4 - La rebelle

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41e jour de la saison du soleil 2447

— Shirah s’est débarrassée de son bandage ! s’exclama Azéna.

Elle siffla et Shirah tituba jusqu’à elle. Elle caressa ses rudes écailles afin de la distraire de Fayne. La créature ronronna pendant que la brunette lui remettait son bandage. Lorsque les douces mains de la paysanne effleurèrent la coupure, la troxxe poussa un hurlement et trembla légèrement. Son cri ressemblait à celui d’un panda avec peu plus de férocité. Claquant des mâchoires en fixant Fayne de ses petits yeux sauvages, elle laboura le sol des griffes de sa patte libre.

— Qu’est-ce que tu peux être têtue ! trancha Azéna. Arrête de t’agiter ! On fait ça pour ton bien !

L’animale secoua la tête en signe d’inconfort puis s’ébroua, ce qui fit sursauter Fayne.

— C’est un comportement normal chez un troxx, informa Leith. Ils sont très fiers.

— Je crois qu’on avait remarqué puisqu’on en élève un, rétorqua sèchement Azéna.

Elle croisa les bras, fronça les sourcils puis, son regard rencontra celui de Fayne. La brunette paraissait peu impressionnée.

— Quoi ? grogna la Kindirah avec défiance.

— Je vois qu’il est temps pour moi de partir, informa Leith.

La vieille dame se dirigea vers Fayne et lui tendit le filet de pommes royales. La paysanne accepta le cadeau avec un petit, mais sincère sourire. Leith sortit de la cachette et partie. Fayne la suivit du regard pendant qu’Azéna fixait le fond de la grotte en caressant le museau de Shirah.

— Je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir et de la remercier.

— De toute façon, c’est une étrangère, lui signala son amie.

— On lui doit un minimum de gratitude. Elle nous a quand même aidées...

— Quelques informations guère importantes, un filet de pommes et un petit sauvetage ne sont nullement assez pour que j’accorde ma confiance à quelqu’un, rétorqua Azéna en haussant un sourcil.

— C’est bien normal que tout cela ne vaille rien à tes yeux. Tu laisses ton titre te monter à la tête.

La Kindirah savait de quel titre son amie parlait : elle était la fille du seigneur-suzerain et était, par le lien familial, une dame. Sur le coup, elle se sentit insultée et ne put s’empêcher de se mettre sur la défensive.

— Tch ! lança-t-elle. Je veille à notre sécurité.

— Tu fais fuir des alliés potentiels ce qui est très rare de nos jours d’ailleurs, rouspéta Fayne. Je ne sais pas ce qu’ont les gens, mais ils sont stressés. De toute façon, heureusement que Leith était là quand j’essayais de voler ce rouleau de bandage. Elle est différente de la majorité de la populace. Son aura était sage, majestueuse et honorable.

— Son aura ? questionna Azéna ne haussant les épaules, clairement confuse par ce terme. Enfin bref, ça aiderait si on avait de l’argent.

— On en aurait si tu n’avais pas abusé de la générosité de ton père.

— Générosité... Ouais, bien sûr.

Réalisant que son dialecte n’était pas accepté par son père qui désirait que sa fille se débarrasse de ce parlé qu’il caractérisait de rural, elle faillit se corriger.

— Où as-tu appris à t’exprimer ainsi ? avait beugler le seigneur-suzerain lorsqu’elle était toute jeune. Nous sommes de sang noble ! Fait preuve d’un peu de fierté !

Plus Azéna vieillissait et appréciait la compagnie de roturiers, plus elle s’entêtait à changer ses habitudes nobles au grand désagrément de Bayrne. Elle chassa ses souvenirs sombres et revint à la situation présente.

Un lourd silence ne fit qu’empirer la situation. Un long moment qui parut s’éterniser s’écoula avant que Fayne ne reprenne la parole.

— Allez, on doit retourner au château. On nous attend pour le souper.

— Joie, répliqua Azéna sur un ton sarcastique. Quelle bonne nouvelle...

Elle attacha ses cheveux en queue de cheval avec une lenteur exagérée puis donna plusieurs caresses à Shirah qui la fixa d’un regard accablé d’amertume. La troxxe poussa doucement son visage avec son long museau orange.

Fayne les observa avec petit sourire aux lèvres.

— Je sais, murmura tristement Azéna. Sois sage, hein ?

Shirah lança un cri plaintif.

— Tout ira bien, réconforta Fayne de sa voix tranquille et chaleureuse. Tu verras.

Les deux adolescentes remontèrent à la surface et replacèrent la tombe de sorte que leur cachette soit bien dissimulée.

— Heureusement que le château n’est pas très loin, mentionna Fayne. Nous serons peut-être à temps.

Elle avança avec hâte, mais elle ralentit lorsqu’elle remarqua qu’Azéna traînait.

— Tu ne veux pas y retourner, n’est-ce pas ? Je reconnais cette expression.

— Absolument pas, répliqua la Kindirah avec une soudaine frustration. Je déteste cet endroit. J’en ai assez d’eux !

— Ça va bien se passer. Ne t’en fais pas.

