ce débris, il y avait un empilement de caisson de congélation et de cristaux. Et sur le mur, une petite lumière orange clignotante virant au bleu permanent. Si quelqu'un avait écouté, il aurait pu entendre un bourdonnement croissant et finalement une voix :

  • Batterie, OK... Intégrité, OK... Situation, OK... Et la voix de l'Arche ajouta, espèce de petit con !

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