32 - La fouille

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44ième jour de la saison du sapin 2448 - PDV Azéna

En cette même journée, au crépuscule venu, après ses mésaventures dans les souvenirs de Turion, Azéna expliqua à Tyrath ce qui s'était passé depuis ce matin-là. Le jeune dragon avait réagi avec colère et s'était défoulé en soufflant des bourrasques un peu partout comme s'il avait perdu la raison.

- Je ne peux pas le croire, rugit-il. Cette plume... Ce dragon est un supplice, une obstruction à notre relation! Ne vois-tu donc pas ce qui se passe?

- S'il te plaît, répondit Azéna, cesse ces idioties. De toute façon, on ne peut rien pour cela.

- Brûlons-la! s'écria le dragon avec enthousiasme rageuse.

- Tyrath... Franchement... Sois raisonnable...

- Non! Il m'offusque. Il... il...

Le drake argenté baissa sa grosse tête comme un chien piteux qui avait mal agit. Sa cavalière lui caressa le museau doucement.

- Tu es jaloux, dit-elle avec bienveillance. Tu as peur de me perdre. C'est très compréhensible. Mais, Turion a le pressentiment que quelque chose de mauvais va bientôt se passer et moi aussi. Tu as bien vus lorsque nous étions en chemin pour l'académie que le Sang du Dragon est à nouveau actif. C'est un sinistre présage. Il faut se tenir ensemble, toi, moi et Turion, termina-t-elle en désignant l'Oeil du Savoir qu'elle tenait dans sa main.

Tyrath retroussa sa lèvre supérieure et montra les crocs. Il se mit à grogner silencieusement tout en fixant la plume qui contenait l'âme de Turion. Azéna remit cette dernière dans une poche intérieure de ses culottes amples qui n'étaient tenus en place que par sa ceinture de cuir ébène.

- Arrête et réfléchit un peu, proposa Azéna en croisant ses bras derrière sa tête comme elle avait l'habitude de faire quand elle se sentait mal à l'aise. Il va falloir qu'on fasse équipe avec lui si on souhaite réussir.

Clairement incrédule, Tyrath souffla de l'air de ses narines et s'assit lourdement. Sans lâcher la poche dans laquelle se trouvait l'Œil du Savoir des yeux, il réfléchit pendant un long moment.

- Je suppose que tu, commença Tyrath en s'adressant à Turion.

Azéna lui fit les gros yeux afin de s'assurer qu'il allait faire preuve de politesse vis-à-vis du wyrm.

- ... vous avez raison, corrigea Tyrath avec dégoût. Humph...

- Merci, répliqua Azéna. Tiens, pour ton effort, tête de mule.

Elle s'approcha de lui pour lui gratter le menton affectueusement. Tyrath ferma les yeux, sourit bêtement et se mit à ronronner. Il ne pouvait jamais résister aux caresses. Il était un véritable chaton dans le corps d'un lion.

Après quelques instants, Azéna arrêta sa session de grattage et Tyrath ouvrit les yeux. Les traits faciaux du drake s'assombrirent soudainement.

- Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?

- Comment te sentirais-tu si je mourrais? demanda-t-elle avec amertume.

Tyrath baissa les yeux et réfléchit à la situation fictive. Le temps passa et peu de temps par la suite, sa respiration siffla entre chaque inspiration. Son visage se crispa et il se mit à se lamenter et à grogner simultanément. On dirait qu'il avait à la fois peur et qu'il était sur le point de s'emporter. Finalement, il leva les yeux et sur un ton froid, il répondit:

- Je sens la colère et l'amertume ronger mon cœur.

- Je suis désolé, dit Azéna. Parfois ma curiosité pousse sa limite.

Elle effleura le bout de son museau. Tyrath hocha de la tête; il semblait s'être calmé.

- Je comprend. Cet expérience t'a effrayé.

Azéna n'avait pas osé le demander à Turion de peur de le blesser émotionnellement. Puisqu'elle n'avait pas eu la chance de vivre la suite de son histoire, elle se demandait ce qu'un dragon ressentait face à la mort de son dragonnier.

Tyrath renifla et évita les yeux de sa campagne.

- Tu es vivante et c'est tout ce qui compte. Tu devrais aller dormir avant qu'on ne te surprenne ici et que tu te retrouves au donjon une fois de plus.

- À ça, je réponds non merci. Plus de donjon pour moi.

Le visage de Tyrath s'égaya.

- Tu affirmes ça et moi, je suis ici à espérer. Tu attires les ennuis et ça m'inquiète.

- Relaxe, mon grand, répliqua la jeune femme à l'expression hautaine. J'en suis consciente et regarde où je suis.

Elle lui accorda un clin d'oeil et se dirigea vers l'académie d'un pas presque dansant.

***

Le lendemain se passa comme prévue. Turion aida Azéna avec ses devoirs et personne ne remarqua le changement car son ancienne plume était aussi violette. En plus, Serfantor n'avait rien tenté pour le moment. Azéna savait qu'il allait se montrer le bout du nez un jour ou l'autre. Le connaissant, il n'allait sûrement pas se laisser abattre.

Au dîner, Terenas annonça que les apprentis de première et de deuxième année allaient subir une fouille cet après-midi durant l'une de leurs périodes.

- Quoi? questionna Azéna la bouche pleine de riz. Une fouille pour quoi?

- T'es perdue aujourd'hui, dit Fayne qui paraissait dégoûté de son amie. Ça fait trois fois qu'on nous avertis de cela. Ils cherchent une plume violette qui appartient à l'académie. Apparemment elle a été volée hier.

Azéna avala avec difficulté puis, elle afficha un sourire innocent.

- Tu veux dire la plume dont tous les apprentis parlent? L'Œil du Savoir?

Fayne leva un sourcil suspicieux.

- Possible que ce soit elle, répliqua l'herboriste sur un ton nonchalant. Elle a été volée alors que tu étais en retenue et tu n'as rien vu? Mmm curieux.

- Je n'ai rien vu, dit Azéna en s'efforçant de paraître neutre et calme. Alors, pourquoi ça me dérangerai?

Fayne eut un petit sourire en coin comme si elle n'était pas convaincue du tout. Malgré cela, elle sembla jouer le jeu:

- Tu es idiote, grogna-t-elle. Gragèn l'a volé d'après moi. Sûrement devant tes yeux aveugles aussi. Ça doit être Serfantor qui l'a présentement.

Sur le coup, Azéna avala son morceau de porc tout rond et s'étouffa. Fayne la regarda avec un mélange d'intrigue et d'inquiétude.

- Ça va?

Azéna prit une gorgée d'eau pour faire descendre la viande et soupira avec soulagement.

- Oui, oui. Je vais bien.

- Vous êtes toutes les deux troublées aujourd'hui, dit Teriondil. Un peu de thé...

- Pas maintenant, dit la brunette. Nous devons aller nous préparer pour le prochain cours.

- Ah bon? Déjà?

Teriondil et Fayne se levèrent de table.

- Attendez, je n'ai pas fini de manger, se plaignit Azéna un morceau de porc rôti aux levres .

- Tu manges trop de toute façon, accusa Fayne en se croisant les bras. Laisse le porc et viens.

- Ça ne me pas fait engraisser pour autant, répondit Azéna en avalant.

- Tu es une véritable barbare. Regarde-toi un peu.

Inconsciente que son uniforme était tâchée de sauce, Azéna fixa Fayne avec confusion.

- Elle n'a pas tort, dit Teriondil en pointant le dégat.

- C'est ça, ronchonna Azéna. Prend sa part.

Elle se mit à marcher en tentant tant bien que mal d'essuyer son uniforme. Se plaignant que Fayne était énervante tout bas et préoccupée par sa tâche, elle ne remarqua pas qu'elle avait légèrement changée de cap et se dirigeait tout droit dans une chaise inoccupée. Son tibia droit heurta le bois solide et elle se retrouva le visage au sol, les jambes en l'air et son corps par dessus la chaise basculante. Elle poussa un gémissement de douleur. Aussi rapidement qu'elle le put, elle se releva en espérant que personne ne l'avait vue trébucher. Fayne et Teriondil jetèrent un coup d'œil derrière eux et aperçurent leur amie qui tentait de les rattraper en traînant sa jambe droite. Sa grimace trahissait ses efforts pour paraître dur.

- Qu'est-ce que tu as fait, cette-fois? demanda Fayne.

- Je ne regardais pas où j'allais, murmura Azéna, gênée par ce qui venait de se produire. Et... Enfin...

- Tu as trébuché sur la chaise, termina l'herboriste avec sévérité.

- Non, mais non, mentit Azéna en plaçant maladroitement la chaise où elle était originalement. Tu vois? Tout va bien.

- Bien sûr, dit Fayne, clairement pas impressionnée.

- Bon d'accord, répliqua Azéna en sentant son sang monter à ses joues. C'est possible que je sois tombée...

- Tu es la personne la plus invraisemblable, maladroite et imprévisible que je connaisse.

Azéna haussa les épaules et ne put que sourire innocemment à cette vérité qu'elle ne pouvait dénier.

- Ne t'en fait pas. Je vais devenir une grande et puissante dragonnière.

- Je n'en doute pas un instant, dit Fayne avec sarcasme puis, elle donna affectueusement à son interlocutrice une chiquenaude au front.

***

En classe d'anatomie, Azéna n'écouta pas les explications de Maître Bicornas. Elle était bien trop occupée à songer à une façon de ne pas se faire prendre pendant la fouille. Depuis le dîner, ils avaient été suivis ce qui avait empêché Azéna d'aller chercher sa vieille plume dans sa chambre. Au début, elle croyait que ce n'était que depuis l'après-midi mais Fayne lui assura qu'ils avaient été surveillés toute la journée.

« Ce que je peux être bête, songea Azéna avec désespoir. Qu'est-ce que je vais faire, maintenant? Ils savent pour la plume... à propos de Turion. »

« Je dois à mon grand désagrément te prévenir que je n'ai pas assez de force pour dissimuler mes pouvoirs, dit Turion avec inquiétude. »

C'était la première fois que Azéna l'entendait prononcer un mot de toute la journée. Elle commençait à le trouver bien inutile, ce dragon aux pouvoirs immenses, mais qui n'était pas capable d'en utiliser la moitié. Malgré ce détail irritant, elle savait qu'elle aurait besoin de ses conseils, probablement de ses habiletés et, de plus, elle ne pouvait pas renier leur lien. Ce dernier n'était pas aussi puissant que ce qu'elle chérissait avec Tyrath, mais il grandissait lentement en elle. Elle devait admettre que le vieux wyrm était charmant à sa manière.

Elle réfléchit durant l'heure entière, mais aucune solution à part en parler à Fayne et Teriondil ne lui venait à l'esprit et elle ne pouvait pas y recourir.

La période se termina aussi rapidement qu'elle commença. C'était bien la première fois que ça arrivait dans le cours d'anatomie et Azéna n'en n'était pas ravis. Elle avait besoin de plus de temps, mais le sablier était presque plein. La fouille était dans quelques minutes et elle devait s'y rendre. Elle laissa Fayne rejoindre Teriondil et s'excusa avant de s'éclipser en marmonnant qu'elle devait aller à la salle de bain. C'était un mensonge bien sur. Azéna avait l'intention d'échapper à la fouille par le moyen le plus direct, mais le plus risqué. Elle n'allait pas assister au cours de Reaginn et ce, même si elle devait se payer des vacances au donjon. Dans son stress et dans sa maladresse, elle tourna un coin avec imprudence et heurta quelqu'un habillé d'une tenue sombre.

- On s'est perdue, mademoiselle Kindirah? demanda une voix douce et mielleuse.

Les oreilles d'Azéna bourdonnèrent à ce ton de voix. L'adolescente leva les yeux et aperçut un jeune humain adulte à la chevelure ébène attachée en queue-de-cheval.

- Ruvior, couina-t-elle avec horreur.

Instinctivement, elle recula avec maladresse puis, elle se figea sur place en fixant l'homme qui paraissait concerné par sa réaction extrême.

- Ça va? questionna-t-il en haussant un sourcil interrogateur. On dirait que vous préparez un mauvais coup.

- Mais, balbutie-t-elle avec angoisse, mais, pas du tout, Maître Ruvior.

- Alors, pourquoi allez-vous dans le sens inverse de ma salle de classe?

