5 - Tyrathralent

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41e jour de la saison du soleil 2447

Les soldats menaçaient de trancher la gorge exposée de Leith. Un homme costaud empêchait la vieille femme de bouger en lui tenant fermement les bras. Malgré la situation délicate, Leith ne se débattait pas. Un simple sourire de satisfaction dominait son visage.

— Je suppose que tu as déclaré forfait ? questionna Bayrne sur un ton moqueur.

— Que dirait Seigneur Hurath de toi ? répliqua Leith calmement. Tu ne possèdes certainement pas son honneur.

— Il était loin d’être parfait. Certes, un bon souverain, mais comme homme familial, il faisait piètre image. Et je ne suis pas comme lui.

— Les dragons sont les êtres les plus importants d’Aerinda. En tuer un pour une raison déterminée par un jugement si catégorique est un crime envers les landes. Et que fais-tu de la devise de ton propre royaume ? L’œil de la tempête ruminera et renaîtra. Songe bien à tes actions et deviens meilleur au travers de la sagesse.

Il s’approcha d’elle et posa la cime de son épée sur la peau fragile de son cou.

— Insulte-moi encore une fois et je t’enverrai à la salle de torture pour te laisser mourir après des jours d’agonie. Je sais ce que la devise de mon royaume signifie.

Azéna était consciente de la fermeté de son père adoptif, mais sa cruauté du moment l’abasourdit. Elle comprenait parfaitement où Leith essayait d’en venir avec la devise de Daigorn. Cette dernière était un rappel qu’au centre d’une tempête existait un endroit calme et pacifique, ce que Daigorn représentait dans le temps des conflits et des guerres. C’était une leçon qui apprenait à ses élèves à songer d’où ils provenaient et de ressurgir de ces valeurs. Il n‘était pas facile de se tenir droit face au danger et de suivre la voie de la paix, surtout dans un monde rigide comme Aerinda.

La colère de Bayrne le vieillissait, crispant son visage et accentuant les subtiles rides, le rendait aussi plus menaçant. Malgré tout, Leith resta impassible. Elle attendit avec indulgence et patience que le seigneur se décide à faire quelque chose d’elle. Il baissa la lame d’un mouvement sec.

— Ainsi, ce sera ta dernière erreur, prévit-elle. Vous n’apporterez plus de honte à vos supérieurs.

Il jeta un regard noir au soldat qui la retenait. Sans mots, ce dernier hocha la tête et dégaina son épée d’une unique main.

— Ça ne se passera pas comme ça, promit Azéna.

Frustrée, elle serra les dents. Le dragon renifla puis il laissa échapper un faible grognement.

— Qu’est-ce qu’il a ? demanda sa cavalière.

Il secoua la tête et grogna une deuxième fois, cette fois avec plus d’insistance. Azéna s’impatienta et pointa en direction de Leith :

— Allez, on va la récupérer ! hurla-t-elle en espérant se faire comprendre par son ton de voix.

La majestueuse créature poussa un rugissement féroce et s’élança en direction de Leith. La vitesse à laquelle il piqua surprit Azéna. Elle serra les dents alors qu’un vent froid et puissant exerça une forte pression contre son visage. En plus de cet inconfort, les griffes de son porteur menaçaient de déchirer son linge. Elle garda son sang-froid et regarda droit devant elle. Le terrain s’approchait à une vitesse folle. Cette descente était une aventure à elle seule. Son sang lui monta à la tête et son cœur se débâtit, affolé par l’adrénaline.

Puis, sans avertissement, le dragon effectua une rotation de cent-quatre-vingts degrés. Une fois la tête à l’envers, il ouvrit la gueule, révélant une mer de crocs gigantesques, et il inspira profondément. La rebelle ressentit une énergie violente se former dans le ventre de sa monture puis, un bref et puissant tremblement la secoua. Elle se ressaisit et jeta un coup d’œil vers l’avant.

Les citoyens, soldats y compris, furent pris d’une panique et s’enfuirent. Une bourrasque puissante s’abattit sur eux. La plupart des victimes furent poussées au sol, incluant Leith et le garde qui la retenait. Celui-ci tenta de récupérer son épée, mais elle était trop loin pour qu’il l’atteigne. Le dragon effectua une deuxième rotation, le ramenant à sa position initiale.

Azéna écarquilla les yeux, impressionnée. Son compagnon lui accorda un sourire qui démontra clairement son espièglerie et sa fierté.

Un moment plus tard, l’une de ses pattes avant s’ouvrit, relâchant ainsi Azéna et agrippant avec force le pantalon de Leith qui était toujours couché au sol, soulevant la vieille dame avec aisance. Il battit puissamment des ailes et s’éleva à nouveau vers le ciel, laissant le soldat abasourdit derrière.

Cette fois, il eut énormément de difficulté à voler convenablement en raison du poids d’extra et de sa blessure. Son cœur accéléra et il dut ouvrir la bouche pour respirer à son aise. Sa force déclinait rapidement. Il faillit basculer à la droite. Battant furieusement des ailes pour garder son altitude, il émit un grondement exprimant son désespoir.

— Il faut aller chercher Shirah, décida Azéna. Rends-toi au cimetière. Elle se trouve là-bas.

Elle pointa l’endroit sombre du doigt et le dragon redoubla ses efforts. Quelques flèches passèrent à côté d’eux. Elles sifflèrent aux oreilles sensibles d’Azéna.

— Ils nous tirent dessus ! s’exclama-t-elle. Ils ont perdu la tête. Soldats idiots.