Elle connaissait Azéna aussi bien que le fond de sa poche. Les deux jeunes femmes étaient amies depuis leur tendre enfance. En dépit de leur amitié solide, l’humeur d’Azéna s’était faite plus sombre dernièrement, particulièrement depuis que son grand frère Sérus avait commencé à courtiser Fayne. D’ailleurs, les deux amies devaient se rendre au château pour célébrer la décision de leur alliance qui avait été prise quelques jours plus tôt. Fayne était au courant du désaccord de sa meilleure amie et ne semblait pas comprendre pourquoi. C’était bien normal car Azéna n’arrivait pas à trouver les mots justes pour le lui expliquer ce qui empirait sa frustration.

Après avoir traversé quelques rues, la Kindirah eut enfin le courage de regarder l’herboriste droit dans les yeux :

— Pourquoi ?

Elle se laissa distraire par le grain de beauté singulier qui se tenait fièrement sur le front de de son amie à l’extrême droite.

Fayne déteste ce point de beauté, songea-t-elle. Il est parfaitement correct d’après moi.

Lorsque la Litfow réalisa ce qu’elle observait, elle rougit, évita son regard et sourit faiblement.

— Nous en avons déjà discuté.

Cette fois, Azéna ne la laissa pas s’en sortir si aisément. D’une série de mouvements souples, elle se glissa gracieusement devant son amie pour lui bloquer le passage. Fayne faillit la heurter, s’arrêtant au dernier instant.

— Azéna ! Je t’ai demandé de ne plus faire ça ! Elysia seule sait comment tu peux être si rapide !

Elle fronça les sourcils, mais son regard s’adoucit rapidement et elle soupira. Les yeux dangereux d’Azéna perçaient son âme.

— Je refuse que tu épouses ce con ! vociféra-t-elle, bouillant sur place.

— Tu ne le connais pas comme moi, répliqua Fayne avec calme.

— Je m’en contrefiches ! Justement, tu ne le connais pas comme moi et je suis sa sœur depuis la toute première année de ma vie. Il a toujours été manipulateur et a deux faces. Comprends-tu ce que je te dis ? Lorsqu’il est amical avec quelqu’un, c’est qu’il y a une raison derrière. Ce n’est jamais pour rien. Alors, imagine s’il courtise et désire se marier à quelqu’un. Être gentil, c’est une faiblesse pour lui, mais aussi un rôle à jouer.

Fayne l’évita et continua son chemin.

— Viens. S’il te plaît, laisse tomber ça pour ce soir.

La Kindirah resta bouche bée pendant un long moment.

Est-elle si aveuglée par l’amour ou alors est-ce Sérus qui est un sacré bon acteur ? Ou pire, peut-être est-ce les deux. 

Elle fit volte-face, fixa l’immense château pendant un instant, laissa une désagréable vague d’émotions traverser son corps et frappa un arbre de son poing droit. Une douleur aiguë la fit glapir. Afin de l’atténuer, elle secoua son bras de façon hystérique. Elle poussa un long soupir, frustrée des résultats de son impulsivité, puis elle se dirigea vers la demeure royale en adoptant une cadence vaincue.

Comme si ce n’était pas assez de Fayne et de sa famille qui testaient sa patience, en route, lorsqu’elle passa par une allée pour se rendre à sa destination plus rapidement, un sans-abri se leva de son lit improvisé et lui fit un croc-en-jambe. Préoccupée par ses songes, elle ne remarqua pas les gestes malicieux de l’homme, s’écroula et s’écorcha les genoux sur le sol rocailleux.

— Sale petite sorcière idiote, ricana le clochard. Je ne sais pas d’où tu sors, mais tu n’es pas l’une des filles de la tempête. Retourne chez toi ! C’est probablement dans une vieille cabane abandonnée où tes amis sont les rats que tu manges.

Les enfants de la tempête était un surnom donné aux habitants de Daigorn. Les Daigorniens étaient très fiers de leurs origines, même les sans-abris. Les tornades et les vents puissants de la région faisaient partie de l’arrière-plan de la vie pour eux et leur apportaient un sentiment de nostalgie et de paix. Azéna était différente physiquement ; elle était bien trop jeune pour avoir une tête complètement argentée, et pour cela, elle se faisait harceler par presque tous les habitants de Nothar qui refusaient d’accepter qu’elle fût la fille, quoiqu’adoptée, de leur seigneur suzerain. De plus, son statut d’adoption qui prouvait que son sang n’était pas noble ne faisait qu’empirer sa situation. Tout cela ne faisait pas d’elle une sorcière ; elle ne pouvait même pas lancer le moindre de sortilège.

— Je suis une fille de la tempête et pas une espèce d’animal malade dont on ne doit pas s’approcher ! vociféra-t-elle, aveuglée par sa rage. Mais tu sais, un jour, je pourrai très bien achever ta sale misère.

Elle essuya le sang de ses genoux qui, heureusement, n’étaient que légèrement blessés et s’élança vers le château. Elle oublia les citoyens et leurs préjugés. Elle n’avait pas l’intention de laisser son amie se faire entraîner dans les pièges de son frère. Un sentiment de force et de confiance naquit en elle alors qu’elle traversait les deux immenses portes en fer blanc qui séparaient le jardin du château du reste de la ville.

— Ma Dame, salua un homme respectueusement.

Azéna bomba le torse avec défiance et ignora les deux gardes stationnés à l’entrée du château qui la fixaient avec incrédulité. L’un d’eux lui tendit un parchemin roulé qu’elle ne prit pas en considération. Le deuxième soupira alors que la jeune fille disparut à l’intérieur.

— Je sens qu’une dispute va bientôt voir le jour, prédit-il en souriant bêtement comme si cette nouvelle n’avait rien d’alarmant.

— Évidemment, répliqua le premier garde en abaissant le bras. Comme d’habitude, c’est nous qui allons devoir encaisser la frustration de Seigneur Kindirah ou encore celle du jeune Sérus.

— En effet. Misère.

— Je vais redonner la lettre d’invitation à Sa Seigneurie, je suppose... Après leur souper.

Ils soupirèrent, puis Azéna fut trop loin pour entendre, le reste de leurs lamentations. Elle se rendit jusqu’à la salle à manger, mais n’y pénétra pas. Elle espionna sa famille d’un œil attentif à travers une porte entrouverte.

Qu’est-ce qu’ils préparent ? Quoi que ce soit, ils ne me duperont pas !

— Désirez-vous entrer, Dame Azéna ? demanda le garde posté à proximité.

— Non ! Tais-toi, murmura l’adolescente.

Au centre de la salle à manger, une grande table en bois reposait, bercée par la chaleur qui émanait du foyer. Le sol en pierre blanche était recouvert d’un tapis améthyste de velours. Plusieurs plats soigneusement concoctés attendaient patiemment qu’on les déguste. Malgré le petit nombre de six personnes, on aurait dit que ce festin avait été préparé pour une armée d’hommes affamés. Il y avait de multiples fruits exotiques, un porc entier rôti, des légumes frais de toutes sortes et une énorme baguette de pain encore chaude. À boire, on avait le choix entre de l’eau ou du vin blanc, rouge ou noir.

L’impressionnante table était assez grande pour y accueillir une vingtaine de personnes. Au bout, y étais assis un homme âgé dans le milieu la trentaine qui portait la barbe en style collier. Sa femme, dans l’aube de la trentaine, avait pris place à sa droite de lui et scrutait la salle à la recherche de quelque chose. En face d’elle se trouvait Fayne ainsi qu’un jeune homme. À la droite du couple était installées deux jeunes femmes dont une toujours enfant et l’autre qui semblait au début de l’âge adulte.

Azéna tendit l’oreille.

— Elle est encore en retard, signala le jeune homme avec irritation. Gendrel et Ravon le sont aussi.

— Commençons à manger sans eux, décida Seigneur Kindirah.

— Un peu de patience, préconisa Dame Rivatha en déposant sa main sur celle de son époux.

Cette dernière sourit chaleureusement à son époux. Bayrne lui répondit d’un hochement de tête. Leur fils, Sérus, lança un regard mauvais à son père qui ne l’aperçut pas, car il était occupé à accorder son attention à sa bien-aimée. Il grogna et détourna la tête en direction de Fayne. La paysanne fixait ses paumes moites. Elle ne gardait pas sa concentration sur un endroit pour bien longtemps et évitait son regard.

Tria sourit à Argent, sa sœur aînée et la seconde née de la famille.

— Tu es une femme maintenant. As-tu pensé à qui tu allais donner ta main ?

Tria et ses rêves de dame, songea Azéna avec dédain. Prince charmant... tch... quoi de plus ennuyant que ça ?

— Je ne ruminais pas à propos de ce genre de chose à ton âge, ricana Argent.

— Ça, on le sait, maugréa Seigneur Kindirah dont les traits s’assombrirent.

Ouais, ça c’est parce qu’Argent est plus intelligente que toi, ô, père adoptif, pensa Azéna.

Les deux filles firent une pause. Tria éluda nerveusement le regard de son père :

— Cesse d’éviter la question. Tu es tellement ravissante, il doit y avoir beaucoup de charmants jeunes seigneurs qui veulent ta main.

Argent sourit faiblement, mais ne semblait pas à l’aise avec le sujet.

— Laisse ta sœur tranquille, insista doucement Rivatha à Tria. Elle en parlera lorsque le temps sera venu. Ce sera bientôt. Sois patiente.

Argent ignora les grands yeux bleus de Tria. Sa tresse châtaine cascadait jusqu’au sol, chose que Tria n’avait jamais pu accomplir, car sa chevelure refusait de pousser passer le milieu de son dos. Elle avait hérité des traits de sa grand-mère Edana Rueder, mère de Rivatha. Les Rueder étaient reconnus pour leur exquise beauté : leurs yeux d’un gris profond remplis de fierté, leurs quelques taches de rousseurs sur le nez et les joues, leur peau claire, leur visage allongé, leur buste pas trop gros ni trop petit et leur sourire chaleureux. Argent les possédait tous.

Tria ressemblait plutôt à son père, soit à la famille Kindirah, avec ses cheveux épais et noirs, sa peau légèrement bronzée et sa poitrine plate. Cependant, les deux étaient grandes et robustes pour leur âge et leur sexe. Bayrne plaisantait souvent que ses filles feraient d’excellentes guerrières s’ils avaient été des garçons ce qui semblait plaire à Argent et irriter Tria.

Azéna soupira. Elle aurait tellement désiré être ailleurs. Un profond sentiment de nostalgie l’inonda et soudainement, elle se surprit à désirer un endroit qu’elle n’avait jamais vue. Elle était incertaine de comprendre l’origine de ses sentiments, mais elle savait depuis longtemps qu’elle n’était pas chez elle à Nothar ni même à Daigorn.

Erf, que c’est ennuyant ces discussions de nobles.

On lui tapota l'épaule et elle se retourna. Serfie, une servante aux longs cheveux bruns et frisés, la dévisageait sévèrement.

— D’accord, d’accord, agréa Azéna qui se mit en marche. J’y vais.

— Dame Azéna, annonça le garde qui était stationné à l’entrée de la salle à manger.

Six regards se fixèrent sur la demoiselle qui venait d’entrer dans la salle. La servante détacha la queue de cheval d’Azéna.

— Laisse-moi tranquille, grogna l’adolescente.

La servante s’inclina et partit avec le ruban ébène qui avait été coupé très court pour promouvoir sa subtilité.

— Hé ! cria Azéna. Redonne-moi ça.

Elle se prépara à courir après elle, mais Seigneur Kindirah lui fit signe de venir s’asseoir. Elle lui obéit, non sans faire la moue.

— Sale pute, grommela-t-elle.

— Ce sont des mots bien injurieux pour une dame, commenta le seigneur son père.

Sérus fut le premier à être désintéressé d’elle et tourna son attention sur son souverain. Il s’attendait à ce que celui-ci dise quelque chose, mais Bayrne maintint le silence. Rivatha pointa la chaise à la droite de Tria et Azéna alla s’asseoir en gardant la tête haute.

— Pourquoi es-tu toujours en retard ? demanda son père avec une touche subtile d’impatience qui trahissait le calme de sa voix. Quelle est ton excuse, cette fois ?

— Bayrne, commença Azéna, je suis...

— Père, corrigea Bayrne avec sévérité.

Elle roula les yeux, ouvrit la bouche pour répliquer, mais Rivatha l’interrompit.

— N’en parlons plus. Ce souper est censé être un joyeux événement.

— Pfft, murmura Azéna avec sarcasme. Joyeux. C’est ça.

Bayrne leva une main pour avertir qu’il désirait le silence :

— Tu n’as aucun droit à l’opinion dans cette décision, jeune dame.

Sa fille adoptive planta sa fourchette profondément dans le bois de la table, ce qui fit sursauter Tria.

— J’ai une opinion et personne ne va me retirer ce droit, contesta-t-elle.

— Tu parleras convenablement à ton père, ordonna Bayrne avec une touche d’irritation.

— Tu n’es pas mon père.

Personne n’osa prononcer un mot. Bayrne vacilla silencieusement son regard dans celui d’Azéna. Cette dernière en profita pour rassembler son courage. De telles paroles étaient considérées comme une injure face à un seigneur. Il fallait être fou ou être très brave pour commettre un pareil acte.

Azéna fixa froidement son frère adoptif.

— Sérus est corrompu directement dans l’âme. Je refuse de laisser mon amie marier ce menteur. Manipulateur. Filou cruel. Fayne mérite mieux.

— Azéna ! hurla Rivatha.

— Non, interrompit Sérus. Calmez-vous, Mère. Je m’en occupe.

Il accorda un sourire à sa mère puis il se tourna vers sa sœur. Il la contempla avec dégoût pendant un moment. Durant tout ce temps, Azéna attendit avec patience et lui rendit son regard vénéneux. Les yeux bleu ciel charmeurs qu’il avait hérités de sa mère ne la trompèrent pas.

— Montre tes preuves, ordonna-t-il.

— J’ai été ta petite sœur pendant quatorze ans, répliqua Azéna sur un ton compétitif. Je crois que je te connais depuis assez longtemps pour que ça prouve que je sais ce que je dis.

— Vrai, mais cette affirmation n’est nullement une preuve. Il est facile de mentir, surtout lorsque l’on est une fillette en pleine crise d’identité.

Elle ouvrit la bouche, mais ne trouva pas les mots à dire.

— Tu n’es que cela : une fillette, continua-t-il.

À cette insulte, il la perça de ses yeux malicieux. Sa sœur cadette pressa la fourchette avec une telle force que ses mains blanchirent.

— De plus, poursuivit-il, Fayne se mariera avec celui qu’elle désire puisqu’elle est une adulte de seize ans. Elle n’est pas une enfant comme toi.

— Tu es vil, cracha sa sœur cadette en serrant les dents.

— Assez ! s’écria Bayrne qui était cramoisi de rage. Que des querelles d’enfants. Sérus, tu es un homme. Tu devrais savoir mieux te comporter. Azéna, va dans ta chambre. Nous allons terminer ce dîner sans toi.

Il claqua fermement des doigts. Fayne et Rivatha baissèrent timidement le regard vers leur assiette et se mirent à manger. Sérus accorda un sourire mauvais à sa sœur alors qu’elle se leva de table.

— Monseigneur ! s’écria un garde qui entra dans la salle en panique. Un dra... ga... ru..

Le suzerain resta surpris, mais cela ne durera pas. La frustration déforma son visage.

— Calmez-vous et parlez avec clarté.

Le soldat prit une grande respiration et salua son seigneur convenablement en se redressant, ce qui fit claquer son armure de plaque.

— Un dragon est aux portes ouest Monseigneur, informa l’homme.

Choqué, chacun s’immobilisa et fixa son attention sur le garde. Bayrne se leva soudainement et ouvrit bêtement la bouche comme si quelqu’un lui avait lancé une tarte au visage. À cette image, Azéna retint un rire.

— Monseigneur ? questionna le garde d’un ton nerveux.

Reprenant son sérieux, Seigneur Kindirah repoussa une mèche de sa chevelure ébène qui lui était tombée devant les yeux.

— Sa taille ! hurla-t-il avec impatience. Quelle est sa couleur ?

— Heu… H-hé bien, bégaya le garde. Pour une telle créature, il est petit. À peu près de la taille d’un homme et demi, Sir.

— Sa couleur !

— Grise ! Euh... Plutôt, argenté. Cela importe-t-il vraiment ?

— Cela ne te regarde pas. Réponds à mes questions et rien de plus.

Un moment bénit dans la sérénité s’écoula.

— Sérus. Tu m’accompagnes. Et toi, ma fille, tu restes ici, ajouta-t-il en pointant un doigt autoritaire vers Argent.

Il lança un regard déterminé à son fils. Sérus ne réagit pas ; il resta droit et sévère, mais Azéna aperçut une faille dans son masque. Elle détecta une lueur de doute dans son expression.

Après un bref moment, le jeune Kindirah hocha de la tête. Bayrne se leva, vérifia que son épée était accrochée à sa ceinture et se mit en route.

— Rivatha, Fayne, Argent, Tria et Azéna, vous restez ici.

— Je peux me battre, opina Argent. Je peux aider. S’il te plaît Père.

Bayrne lui lança un regard désapprobateur. Sérus et le garde sur ses talons, il s’empressa de sortir du château. Il ordonna aux gardes de le suivre aux portes de l’ouest.

— Père ! s’écria Argent, mais le patriarche l’ignora.

— Il croit vraiment qu’il va m’empêcher de voir un dragon, pouffa Azéna avec émerveillement. Il est complètement fou. Je ne peux pas manquer ça.

Argent se tourna vers sa sœur. Quelque chose, comme un instinct, lui disait qu’elle devait aller à la recherche de cet envahisseur écaillé.

— Azéna, reste ici. Ce n’est pas sécuritaire dehors avec cette créature qui rôde.

— Tu me connais grande sœur, insista l’adolescente à la chevelure argentée. Tout ira bien. J’ai survécu à toute la merde dont ce royaume corrompu pouvait me lancer. Je suis certaine de survivre un petit dragon, surtout qu’il va être occupé avec les soldats.

Elle suivit les traces de son père en courant comme si sa vie en dépendait.

— Azéna ! cria Rivatha, les yeux humides et pleins d’inquiétude.

Mais la rebelle ne l’écouta pas.

— Elle est folle, trancha Tria. Comme d’habitude. Personne ne pourra l’arrêter, c’est Azéna. Elle est aussi têtue qu’une mule.

— Je vais la ramener, lui promit Fayne en souriant.

— Non, Fayne ! s’écria Argent. Ne te mets pas en danger pour elle !

— Ne t’inquiète pas. Je ressors toujours vivante de ses manigances.

Elle suivit son amie en tentant tant bien que mal d’imiter ses mouvements acrobatiques.

— Azéna, arrête-toi !

La Kindirah ignora ses avertissements et continua de courir avec fougue.

— On risque de se faire dévorer, tu comprends ça ? hurla l’herboriste en pleine course.

— T’es une froussarde, Fayne ! répliqua Azéna. C’est ça la vie : une aventure, pas être enfermé dans un château.

Elle se faufila entre les gens en tentant de gagner du terrain. Derrière, Fayne s’excusait en son nom pour calmer les citoyens qu’elle irritait.

— Laissez passer, chanta Azéna, enjouée par les obstacles qui rendait son déplacement plus difficile.

Elle fut bloquée par un jeune garçon d’environ quatre pieds de haut en plein cœur du trafic. Elle tenta de la dépasser, mais il n’y avait rien à faire.

— Pousse-toi le gamin ! hurla-t-elle.

Le garçon lui lança un regard noir et concentra son effort à l’empêcher de passé. L’adolescente émit un grognement de rage, fronça les sourcils et redoubla sa vitesse. Elle tenta de contourner le gamin, mais il se planta devant elle. Elle dévia légèrement vers la droite, continua sa course et lorsqu’elle atteint l’enfant, elle se servit de son épaule comme support et sauta. L’adrénaline dans le sang, elle monta les yeux fièrement et aperçut un homme encapuchonné devant elle. Ne pouvant s’arrêter à temps, elle frappa l’homme dans le ventre avec sa botte en cuir dans son élan. Le souffle coupé, l’homme vacilla alors qu’elle vint se cogner sur lui, les faisant tous les deux tituber jusqu’à ce qu’ils tombent.

La foule continua d’avancer en les évitant tel le courant d’une rivière contournant une roche.

Azéna toussa, étouffée par la poussière abondante dans l’air. L’homme grogna en se relevant avec une lenteur maladroite. La jeune dame s’excusa brièvement alors qu’une main lui agrippa le bras.

— Mais qu’est-ce que tu es maladroite ! tonna Fayne, à bout de souffle n l’aidant à se remettre sur pieds.

— Tu sembles épuisée, remarqua Azéna. Ça va ?

— Tout va très bien, répliqua son amie avec sarcasme.

Celle-ci s’appuya sur elle-même dans une tentative désespérée de calmer son souffle saccadé.

La rebelle se retourna vers l’homme, mais il avait disparu. Cherchant du regard, elle aperçut la cape argentée qu’il portait au loin. Un symbole décorait le vêtement qui dansait avec les pas de son porteur. Elle plissa les yeux pour mieux le discerner.

— Une épée noire ? marmonna-t-elle.

— Quoi ? demanda Fayne.

Un homme chauve les évita de justesse dans sa course effrénée :

— Bougez, idiotes ! beugla-t-il. Vous... Vous ne voyez donc pas qu’il y a de l’action là-bas ?

Il continua d’avancer en se frayant maladroitement un chemin au travers du déluge de gens. L’odeur d’alcool qui imprégnait son habit sale disparut avec lui.

Azéna jeta un dernier coup d’œil derrière elle, mais l’épée noire avait disparu avec son porteur. Elle ne savait pas pourquoi, mais l’homme l’intriguait. Elle serra les poings et reprit la route en tentant de rattraper la vermine de gamin qui lui avait coûté cet incident, mais elle ne le retrouva pas.

— Laisse tomber le gamin et revient au château, implora Fayne.

Elles arrivèrent aux portes ouest. Une foule leur bloquait la vue et le passage. Un rugissement bestial enterra les clameurs. Les habitants reculèrent de quelques pas en poussant des cris d’exclamation et d’affolement. Certains partirent en hurlant de frayeur.

Azéna bouscula les gens hors de son chemin.

— Quel beau chant !

— Chant ? répliqua Fayne. Mais où vois-tu un chant dans ce cri furieux ? Moi, j’y vois plutôt un avertissement. On devrait se retirer.

Un second rugissement retentit. Cette fois, il était adouci d’une touche de tristesse. Azéna reconnut la désespérance dans sa voix rauque. Elle imagina le dragon en train de crier pour de l’aide ou encore, pour quelqu’un. On aurait dit qu’il cherchait un être qui lui était cher. Le troisième cri qu’il poussa était empli d’amertume. Ce hurlement, qu’Azéna considérait plutôt comme un pleur, lui déchira le cœur. Elle versa une larme et l’essuya rapidement avant que Fayne ne s’en aperçoive, mais l’herboriste était trop occupée à regarder dans tous les sens pour la remarquer.

La foule était apeurée et les gardes avaient de plus en plus de difficulté à contrôler les sujets du royaume. Certains tentaient de pousser les gardes hors de leur chemin pour attaquer le dragon, d’autres leur hurlaient dessus tandis que le reste se satisfirent en observant.

— Restez calme ! s’écria un garde qui menaçait le dragon de sa lance. Nous avons la situation sous contrôle.

— Menteurs ! répliqua une femme aux cheveux grisonnants. Nous ne sommes pas en sécurité tant que ce monstre sera ici.

Les deux amies avaient enfin atteint l’autre côté de la foule. Bouche bée, elles fixèrent le dragon qui était à quelques mètres d’elles. Azéna contempla sa beauté singulière. Le lézard ailé n’était pas très grand pour l’un des siens. Il atteignait la hauteur d’un homme et demi, mais ses ailes, veinées de blanc, étaient immenses. Elles atteignaient deux fois sa taille et trois fois la largeur de son torse. Comme l’avait affirmé le garde, il était recouvert d’écailles argentées qui scintillaient sous les rayons des deux soleils.

Azéna réalisa qu’il était jeune comme elle lorsqu’elle examina ses traits physiques avec plus d’attention. Sa mâchoire était longée de petits piquants flexibles et le bout de sa queue rappelait une étoile du matin, une masse d’arme pourvue de piquants. Ses pattes étaient encombrées de manilles dont la chaîne qui les reliait avait été cassée.

— Arrêtez ! hurla l’adolescente. Il est triste. Je ne crois pas qu’il nous veuille du mal.

— Les ordres de Seigneur Kindirah ne sont pas contestables, informa l’un des multiples soldats qui tentait de faire fuir le dragon avec sa lance. Je vous prie de garder une bonne distance.

— Je vous ordonne d’arrêter !

— Mes excuses, ma jeune Dame.

Il donna un coup de lance dans l’espoir que le dragon reculerait. La créature cessa de rugir et s’immobilisa, ne démontrant aucune intention de retrait. Sa respiration ralentit et il secoua vigoureusement sa puissante tête. Avec la grâce d’un félin, il déploya ses grandes ailes qui ressemblaient à celles d’une chauve-souris dont des piquants acérés dépassaient de chaque doigt.

La foule rétrograda de quelques pas. Seuls les gardes, Sérus, Bayrne et Azéna demeurèrent immobiles.

— Recule, supplia Fayne à son amie.

Azéna l’ignora. Le dragon examina la foule de ses petits yeux perçants. Il prit le temps de bien apprivoiser chaque individu avant de détourner son attention sur le prochain. Puis, vint le tour de la jeune rebelle. Le dragon posa son regard intense sur elle. Ses yeux étaient aussi sublimes que deux bassins d’améthyste. Sa pupille féline se dilata pour devenir parfaitement ronde.

Elle avait le pressentiment qu’il perçait son âme, comme s’il voyait au travers de sa personne. Il replia ses majestueuses ailes et baissa lentement la tête.

— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda Fayne.

— Je ne sais pas, souffla Azéna.

Le dragon approcha doucement sa large tête d’elle ; il s’assura de ne pas faire de mouvement brusque.

— Abattez-le ! ordonna Bayrne aux gardes.

Les soldats tirèrent avantage de la distraction du dragon et attaquèrent. Une lance perça les flancs de la créature. Évacuant sa douleur agonisante, cette dernière poussa un cri strident qui obligea les habitants à proximité à plaquer leurs mains sur leurs oreilles. Lorsque le rugissement s’estompa, la pupille du dragon était redevenue mince et son regard sauvage se braqua sur son agresseur. Il redressa sa lèvre supérieure et ses immenses dents, blanches et tranchantes, furent complètement révélées. Un grondement sourd résonna du fond de son ventre. Il déploya les ailes puis il ouvrit la gueule. Il expira une bourrasque si puissante que les soldats devant lui furent repoussés dans la foule puis il tomba au sol dans un nuage de poussière.

— N’avez-vous aucun respect pour les dragons ? demanda une voix sévère, mais endommagée par l’âge.

Une vieille femme familière s’approcha du jeune dragon. Celui-ci respirait avec difficulté, mais il trouva la force de grogner après elle. Il défia Leith. Apparemment, cette dernière ne connaissait pas la peur. Comme s’il n’était qu’une biche inoffensive, elle se pencha pour inspecter sa blessure. Il se tut et laissa sa lourde tête s’effondrer au sol. En observant les gens qui l’entouraient, il alloua la vieille dame à s’occuper de lui en faisant preuve d’une docilité étonnante.

Leith détacha une petite bourse de sa ceinture, l’ouvrit et tendit la main vers le dragon. Le dragon hésita, mais après un instant, s’approcha de la bourse et renifla. Il donna un coup de langue, comme s’il goûtait l’air. Satisfait, il détourna son attention vers les gardes. L’un d’entre eux, lance pointant vers l’avant, tenta de s’avancer pendant que la voyageuse étendait une crème jaunâtre sur la blessure. Le dragon retroussa ses lèvres inférieures et poussa un grognement lent et grave. Le garde s’immobilisa.

— Tout va bien, insista doucement Leith. Reculez.

— Mais il est dangereux, informa le garde. Nous ne désirons que vous protéger.

Azéna se trouvait derrière Leith et ne pouvait rien voir de ce qu’elle faisait. Sa curiosité testa sa patience qui se fit mince rapidement.

— Les dragons sont des créatures trop cruciales au cycle de la vie pour les tuer ainsi, informa Leith en se retournant vers la foule. N’avez-vous pas entendu parler des dragons et de leurs dragonniers ?

— Ce n’est pas important, répliqua Bayrne avec fureur. Ce monstre a osé attaquer ma ville, mes sujets et par extension moi-même. Nous ne pouvons pas lui faire confiance. Il doit être tué.

D’un mouvement si rapide que l’œil humain ne put le détecter, Leith lança un minuscule couteau qui perça l’armure de plaques directement où se trouvait le cœur de seigneur Kindirah.

— Vous avez de la chance, votre grâce, que j’ai de la tolérance à l’égard de l’imbécilité.

Les yeux écarquillés, Bayrne fixa l’arme qui était fichée dans l’armure.

— Tuez le monstre et la vielle chipie et cette fois, complétez votre mission ! hurla le seigneur enragé. Faites-vous certain qu’elle n’oublie pas sa leçon de politesse.

Les soldats pointèrent leurs lances en direction de Leith et du dragon puis s’approchèrent dangereusement d’eux. Le dragon argenté ouvrit soudainement les yeux et se leva. Il rugit toute sa colère et montra les dents à ses ennemis. Sa blessure avait cessé de saigner. Il garda sa patte soulevée dans une tentative désespérée d’atténuer sa douleur.

— Cette fois, il ne vous accordera pas de pitié, avertit-elle en affichant un sourire amusé. Un dernier conseil. Vous n’aurez jamais deux chances avec un dragon. D’ailleurs, vous êtes déjà fortuné d’en avoir eu une avec une telle attitude.

Le seigneur de Daigorn fronça les sourcils puis leva le bras. Les soldats s’élancèrent en direction de Leith et du dragon.

Dans une lutte impressionnante, Leith se défendit noblement et ne tua personne. Le dragon argenté s’était envolé et battait des ailes avec peine et misère. Malgré sa respiration difficile, il souffla des bourrasques afin de déstabiliser les soldats et de donner l’avantage à Leith.

Azéna et Fayne fixèrent la scène, complètement abasourdies. Perplexe, Fayne lança un regard questionneur à son amie qui ne lui répondit que par un haussement d’épaules. Leith s’organisa à merveille malgré sa situation fâcheuse ; elle faisait preuve de techniques accomplies.

Bayrne s’approcha de la voyageuse et dégaina son épée à une main. Pointant l’arme en direction de la vieille femme, il attendit que ses gardes s’écartent.

Un bref moment s’écoula et les deux adultes entamèrent leur duel. Les soldats formèrent un rond autour des deux combattants tandis que le dragon guetta pour n’importe quel signe de danger du ciel.

L’épée de Bayrne frappa contre le bâton de la vieille dame sans arrêt. Le combat sembla s’éterniser alors qu’Azéna dardait la tête dans tous les sens à la recherche d’un moyen pour changer la situation. Elle ne désirait pas la mort de cette inconnue ni de son père adoptif.

Fayne ne restait pas en place non plus. Elle tremblait sous la pression du stress :

— Fais quelque chose !

Ne sachant que faire, Azéna chercha du regard et aperçut Sérus au loin. L’adolescent aux cheveux noirs contemplait le duel avec intérêt. Sa jeune sœur adoptive se faufila dans la foule en délire et lorsqu’elle l’atteignit, elle agrippa son bras avec force.

— Cesse cette folie !

— Jamais, répliqua-t-il en ne détournant pas les yeux du combat. Que ceci soit une leçon aux rebelles qui osent nous défier. Notre maison est déjà vue comme étant faible, il est temps de nous remonter.

Leith réussit à désarmer Seigneur Kindirah. Il lui donna un coup d’épaule et la renversa. Elle tomba lourdement sur le dos et tenta d’empoigner son épée, mais l’arme était trop loin. Le dragon plissa les yeux et grogna silencieusement. Bayrne hésita lorsqu’il se rendit compte qu’il l’observait. Lui et Sérus échangèrent un bref regard. Azéna savait ce que cela signifiait.

— Tu oserais tuer ce dragon ?

Sérus plaça sa main droite sur son arc accroché à son carquois. Bayrne agrippa son épée et se préparait à achever avec Leith. Il leva son arme vers le ciel. Il était bien trop occupé pour se rendre compte que sa fille accourait en sa direction.

Le tout se passa en l’espace d’un moment. Azéna se plaça devant Leith, Bayrne tenta d’arrêter de son élan, mais la force de son coup était de trop. C’était trop tard. Elle ferma les yeux et se recroquevilla.

Un bruit de métal retentit, puis un rugissement. Azéna ouvrit les yeux et ne vit qu’une mer d’écailles argentées. Un grognement sourd la fit sursauter. Une tête géante aux caractéristiques reptiliennes la fixait. Le dragon était si près d’elle que son souffle humide effleurait son visage. Sa pupille noire se dilata. Le contact avec un objet froid et métallique détourna l’attention de la jeune dame. Son regard se posa sur une épée. L’arme était en suspension entre les crocs énormes du dragon. Il ouvrit légèrement les mâchoires et attendit comme s’il lui offrait un cadeau. Elle accepta son offrande et empoigna l’arme.

Le dragon renifla, jeta un regard défiant en direction de Seigneur Kindirah qui était étendu au sol et s’envola. Il se mit à patrouiller autour de la foule comme un vautour.

Leith profita de l’occasion pour se relever et posa sa main sur l’épaule de la rebelle. Un sourire rempli de fierté se dessina sur son visage. Azéna hocha la tête en signe de remerciement.

— Comment oses-tu ? demanda Bayrne à sa fille adoptive.

— Elle n’est pas une ennemie, répliqua cette dernière.

Elle le fusilla du regard.

— Et le dragon, lui ? questionna le patriarche de la maison Kindirah. Ne viens pas me dire qu’il est innocent après être entré dans Nothar pour y attaquer les habitants.

— Tu dois exagérer.

— Pas du tout. Les gardes m’ont dit qu’il les menaçait et soufflait des bourrasques à tous les coins de rue comme la bête qu’il est.

Le dragon rugit et fusilla Bayrne de ses yeux intimidants. Il claqua vicieusement les mâchoires.

— Je crois qu’il vient de te dire que tu as tort et que si tu ne te tais pas, il va te montrer de quoi il est vraiment capable, menaça Azéna avec un sourire mesquin aux lèvres.

— Tu vas retourner au château immédiatement ! ordonna sèchement Bayrne. Sérus, accompagne-la et assure-toi qu’elle ne s’enfuit pas.

Sérus empoigna fermement sa sœur par le bras. Le dragon rugit sa colère et piqua vers le sol tel un oiseau qui descendait sur sa proie. Dans un virage parfait, il attrapa Azéna de ses quatre pattes en s’assurant que ses griffes crochues étaient bel et bien accrochées à son linge et non à sa peau.

Bayrne sursauta et pâlit, mais n’hésita pas à donner l’ordre :

— Attaquez cette bête sauvage !

Un petit groupe d’archers prépara leurs arcs et leurs flèches, puis dans une synchronisation parfaite, décochèrent. Les flèches fendirent le ciel en direction du dragon qui les évita tous sauf une qui lui perça l’aile droite. Cette blessure ne le fit pas broncher. Lorsqu’il fut assez haut pour que les archers cessent leur attaque, il fixa l’horizon en battant lentement des ailes. Il gémit et ses yeux s’emplirent d’envie.

Azéna se rendit compte qu’elle avait la chance de partir de cet endroit, de briser les chaînes du devoir. Elle avait toujours su qu’elle n’était pas faite pour vivre une vie tranquille dans la royauté. Cependant, elle devait abandonner Fayne et sa mère pour cela. L’idée de les quitter fit tourner son estomac. Le temps n’était pas de son côté. Un choix devait être pris et vite.

Le dragon semblait ressentir son anxiété et se mit à ronronner. Il avança son museau de sorte qu’il touche le front d’Azéna. Surprise, elle remarqua que le vide inexplicable qu’elle avait ressenti toute sa vie s’était soudainement effacé alors qu’une vague de réconfort lui avait éprit l’âme. C’était comme si on lui avait confirmé qu’elle était bel et bien destinée à être avec cette créature majestueuse. Le dragon revint à sa position initiale. Azéna plongea son regard dans ses yeux violets.

— J’ai déjà pris ma décision, murmura-t-elle. Je ne veux pas passer ma vie esclave de cette société infernale. Et puis… je reverrais Fayne et mère un jour.

Le visage reptilien du dragon se déforma pour créer une sorte de sourire. Il paraissait sincèrement heureux. Il se prépara à se donner un élan puissant pour se propulser au loin.

— Attends ! lâcha Azéna. Allons chercher Leith ! On ne peut pas l’abandonner à la merci de Bayrne.

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