- J'ai oubliée...Heu... Mon pot d'encre. Oui, c'est ça.

- Mensonges. Je la vois qui dépasse de votre sac.

Un moment passa sans que les deux ne prononcent un mot. Reaginn paraissait à moitié calme, à moitié fâché et il fixait durement Azéna, comme s'il attendait qu'elle lui avoue la vérité. Mais, la demoiselle ne dit rien et résista à l'envie de partir en courant. Elle voulait échapper au regard intimidant du sinistre maître. Elle s'attendait au pire et ne pouvait plus rien faire pour l'éviter. Sa punition reposait entre les mains de Reaginn Ruvior, le maître le plus disciplinaire de tout l'établissement.

- Venez avec moi, dit enfin Reaginn en se mettant en route vers sa salle de classe.

- Qu'allez-vous me faire? osa demander Azéna en le suivant.

- Vous verrez bien lorsque votre temps sera écoulé.

Les manières mystérieuses et les réponses énigmatiques de cet homme menaçaient de rendre Azéna folle. Elle voulait qu'on lui explique ce qui se passait et tout de suite, mais elle n'était plus au palais royal de Daigorn. Elle ne pouvait plus se permettre d'être autoritaire, surtout en présence de Reaginn. Celui-ci l'emporta à sa salle de classe puis, il s'arrêta avant d'entrer.

- Bonne chance à la fouille.

Puis, il ouvrit la porte pour laisser Azéna entrer. La dragonnière sentit son coeur flancher momentanément et elle s'avança à contrecœur. Elle se demandait si Reaginn était au courant pour son dérobement de l'Oeil du Savoir; le maître agissait vraiment étrangement avec elle. Elle espérait que Turion se permettrait une remarque ou un conseil, mais le wyrm resta silencieux.

Durant toutes les explications et indications de Reaginn, Azéna failli perdre son calme à multiples reprises sous la pression du stress que lui affligeait la fouille. Une fois qu'il eut terminé, le maître invita ses apprentis à le suivre jusqu'à la salle des duels où les attendaient les trois sages ainsi que Terenas.

- Faites comme je vous ai expliqué, ordonna-t-il alors qu'il se plaçait à côté des autres adultes.

C'est à ce moment qu'Azéna réalisa qu'elle ne savait pas ce qu'il fallait qu'elle fasse. Elle n'avait pas écouté un seul mot de ce qu'avait dit Reaginn en salle de classe. Le stresse monta et une goutte de sueur glissa le long de son front. Fayne le remarqua.

- Ohh toi, dit-elle en roulant les yeux, allez, place toi à côté de moi.

L'herboriste était accotée contre le mur du fond et faisait face aux maîtres.

- Qu'est-ce que qu'il faut faire? demanda Azéna en obéissant à sa meilleure amie.

- Sort tout simplement ta plume et attend qu'ils t'appellent.

Un à la fois, chaque apprenti se retrouva face aux sages et leur plume fut examiné soigneusement à l'aide de tests magiques, l tout surveillé par Terenas. Ce fut le tour de Fayne puis, celui d'Azéna.

Lorsqu'elle s'avança vers les adultes, elle marcha le plus lentement possible en tentant d'éloigner le moment présent de son châtiment. Qu'allait-elle faire? Elle n'en savait absolument rien. Turion refusait de lui donner le moindre signe de vie et elle ne comprenait pas pourquoi. Elle s'arrêta devant Murun.

« Allez, Turion, aide moi! supplia-t-elle. »

Aucune réponse.

Murun fixa Azéna de ses doux yeux bruns et lui sourit amicalement. Il tenta de la rassurer, mais Azéna savait que c'était la fin pour elle et que rien ne pourrait la sauver. La seule chose qui l'empêcha de s'enfuir fut sa persévérance d'acier qu'elle devait à son rude entraînement qu'elle avait enduré tout au long de sa vie en présence de son grand frère cruel et de son père froid. Elle refusait d'abandonner et de se laisser marcher dessus.

- Donne-moi ta plume, demanda gentiment Murun.

Azéna lui présenta sa plume à contrecœur. Les yeux de Wirus et Saphia s'écarquillèrent avec intérêt lorsqu'ils aperçurent la couleur de la plume. Murun prit soigneusement l'objet et l'examina pendant un moment. Il la fit léviter et tourner à l'aide de sa magie. La lévitation était un tour simple pour un utilisateur de mana, mais fascinait tout-de-même Azéna.