Bayrne hurla et les archers cessèrent leur attaque. Il ne put qu’observer alors que sa fille adoptive s’éloignait.

Pendant leur trajet, Leith ne dit pas un mot. Elle médita, car son sang lui montait à la tête. Azéna ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire lorsqu’elle l’aperçut la tête dans le vide et les fesses tenues par les griffes du dragon. C’était un spectacle amusant.

Au moins, je suis à l’endroit, ricana-t-elle intérieurement.

Leith ouvrit un œil et la fixa avec sévérité :

— Ce n’est pas drôle, avertit-elle en affichant un sourire amusé qui trahit sa crédibilité.

Puis, elle retourna à sa méditation.

Le dragon poussa des grognements étranges et irréguliers que l’adolescente reconnut comme un rire.

— Je ne savais pas que les dragons avaient un sens de l’humour, dit-elle.

— Il y a beaucoup à propos d’eux dont les gens ignorent, expliqua Leith en gardant ses deux index collés ensemble pour former le sceau qui aidait à la méditation.

Ils étaient presque arrivés à destination, soit à quelques mètres du cimetière. Le dragon hurla de douleur et ses ailes cessèrent de battre. Azéna écarquilla les yeux et la panique fit surface. Le sol devint le ciel.

— Attention, avisa Leith sur un ton calme.

La vieille femme semblait était habituée à ce genre de situation.

Azéna percevait cela comme un autre défi. La chute traumatisa son corps, mais, pas son esprit. Son cœur pompa plus rapidement ; l’adrénaline prit de l’ampleur dans son sang. Sa tête hurlait de joie. Elle s’en sentit à l’aise malgré le danger. C’était comme si elle était née pour voler à dos de ce dragon. Elle réalisa qu’elle possédait enfin une chance de faire ce qu’elle voulait de sa vie. Un sentiment d’invulnérabilité l’envahit et elle maudit la cité et son père dans un cri de guerre.

Le dragon aux yeux améthyste exprima du contentement par rapport à sa réaction. Il gagna confiance en lui et reprit le dessus de ses forces. Malgré ses efforts titanesques, il fut entravé par la fatigue dans ses muscles qui brûlaient. La douleur se griffa un chemin jusqu’à sa colonne vertébrale. Il glapit. Il ne pouvait rien faire d’autre que de tomber.

— Attention à l’arbre ! glapit Azéna.

Le dragon enveloppa les deux femmes de ses ailes dans le but de les protéger comme l’aurait fait un bouclier. Il réussit à se tourner sur le dos juste au moment où il s’écrasa au sol, labourant la terre à son passage. Il s’arrêta net lorsque son crâne transperça l’arbre.

Pendant un long moment, il figea aussi raide qu’une statue.

Finalement, il se détendit et ses ailes tombèrent doucement telle une feuille morte. Il se débattit et tourna sa tête dans tous les sens en tentant de se libérer. Leith et Azéna se dépêchèrent de l’autre côté de l’arbre où son visage ressortait. La rebelle ne put s’empêcher de pouffer de rire.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Assure-toi que les gardes à l’entrée du cimetière ne nous aient pas vus, requêta Leith.

Azéna jeta un coup d’œil et n’aperçut personne.

— Étrange... Ils ne quittent jamais leur poste sauf pour une rotation de tour. C’est sûrement Bayrne qui les ont convoqués à la défense de la cité.

Le dragon pleurnicha puis, dans un rugissement, il exhala un jet de vent. Les cheveux d’Azéna et de Leith dansèrent dans la violence du courant. La Kindirah poussa une mèche entortillée de son visage. La voyageuse s’agenouilla devant la créature qui semblait déjà à bout de patience. Son expression faciale s’endurcit.

— Du calme, du calme.

Ses paroles apaisèrent le jeune dragon qui détourna son regard vers Azéna. Sa pupille se dilua lentement. Il renifla férocement et ses lèvres s’étirèrent étrangement pour former une espèce de sourire espiègle. Ses crocs intimidèrent l’adolescente sur le coup. Elle tressaillit. Une morsure pourrait sans aucun doute casser son corps fragile en deux.

— Arrête ! ordonna Leith sèchement en levant un doigt sévère. Calme-toi immédiatement.

Le dragon gémit puis baissa les yeux. La vieille dame agrippa l’un des deux épines dominantes de la tête du lézard ailée et tira avec force. Sans résister, comme si s’était tout à fait naturel, le piquant se détacha dans un bruit rappelant à l’oreille le son d’un bouchon de liège que l’on retire d’une bouteille de vin. Elle répéta le processus pour les autres.

Éventuellement, le dragon se libéra et s’agita. Il fouetta la queue dans les airs et faillit frapper sa sauveuse de l’immense massue que formait l’extrémité de celle-ci. La voyageuse fronça les sourcils.

— Calme-toi, cabochard.

Le dragon s’immobilisa, leva le regard au même niveau que les yeux de Leith et renifla, de toute évidence offensé.

— Comment arrives-tu à le faire obéir ? demanda Azéna. Comment as-tu arraché ses piquants ?

— Patience, requêta Leith.

Elle s’approcha du dragon qui l’observa avec un œil irrité. Elle remit les épines à leurs places respectives et ils se raccrochèrent à la peau du dragon en émettant le même son que plus tôt. Une fois la tâche terminée, elle porta son attention à la rebelle en portant un sourire chaleureux.

— Alors, une question à la fois, mais n’oublie pas pourquoi nous sommes ici.

Mais Azéna, trop curieuse, ne prêta pas attention au danger imminent.

— Comment as-tu retiré ces trucs de sa tête ? Qui es-tu ? