10 - Le rêveur

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1er jour de la saison de la faux 2447

Fayne fixait Azéna avec mécontentement. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais elle préféra l’abstinence à la manifestation. Son amie mangeait comme un véritable barbare affamé. Ça faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas eu un repas qu’elle aimait qu’elle ne pût s’empêcher de dévorer tout ce qui lui passait sous la main. La différence entre leurs goûts gastronomiques était à ce moment, très évident. L’assiette de la Kindirah était remplie de viandes, de fromages et d’amuse-gueules tandis que celle de Fayne était resplendissante de légumes, de fruits et de pâtes.

— Un jour, tu vas tomber malade, avertit la brunette.

Azéna cessa sa gloutonnerie frénétique et détourna son regard de son plat pour le poser sur son amie.

— Je suis encore jeune. Il faut en profiter de notre jeunesse, si tu ne te souviens pas de ce que c’est, se moqua-t-elle. De plus, ma meilleure amie est une herboriste. Je suis certaine qu’elle trouveras bien une façon de me sauver l’estomac.

Fayne lui lança un regard peu impressionné. Son interlocutrice poussa un soupir. Elle savait bien que ce qu’elle venait de dire ne faisait aucun sens. Il fallait prévenir, pas guérir.

— Je mangerai comme un lapin quand j’aurai quarante années derrière moi.

— Si tu vis jusque-là. Ça ne va pas empêcher la maladie de t’enfoncer vers la mort, répliqua calmement Fayne en dégustant sans presse sa feuille de laitue.

Lorsque l’aéromancienne ouvrit la bouche pour protester, quelqu’un lui vola sa chance.

— Elle a raison tu sais, supporta le garçon assis en face de Fayne.

Azéna s’empressa de jeter un coup d’œil à l’assiette de l’inconnu et constata avec horreur qu’elle était identique à celle de Fayne à l’exception de la présence d’écorce. Lorsqu’elle examina son visage, elle ouvrit la gueule, complètement bouche-bée. Puisqu’elle ne le connaissait pas par son prénom, elle utilisa son nom de famille :

— Murkwan, finit-elle par craché en pointant l’elfe du doigt.

Les deux demoiselles ne l’avaient pas remarqué de toute la cérémonie, à moins qu’il y fût arrivé en retard.

— Excusez mon impolitesse, dit-il en souriant faiblement. Je n’aurai pas dû me mêler dans votre dans conversation.

Encore une fois, Azéna tenta de s’exprimer mais on lui coupa la parole.

— Ce n’est rien, répliqua Fayne en ignorant le regard mauvais de son amie.

Elle fit une brève pause pour observer le garçon à la longue chevelure menthe dont une touffe était attachée en queue-de-cheval et aux yeux vert forêt. Elle remarqua que ses oreilles pointaient à un angle plus bas que celles des elfes lunaires et étaient pleines de perçages.

— Oh ! Tu es bien un elfe, confirma-t-elle pour elle-même.

— Bien vu, répliqua-t-il en affichant un léger sourire. Plus spécifiquement, je suis un elfe sylvain. Mon espèce a de très longues oreilles contrairement aux elfes gris et aux elfes de lune.

Il rougit légèrement.

— Je suis Teriondil de la maison Murkwan. Vous avez de beaux cheveux. Je vois rarement une chevelure ondulée d’où je viens.

Il serra la main de Fayne alors que les joues de celles-ci commençaient à devenir rosées. C’était rare qu’un garçon la complimentait et ça la gênait à chaque fois.

— Je suis Fayne de la maison Lit...

Avant que l’herboriste de puisse terminer, Azéna l’interrompit en haussant son ton de voix :

— Nous étions en pleine discussion ! ronchonna-t-elle.

— Pardon, s’excusa Teriondil en retirant sa main de celle de Fayne.

Il ne semblait pas perturber d’avoir dérangé les deux adolescentes. Au contraire, il resta serein.

— Fayne de la maison Litfow, répéta l’herboriste en évitant le regard de sa meilleure amie. Elle, c’est Azéna de la maison Kindirah. Elle est quelque peu...

— Susceptible, devina l’elfe en toute sérénité.

— J’aurai plutôt caractérisé Azéna d’irritable et impolie, mais susceptible peut aller aussi. Nous sommes originaires de Daigorn.

L’archère à-en-devenir sentit son sang bouillir de rage. Elle détestait qu’on se moque d’elle. Sa faim dissipée, elle se contenta de s’amuser avec sa fourchette en tentant de se calmer en jurant dans sa barbe

— Belle étoile, souffla Teriondil.

— Quoi ? demanda Fayne.

— Le sigle de Daigorn, la fleur blanche, l’aspérule, on la surnomme aussi belle étoile. Alors, vous êtes des filles de la belle étoile. Vous êtes aussi des filles du royaume de la tempête.

— C’est ça ! aboya sèchement Azéna. Je le savais, bien sûr.

Daigorn était surnommé le royaume de la tempête en cause de sa température fréquemment venteuse et en cause de ses vastes prairies où des tornades naissaient et mourraient chaque jour. Azéna était bien trop têtue pour avouer qu’elle ne savait pas pourquoi on surnommait Daigorn la belle étoile. Elle assuma que Fayne savait. Elle était si débrouillarde et éduquée, après tout.

— Pfffshh, ronchonna l’aéromancienne dans une tentative de dissiper son irritation.

Fayne et Teriondil ne s’adressèrent plus la parole pour plusieurs minutes. L’herboriste continua de manger son repas tandis que l’elfe sylvain fixait le vide devant lui. Son visage aux traits parfaits, comme la plupart des elfes, étaient alternés par l’inquiétude. Par contre, ses yeux étaient vidés de toutes émotions, comme si son esprit se trouvait dans un autre monde. Azéna ne mangeait pas non plus. Elle faisait tourner sa fourchette sur elle-même sans arrêt.

Après un moment, Fayne grinça des dents et brisa le silence.

— Qu’est-ce qui se passe ? Ai-je dit quelque chose ? Tu es muet depuis un moment.

Le garçon cligna à multiples reprises. La vie en ses yeux était revenue et son visage exprima la confusion.

— Ne commençons pas notre amitié de cette façon, proposa-t-il en s’adressant à la fois aux deux.

Au mot amitié, Azéna sentit son sang se glacer. Elle pivota machinalement sa tête jusqu’à ce que ses yeux sévères croisent ceux de Teriondil.

— Quelle amitié ? demanda-t-elle avec froideur.

Teriondil n’eut pas le temps de répliquer ; le grand maître s’était levé et Rendar avait poussé un rugissement afin d’attirer l’attention d’autrui sur son dragonnier.

— Il est temps pour les titulaires de guider les apprentis à leurs nouveaux dortoirs.

À la suite de ses brèves explications, six maîtres se levèrent simultanément au signal de Terenas. Ceux-ci se dirigèrent en face des tables des apprentis. Ruvior était parmi eux ; Fayne et Azéna le remarquèrent immédiatement.

— Je n’espère pas que Maître Ruvior est notre titulaire, se lamenta Fayne avec anxiété.

— T’en fait pas, la rassura Teriondil. Si tu ne l’accable pas, il ne te causera aucun problème. Du moins, normalement.

— Il faudrait pas qu’on trébuche et qu’on tombe sur lui, lança Azéna en lui accordant un sourire moqueur

Teriondil lui lança un regard confus. La dame de Daigorn, déçue qu’elle doive lui rappeler de ce dont elle parlait, soupira. Elle hésita de répliquer alors qu’elle remarqua l’anneau argenté sur sa lèvre inférieure. Un tatouage d’une barre solide cyan descendait du même endroit jusqu’à la fin de son menton. D’ailleurs, le haut de sa poitrine ainsi qu’autour de ses clavicules étaient aussi tatouées de symboles bizarres de la même couleur.

— Tu sais, dans l’enceinte lorsqu’on attendait pour entrer, précisa Azéna avec légère irritation. D’ailleurs, est-ce que vous êtes tous tatoués ainsi ?

Teriondil remémora cet instant en serrant sa queue-de-cheval, ce qui fit gigoter les plumes qui la décorait.

— Tu veux dire les elfes des bois ? Bah, la plupart. Certain préfèrent ne pas en avoir autant, mais moi je trouve ça très spirituel.

Les yeux de Fayne s’allumèrent avec intérêt.

— As-tu une épouse ?

Elle se plaqua une main sur la bouche. Azéna la regarda les yeux grands ouverts, choquée de son intrusion. Ce n’était pas les habitudes de son amie de poser de telles questions.

— Oh désolé, c’est rude de demander une telle chose, continua Fayne. J’étais tout simplement curieuse par rapport à votre culture.

Les yeux de Teriondil se perdirent dans le néant encore une fois comme s’il n’avait même pas remarqué que Fayne avait été rude.

— Un ou une partenaire ? se demanda-t-il. Non. Je ne suis pas pressé. J’ai toute ma vie devant moi. Ta curiosité est valide ; tu t’intéresses à ma culture.

Fayne allait lui poser une autre question, mais la voix autoritaire de Terenas l’interrompit.

— Les premières années, veuillez suivre votre titulaire Maîtresse Blakar.

Fiara Blakar sourit. Devant la table des premières années, elle rayonnait de joie. Les nouveaux apprentis un peu perdus n’eurent aucune difficulté à la repérer grâce à sa somptueuse robe de mage rouge vif. Le soupir de soulagement qu’avait poussé Fayne fit pouffer Azéna de rire. L’herboriste lui lança un regard mauvais tandis que Teriondil leur signala de se lever.

Il était temps de se séparer des dragons. Fayne lança un regard triste en direction de Buhrik, Azéna balançait les bras comme une folle en direction de Tyrath tandis que Teriondil offrit son au revoir à son dragon vert en baissant la tête avec respect. Les trois dragons partirent ensuite de là où ils étaient entrés.

Maîtresse Blakar attendit patiemment que les apprentis se mettent en ligne derrière elle avant d’entamer sa marche en direction du dortoir. Teriondil traîna derrière alors que la ligne se mit à avancer. Fayne paraissait tordue entre le désir de ne pas être en retard et celui de rester près de ses compagnons. Finalement, les deux filles suivirent l’elfe sylvain de près.

— Mais avance, ordonna Azéna avec impatience. On va les perdre.

— Vas-y si tu veux, lui répondit Teriondil avec patience et neutralité.

Azéna prit de l’avant, la tête haute.

— J’ai mes raisons pour rester derrière, continua l’elfe sylvain.

Le côté insoumis et curieux d’Azéna lui picochèrent l’esprit. Vaincue, elle grogna et ralentit sa cadence.

— Mais... Azéna, dit Fayne avec sa voix toute inquiète qui fit grincer la Kindirah des dents.

Son amie ne pouvait pas résister ; elle faisait trop pitié. Elle se mit à bougonner et tourna les talons. Afin de ne pas attirer la colère de son amie, elle s’efforça de sourire comme si elle était ravie de rester avec l’elfe énervant.

— Bon, partons à l’aventure dans ce cas !

Le trio passa l’encadrement de la porte au nord-ouest de l’immense salle pour entrer dans un court couloir qui virait vers le haut. Arrivé à un croisement, deux choix s’offrirent à eux : continuer tout droit ou, tourner à droite.

— Connais-tu vraiment ton chemin ? demanda Azéna.

— Tu doutes de moi alors que tu ne me connais même pas ? répliqua Teriondil d’une voix monotone qui énervait sérieusement Azéna.

— Ce n’est pas ça que je voulais dire... Gah... Alors... Si tu le connais, pourquoi tu ne choisis pas une voie alors ?

Azéna commençait à s’énerver. Fayne lui laissa savoir de se calmer d’un regard subtil.

— Je t’écoutais, tout simplement, continua Teriondil. Un petit conseil jeune apprentie dragonnière, ne sous-estime jamais l’inconnu. Il y des pièges partout.

Fayne hocha la tête en signe d’approbation. Teriondil était tellement serein et sans émotion que ça rendait Azéna folle et elle ne comprenait pas pourquoi. Finalement, il choisit de tourner à droite et ralentit sa marche.

— Un instant ! s’exclama Fayne tout à coup comme si elle venait de réaliser ce que l’elfe lui disait. Des pièges ?

— Bah oui. Il y a des sortilèges de garde à quelques endroits tels que cet infâme bibliothécaire animé par de la magie et des maîtres qui se promènent. Bon, nous n’avons plus besoin de nous hâter. Le troisième groupe continue tout droit. Donc, plus personne ne devrait passer par ici.

— Une... bibliothécaire ? demanda Azéna qui ne le prenait plus au sérieux. Ce n’est pas des pièges...

Il sortit une gourde de son sac à main et prit une gorgée. Soudainement, il semblait rassuré. Azéna trouvait son comportement bien suspicieux.

— De toute façon, pourquoi voulais-tu rester derrière ? demanda-t-elle en tentant d’intimider l’elfe sylvain afin qu’il lui réponde. As-tu vraiment quelque chose à cacher ?

— De vous, non, je ne crois pas. Je voulais tout simplement me détendre et explorer le fort. En même temps, ça vous donne une petite tournée de la place. C’est gigantesque. Je me suis souvent perdu dans les couloirs.

Azéna conclut que ce mec était complètement fou. C’était comme s’il était présent physiquement, mais pas mentalement.

Le trio aboutit devant une porte fermée au fond du couloir qu’ils traversaient. Des lettres argentées étaient gravées juste au-dessus de l’encadrement en pierre qui entourait la porte en vieux bois. Là, on pouvait lire Salle de bain des filles. Quelques fentes parsemaient son bois foncé.

— Tu connais déjà les passages de l’académie ? questionna Azéna avec méfiance.

— Oh... Petit détail, murmura Teriondil qui semblait tout-à-coup quelque peu mal à l’aise. J’ai malheureusement dû reprendre ma première année.

— C’est horrible, se lamenta Fayne dans un frémissement nerveux.

Ses yeux écarquillés se rivèrent sur l’elfe sylvain. Elle devait s’imaginer en train de faillir. Elle prenait toujours tout trop au sérieux.

— Qu’est-ce qui se passe lorsqu’on ne passe pas un cours ? demanda-t-elle.

Teriondil tourna la poignée de porte et entra dans la petite salle carrée. Azéna n’essayait pas de comprendre pourquoi l’elfe était entré dans une salle de bain pour femmes. La porte claqua bruyamment derrière l’archère alors qu’elle entra à son tour.

— Chut ! Fait un peu attention, lui ordonna Fayne. Un maître pourrait nous prendre sur le fait!

— On n’a pas le droit de se balader ? répliqua Azéna avec un tel étonnement que le ton de sa voix s’éleva.

Teriondil se pressa soudainement. Les deux adolescentes firent leur possible pour suivre son amplifiante cadence.

— En toute vérité, nous sommes supposés être à notre dortoir pour des explications que devait nous fournir le titulaire.

Il ouvrit une deuxième porte qui se trouvait au fond de la salle de bain et entra dans une nouvelle petite pièce. Azéna s’émerveilla sur sa propreté et sa beauté à la fois sophistiquée et ancienne. Mêmes les robinets étaient impressionnants. La pierre qui composait presque chaque pièce était gravée de symboles et de runes qu’elle ne pouvait pas lire. Néanmoins, les détails et la précision étaient notables dans le travail. Lorsqu’elle leva les yeux, elle remarqua le lampadaire suspendu par une chaîne au plafond. La douce lueur émanant des chandelles donnait à l’endroit une ambiance relaxante

— C’est une salle de bain ou un salon ici ? demanda-t-elle avec sarcasme.

Elle s’arrêta devant le miroir gigantesque.

— Fayne ! appela-t-elle. Regarde ici.

L’herboriste resta bouche-bée lorsqu’elle aperçut le dessin gravé qui entourait le miroir : deux dragons face à face. Leurs queues s’entrecroisaient au centre. Celui de droite était sérieux tandis que celui de gauche montrait les dents.

— Venez, dit Teriondil qui les attendait à la sortie. Je voulais tout simplement vous montrer cette salle. C’est une de mes préférées. J’aime bien l’aura qu’elle dégage.

Azéna ne comprenait pas vraiment ce qu’il voulait dire par aura, mais elle s’imaginait qu’il se sentait bien quand il était à l’intérieur.

Une fois dehors, ils arrivèrent à un croisement au bout d’un couloir. Teriondil s’arrêta et regarda vers la droite. Là se tenait une énorme porte renforcée de fer.

— Voici l’une des portes qui est reliée à la Tour Mère, expliqua-t-il en grimaçant légèrement. C’est là-dedans que les membres du personnel passent la plupart de leur temps libres sauf leurs dortoirs qui se trouvent dans la Tour des Maîtres.

— Alors, c’est pratiquement leurs bureaux, devina Fayne.

Teriondil se contenta d’un hochement de tête pour démontrer son approbation et continua son chemin en ignorant la porte. Lorsqu’Azéna y passa à son tour, elle examina brièvement l’entrée. Elle y avait remarqué les multiples runes qui décoraient l’encadrement de la porte. Il y en avait trois. Ceux-ci formaient un triangle qui recouvrait la porte si on les reliait ensemble. Le tout était ésotérique et puisqu’Azéna n’avait pas entamée ses études, il était inutile qu’elle essaie de déchiffrer ces symboles antiques.

Lorsque Teriondil s’arrêta à nouveau, trois choix s’offrirent à eux. Devant, c’était un cul-de-sac. À droite, il y avait un long couloir dont les murs possédaient de multiples portes. Certaines étaient fermées tandis que d’autres étaient entrouvertes. À gauche, il avait un couloir plus court. De chaque côté de celui-ci se trouvait une porte. L’elfe sylvain réfléchit puis, d’un signe de la main, signala à ses compagnonnes de le suivre vers la droite.

— Est-ce..., commença Fayne avant qu’une voix ne l’interrompe.

— Les salles de classe, termina un homme dont la voix était teintée de subtile irritation. Exactement.

Les trois apprentis se figèrent sur place. Personne n’osa dire un mot ni même tourner son regard en direction de la voix. Une silhouette se tenait immobile derrière eux dans le couloir qui était trop mal illuminé pour qu’on puisse déterminer de qui il s’agissait. Il n’y avait que quelques vieux réverbères trop éloignés les uns des autres pour fournir la lumière nécessaire afin de complètement chasser l’obscurité. Une boule lumineuse flottait au centre de la cage en vitre de chacun d’eux.

Azéna fut la première à tourner les talons pour dévisager le nouveau venu. Elle dut plisser les yeux, mais elle reconnut le maître du Donjon. Sur le coup, un picotement désagréable lui monta le dos, sa respiration accéléra et sa chaleur corporelle monta. Elle ne savait pas trop comment réagir. Elle savait qu’elle était déjà dans des beaux draps. Elle ravala un juron au dernier instant.

— Ruvior ! s’exclama-t-elle impulsivement, surprise de sa découverte.

— Je vois qu’on me connaît déjà, susurra Reaginn.

Le ton de voix du maître était si calme qu’il en devenait stressant. Après une brève pause à observer les trois apprentis qui lui faisaient maintenant tous face, il continua.

— Vous êtes une mauvaise influence, Apprenti Murkwan. J’aurai cru que vous auriez fait part de votre savoir en bonnes manières aux nouveaux apprentis. Malheureusement, vous semblez faire le contraire.

Azéna savait à quoi Maître Ruvior faisait allusion. D’après ce qui s’était passé durant leur attente dans l’enceinte de l’académie, il détestait qu’on omette son titre lorsqu’on faisait référence à lui. Sûrement que le respect était l’une de ses valeurs. Azéna considérait qu’il fallait le mériter ce qui n’était clairement pas le cas aux yeux du dragonnier au regard aussi obscur que les recoins cryptiques de ce corridor.

Reaginn se tourna vers Azéna.

— Pour clarifier, c’est Maître Ruvior, jeune apprentie. Maintenant, vous allez retourner à votre dortoir immédiatement et le tout se fera sans détour.

Tournant les talons, il se mit en direction des salles de classes, sa longue cape noire traînant derrière lui.

— N’êtes-vous pas censé être au dortoir des apprentis dont vous êtes en charge titulaire Ruvior ? osa questionner Azéna dont le sourire malicieux était camouflé par les ombres.

— À la dernière année d’entraînement, on s’attend à ce que vous sachez les règlements par cœur, répliqua-t-il.

Il s’enfonça dans l’obscurité et disparut. Le son de ses pas s’étouffa rapidement et le trio commença leur chemin en direction opposée d’où ils allaient avant que Reaginn ne les prenne sur le fait. Au bout du corridor se trouvait une porte sur laquelle reposait une unique rune au centre.

— Bon, commença Teriondil, nous voici devant l’une des entrées menant à la Tour de la Connaissance. Il y a aussi une au deuxième étage. Elles ne laissent que les membres du personnel et les apprentis de première année y entrer. Il suffit de placer sa paume sur la rune et la voie s’ouvrira.

Il en fit la démonstration. La rune brilla, la porte s’ouvrit et la lueur s’éteignit. De l’autre côté, il y avait un escalier en colimaçon éclairée par des torches.

— Ce fort est lugubre, remarqua la brunette.

— Attend qu’il soit illuminé à pleine capacité avant de porter jugement, répondit Teriondil en souriant.

Le trio entra et monta jusqu’à une deuxième entrée devant laquelle Teriondil fit halte et l’ouvrit. Lorsqu’Azéna, Fayne et lui pénétrèrent dans la salle, une multitude d’apprentis accompagnés de Maîtresse Blakar qu’Azéna reconnu par son teint bleuâtre y étaient. La jeune elfe de lune aux cheveux blanc se tut et fixa ses yeux gris sur les nouveaux arrivants. Ceux-ci s’assombrirent et se transformèrent en petites sphères perçantes.

— Où étiez-vous ? demanda-t-elle de sa voix impérieuse.

Fayne, paralysée de honte et de peur, ne dit pas un mot. Azéna, de son côté, ouvrit la bouche pour se défendre mais Teriondil fut plus rapide.

— Je suis désolé, Maîtresse Blakar. Comme je connais l’académie et le système, je me suis dit que j’aurai pu en profiter pour faire visiter mes deux amies.

Fiara sonda soigneusement les trois apprentis un à un. Azéna ouvrit la bouche à nouveau pour protester, mais, encore une fois, l’elfe sylvain l’interrompit avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit.

— Je leur partagerai les informations qu’ils ont manquées.

— J’espère pour vous que cela ne se reproduira plus, conseilla Fiara qui semblait s’être calmée.

Puis, elle lança un bref regard menaçant en direction de Teriondil avant d’écrire sur son parchemin à l’aide de sa plume cramoisie aux reflets iridescents. Elle redirigea son attention vers son auditoire :

— N’oubliez pas tout ce que je vous ai dit. Si vous oubliez quoi que ce soit, ne vous en faites pas. Les membres du personnel seront toujours là pour vous aider. Vous pouvez toujours venir me voir pour n’importe quelle inquiétude ou problème. Après tout, je ne suis pas titulaire pour rien. À présent, je vais vous laisser vous installer. On se reverra au souper.

Elle se dirigea vers la sortie. Teriondil et Fayne se déplacèrent pour la laisser passer tandis qu’Azéna sondait la salle avec curiosité. La jeune dame s’assit sur l’un des multiples canapés.

— Alors, qu’avons-nous manquée ?

Les autres apprentis se dispersèrent. Beaucoup se dirigèrent vers l’un des deux escaliers à colimaçon au fond de la salle tandis que quelques élèves s’installèrent sur les canapés, les chaises ou encore directement sur le tapis en avant du feu qui dansait dans le foyer. Les mêmes types de torches magiques qu’Azéna avait aperçues à l’intérieur du fort étaient aussi présents dans la salle qui était d’ailleurs beaucoup mieux éclairée que les couloirs.

— Du verbiage répétitif, répondit Teriondil qui s’assit à la droite d’Azéna. En gros, l’enseignement débute demain, mettez-vous à votre aise dans votre chambre, votre horaire est sur votre lit, certain cours demande la présence de votre dragon, l’uniforme de dragonnier est obligatoire durant les cours et votre titulaire est là pour vous écouter. Oh, les chambres sont là-haut. Un côté, c’est les mecs et l’autre, c’est les filles.

Il pointa en direction des deux escaliers à colimaçon du fond de la salle.

— Wow... Je suis surpris que je me souviens de tout ça.

Azéna roula les yeux. Elle s’attendait à ce que l’elfe étrange soit complètement perdu, même lui pensait la même chose. Au moins, il n’était pas dans le déni. Fayne se joignit à eux en prenant place à la gauche d’Azéna.

— Oh ! s’exclama l’elfe sylvain. Et on ne doit pas sortir de notre tour pour aujourd’hui mis à part pour le souper.

— À quelle heure faut-il être réveillé demain ? demanda Fayne.

— Ne t’inquiète pas pour cela. Rendar se fera un plaisir de sonner l’alarme.

— Rendar ? Tu veux dire le dragon rouge de Terenas ? demanda Azéna avec confusion.

— Exactement. Son rugissement est vraiment efficace quand ça vient à nous réveiller.

Teriondil ne semblait pas trop content à l’idée de se faire réveiller de cette façon. Azéna se dit que ça ne devait pas être si horrible que ça. Elle croisa ses bras derrière sa tête, s’imaginant en train de surpasser tous ses camarades de classe. Elle était assurée qu’elle allait bien faire dans un environnement comme celui-ci. Aussi, elle avait Tyrath pour l’aider. Qu’est-ce qui ne pourrait pas bien tourner avec un majestueux dragon à tes côtés ? Elle tourna la tête et inspecta la salle, curieuse de savoir qui allait être ses rivaux en classe.

Un garçon aux cheveux naturellement hérissés était assis sur une chaise en solitaire et regardait dehors par la seule et unique fenêtre de la salle. Une fine pluie tombait et un dragon rouge fila en direction du Grand Nid en grognant avec mécontentement. Plusieurs dragons bleus s’amusaient et effectuaient des acrobaties en pleine air. Tandis que Fayne et Teriondil continuaient leur discussion, Azéna se perdit dans la scène. C’était la première fois qu’elle voyait un groupe de dragons s’amuser tel des enfants et ça l’intriguait.

Le garçon se désintéressa de la scène et croisa les yeux bleus d’Azéna. Les deux petites billes gris foncé qui la sondaient l’intimidèrent. Celle-ci attendit qu’il se retourne et l’examiner subtilement. Le garçon avait des cheveux vert forêt et des oreilles pointues et longues comme Teriondil. Ses épaules étaient extrêmement larges. Il était costaud pour son âge. Azéna en conclut qu’il devait être plus vieux malgré les traits de son visage étaient typique d’un adolescent de treize ans, imberbe et enfantin.

Une voix la fit sursauter.

— Oy ! s’écria une jeune fille derrière elle. J’ai entendu des susurrements qui parlaient d’une dame aux cheveux argentés. Tu es bien Azéna Kindirah ?

Elle s’appuya sur le canapé juste au-dessus de la tête d’Azéna.

Immensément irrité par ce comportement, Azéna leva les yeux pour apercevoir une jeune apprentie aux longs cheveux blond foncé et aux yeux du même bleu que les siens. Remarquant ses oreilles légèrement pointues, elle soupira à l’idée d’avoir découvert un autre elfe. Elle commençait à se demander si elle verrait un humain un jour parmi ses pairs mis à part Fayne.

La blonde n’avait pas la peau bleutée ni cuivré, mais d’un beige commun et ses oreilles étaient encore plus courtes que celles d’un elfe lunaire. Elle avait la chevelure ondulée et elle était musclée ce qu’Azéna n’avait pas encore vu chez les elfes. L’archère commençait à se demander si elle n’avait pas découvert une quatrième sorte d’elfe. Finalement, ce n’était pas important. Elle croisa les bras et la fixa avec impatience.

— Et à qui ais-je l’honneur ?

— Je t’ai demandée ton nom en premier, répliqua l’adolescente impolie.

Frustrée, Azéna serra les poings et les dents. Remarquant la situation de son amie, Fayne prit parole pour éviter une confrontation.

— C’est bien Azéna Kindirah.

— Arièlla Valkirel, simple apprentie dragonnière, fille d’Eldarytzan et Nymia.

Elle fit une révérence en gardant son sourire en coin prétentieux. Azéna ne l’aimait pas une miette. Elle voulait lui hurler en plein visage de dégager.

— Les maîtres, tu veux dire ? grogna-t-elle.

— Bien vue. J’ai vécu à Atgoren presque toute ma vie. Malgré ça, un dragon ne m’a choisi que cette année. Je suis déjà un peu d’avance sur vous.

Azéna la fixa avec défiance.

— Jalouse ? questionna Arièlla avec légère moquerie.

Azéna comptait rester au sommet de la liste de confiance de Fayne et dépasser cette connasse bientôt. Ne pouvant nier sa jalousie, mais étant trop têtue pour l’avouer, elle se contenta de changer de sujet.

— Alors, qu’est-ce que tu voulais de moi ?

— J’ai entendu des rumeurs, répliqua Arièlla.

— Alors ?

— C’est vrai que le régime politique de Daigorn est sur le point de changer radicalement ? Ce royaume a toujours été en faveur de la paix. On dit que ton père est...

Elle hésita avant de choisir ses mots.

— Enfin, plutôt colérique et barbare.

Elle sourit, clairement fière de son choix de mots. Azéna sentit de la honte ainsi que la colère lui monter à la tête. Son père la rendait folle avec ses décisions idiotes et maintenant, sa réputation se rendaient même à Atgoren.

— Malheureusement, répondit-elle avec une évidente difficulté.

— Alors, Daigorn va bientôt en guerre ? continua Arièlla.

— Je n’en sais rien ! rugit Azéna qui commençait vraiment à être agacée par cette conversation. Je ne suis pas dans la tête de mon père. Et puis, il ne me parle jamais de trucs comme ça. Maintenant, peux-tu nous laisser tranquille ?

— Ça te prendrait un cours de bonnes manières et de discipline, surtout pour une noble. En plus, tu traînes avec le rêveur. Fais attention à ce que tu n’hérites pas de ces mauvaises habitudes.

— Je ne suis pas une noble, murmura Azéna en se grinçant les dents de rage alors qu’Arièlla s’était éloignée. Plus maintenant.

Personne n’était mieux placé que Fayne pour savoir et comprendre combien son amie ne se voyait pas à sa place chez les Kindirah. Jamais elle ne s’était sentit comme si elle appartenait à cette famille de nobles. Sa mère adoptive était très douce et gentille certes, mais ce n’était pas suffisant pour combler l’identité d’une personne, encore moins celle d’Azéna, qui était tout le contraire d’une dame modèle.

— Le rêveur ? demanda Fayne.

— Ouais, qu’est-ce que la connasse voulait dire par là ? bougonna Azéna.

Teriondil soupira.

— Elle parlait de moi. C’est un surnom qu’on m’a donné. Je suis plutôt déconcentré, si vous voyez d’où le surnom vient.

À cet instant, Azéna remarqua qu’elle éprouvait de la sympathie pour Teriondil. Lui aussi était la victime d’intimidation d’Arièlla et apparemment, de bien plus de gens qu’elle, incluant un maître.

— Bah, tu n’es peut-être pas si mal que ça, avoua-t-elle tout haut.

Elle remarqua que Fayne lui adressa un petit sourire montrant qu’elle était fière d’elle. Azéna rougit comme une tomate et se dirigea vers les dortoirs des filles, la tête haute en ronchonnant.

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