Murun hocha de la tête en signe d'approbation et la plume flotta jusqu'à Saphia pour s'immobiliser au-dessus de sa paume gauche. La jeune femme aux yeux d'un bleu fit passer à la plume une série de tests magiques que Azéna ne comprenait pas. La plume virevoltait sur elle-même, se calmait puis, recommençait à s'agiter.

Après un moment, ce fut le tour de Wirus. Le plus déterminé des trois, il garda la plume bien plus longtemps que son frère et sa sœur. Pour s'assurer qu'elle n'était pas enchantée, il vida des substances qu'il avait préparées sur l'objet, mais fut déçu du manque de réaction. Rien d'anormal ne se produit. Azéna fixa le tout avec intrigue. Elle ne comprenait pas pourquoi tous les tests des Sages étaient négatifs. Peut-être que Turion su se camoufler en fin de compte.

Après quelques minutes, Wirus n'eut pas le choix d'accepter la défaite.

- La plume semble être normale, déclara-t-il sur un ton froid en fixant Azéna avec suspicion. Tu peux partir, Apprentie Kindirah.

Il remit la plume à sa propriétaire avec une lenteur étrange comme s'il espérait que quelque chose se produise lors du contact. Azéna la remit dans son sac avec délicatesse et retourna à côté de Fayne sur le mur du fond.

À la fin de la session, personne ne fut accusé d'avoir volé, ce qui n'était pas surprenant aux yeux d'Azéna car elle savait que la sienne était celle recherchée. En chemin vers le Hall d'Archlan pour aller souper, le trio fut dépassé par Reaginn qui était si pressé qu'il heurta Azéna. Cette dernière s'attendait à ce qu'il s'excuse, mais le maître ne ralentit même pas et ne lui accorda aucun signe d'intérêt.

- Quel effronté, dit-elle lorsqu'il fut assez éloigné pour ne pas l'entendre.

- C'est Ruvior, dit Teriondil en soupirant. Il est juste comme ça de nature. Il ne faut pas s'emporter avec lui sinon, on n'en finirait plus.

- J'ai remarqué. Je me demande pourquoi il est pressé comme ça.

- Laisse le faire, dit Fayne. Viens manger et oublie-le.

Durant le festin, Azéna tenta de communiquer avec Turion à nouveau. Cette-fois, le dragon répondit avec de la fatigue dans sa voix.

« Que s'est-il passé? Je sens un déséquilibre en toi. »

« C'est moi qui allait te poser cette question, répliqua Azéna avec rogne. »

« Umm... Je ne m'en souviens pas. Il y a un trou noir dans mes souvenirs. »

Azéna ne put s'empêcher se rouler les yeux à cette réplique. Elle mordit dans une aile de poulet pour se défouler.

« Aurais-tu performé un sortilège quelconque pour te protéger contre les tests des sages? »

« Je ne crois pas. Je n'ai pas assez de pouvoirs pour ça. Pas contre trois grands mages. Ça aurait été futile dans ma condition. »

- Azéna, dit une voix familière.

La dragonnière grise perdit toute sa concentration et se retourna vers son interlocuteur et aperçu Gragèn. Celui-ci s'était assis à côté d'elle et la fixait timidement, mais il semblait très heureux et de bonne humeur contrairement à d'habitude.

- Écoute, continua-t-il avec hésitation, je voulais te remercier pour Serfantor.

- Il t'a laissé tranquille? Demanda Azéna en faisant semblant qu'elle n'avait rien vu ni entendu hier.

- Oui. Il n'a plus besoin de mes services...

- Si on peut appeler ça des services.

Azéna émit un petit grognement en planta sa fourchette dans la poitrine de poulet qui reposait au centre de son assiette.

- Oui, répondit Gragèn, bon. Je voulais juste te dire un conseil : fait attention à toi.

- Pourquoi? questionna-t-elle avec suspicion.

Le roux jeta un coup d'œil rapide en direction du sac d'Azéna puis, il se leva et partit en la laissant à ses réflexions. Elle n'avait plus besoin de jouer la comédie car, elle savait déjà que Serfantor n'en avait pas terminé avec elle. Par contre, elle craignait jusqu'à où l'elfe gris allait aller pour mettre la main sur Turion. Elle regarda Gragèn s'éloigner jusqu'à qu'on lui donne un coup de coude amicale. À sa gauche, Fayne semblait concernée.

- Pourquoi il est venu te voir?

- Serfantor a tout simplement cessé de l'intimider, répondit Azéna.

Elle évita le regard de Fayne en recommençant à piger dans son assiette de viandes et d'amuse-gueules.

- Alors... Il a eu ce qu'il voulait? demanda Teriondil et Fayne simultanément. C'est donc pour ça qu'il y a eu la fouille.

- Possible, murmura Azéna comme si elle ne voulait pas qu'on l'entende.

Elle se mit à jouer avec sa nourriture en espérant que ses deux amis cesseraient de lui poser des questions.

- Qu'est-ce que tu nous cache? questionna Fayne avec autorité.

- Rien du tout, répliqua Azéna avec nervosité.

- Tu es très mauvaise à cacher tes sentiments.

Frustrée, Azéna serra les dents et s'efforça à sourire amicalement.

- Tu peux nous dire, murmura Fayne avec beaucoup plus de douceur. On ne va pas te dénoncer ou te faire du mal, tu sais. Nous sommes ici pour t'aider comme tout bon ami ferait.

« Ne leur dit pas, ordonna Turion. »

Azéna réfléchit à la question. Fayne était son amie depuis toujours et jamais elle n'avait trahie sa confiance. Teriondil semblait honorable et juste, mais elle doutait quand-même car elle ne le connaissait pas depuis longtemps. Elle détestait mentir et se cacher. Elle était une personne de vérité, d'honneur, de manifestation et de loyauté. Elle jeta un coup d'œil à son sac qui était à côté de ses pieds.

- D'accord, mais ne dites rien.

- C'est toi, supposa impulsivement Fayne. Tu as...

Azéna plaqua sa main sur la bouche de son amie. Teriondil, lui, resta parfaitement calme et serein, comme à son habitude, mais Azéna savait qu'il devait réfléchir à la nouvelle.

- Soit subtile avec ça, chuchota-t-elle à Fayne. Ce n'est pas une blague. Serfantor est après moi.

Azéna retira sa main et s'assit normalement.

« Désolé, Turion »

« Ce n'est rien répliqua le dragon. Je comprends ton besoin de te confier à quelqu'un de proche. »

L'attention d'Azéna fut alors attirée vers Fayne car celle-ci s'était brusquement levée de table pour courir après quelqu'un.

- Depuis quand a-t-elle de genre d'audace? se demanda-t-elle tout haut.

Fayne s'arrêta derrière un jeune elfe des bois. Azéna reconnue ses larges épaules, son uniforme modifié et ses cheveux vert forêt. C'était Umah. Fayne lui courait après, ce qu'elle n'aurait jamais osé faire normalement à moins d'avoir une motivation profonde. Méfiante, Azéna plissa les yeux et observa la scène.

- Laisse-la tranquille mon amie, dit Teriondil. Elle veut tout simplement l'aider.

Azéna ne l'écouta pas. Elle garda son regard fixé sur Fayne et Umah. D'ici, elle pouvait entendre leurs paroles si elle se concentrait assez.

- Ça va bien? demanda Fayne.

Umah tourna la tête pour identifier la personne qui lui parlait.

- Je t'ai déjà dit auparavant que je ne voulais pas d'aide, répondit Umah avec impatience et froideur.

- On a toujours besoin de quelqu'un en qui on peut avoir confiance.

- J'ai Yuzia et c'est plus qu'assez. Maintenant, laisse-moi tranquille avant que la dernière goute de ma patience s'écoule.

Fayne n'abandonna pas cette-fois. Elle continua d'essayer de trouver des bonnes raisons pour qu'il accepte son aide. Azéna se méfiait grandement d'Umah car elle savait qu'il pouvait être violent lorsqu'il perdait son sang-froid. Mais, le plus intriguant était le comportement de Fayne envers lui. Elle voulait à tout prix l'aider alors qu'il ne voulait que se débarrasser d'elle.

- Pourquoi? se demanda Azéna.

- Fayne a un grand cœur, dit Teriondil. Elle est intelligente et elle est une bonne personne, mais parfois, elle peut être naïve et imprudente.

- Ça tu l'as dit, répliqua Azéna en se rappelant du jour où Shirah s'était blessée et que Fayne avait risqué sa main et sa réputation pour la soigner.

Umah faisait face à Fayne à présent. Azéna put voir l'expression faciale de l'elfe des bois. Ses yeux devinrent de plus en plus foncés jusqu'à qu'ils devinrent deux trous complètement noirs.

- Ça suffit, déclara Azéna. Je m'en mêle. Il va l'attaquer.

Azéna se leva et courut en direction de son amie.

- Tu vas te faire expulser si tu te bats avec quelqu'un! hurla Teriondil.

La dragonnière grise en resta indifférente. Elle ne voulait pas qu'il arrive quelque chose à son amie. Elle s'arrêta à côté de Fayne et braqua son regard sévère en direction d'Umah.

- Calme-toi.

Umah poussa un grognement.

- Dégage de mon chemin! tonna-t-il.

Les autres apprentis se tournèrent tous pour voir ce qui se passait. Fayne fut intimidée par tous ces regards curieux, mais Azéna et Umah les ignorèrent.

- Tu vas la laisser tranquille immédiatement, ordonna Azéna avec sévérité.

- C'est elle qui me dérange, répliqua Umah. Elle n'avait qu'à ne pas se fourrer le nez dans mes affaires.

Umah crispa ses poings et serra les dents comme s'il essayait de contenir sa rage. C'est alors que ses ongles s'allongèrent et devinrent aussi acérés que celles d'une bête. Du sang coula de ses mains car celles-ci avaient percé ses paumes.

- Allez-vous en, suggéra-t-il en tentant de paraître amicale, mais sa voix était devenu grave et imposante.

- Pas avant que tu présentes tes excuses à Fayne espèce de sale barbare, cracha Azéna sans se soucier des changements physiques de l'elfe.

- Azéna s'il te plaît, plaida Fayne, légèrement paniqué. Ne commences pas...

Cette-fois, Umah perdit patience. Ses doigts craquèrent sous la pression. Il attaqua. Azéna n'eut pas le temps de penser à se défendre qu'elle fut sauvagement coupée au visage par les ongles d'Umah qui étaient maintenant des griffes. Elle ne sentit aucune douleur, seulement le sentiment de liquide chaud qui coula le long de sa joue blessée. Du sang... Mais, Azéna n'avait pas le temps de réfléchir à cela. Umah se préparait déjà à une seconde attaque. Cette-fois, Azéna l'évita de justesse.

Fayne écarquilla les yeux, figée par le choc. Teriondil courra vers eux en hurlant quelque chose, mais Azéna en plein combat, ne compris qu'un seul mot : chaman. Elle se retint de ne pas frapper Umah car elle ne voulait pas se faire expulser. Elle se concentra à éviter les attaques de son assaillant.

Umah sembla indifférent à cette affaire. Il agrippa Azéna par l'épaule et planta ses griffes au travers du cuir de son uniforme jusque dans sa chair. Cette-fois, Azéna sentit la douleur aiguisée se rependre au travers de son bras droit. Du sang coulait abondamment le long du membre. Sonnée par la douleur, elle tenta de se dégager, mais ça ne fit qu'empirer la blessure. Umah ouvrit la bouche pour révéler des canines de taille démesurée.

Alors que l'elfe des bois fut sur le point de mordre le cou d'Azéna, quelque chose l'arrêta. Il figea sur place et fut soulevé par une force invisible. Libérée, Azéna s'écroula au sol et tenta de mettre de la pression sur son épaule pour stopper l'hémorragie.

« Ne t'endors pas, ordonna Turion. Reste éveillée! »

Azéna ne l'écouta pas. Elle était si fatiguée et trop faible pour se concentrer sur quoique ce soit. Elle aperçut quelque chose de couleur argent, mais sa vision était trop floue pour déterminer ce que de quoi il s'agissait. Son affliction eut raison d'elle et l'ombre surmonta son esprit.

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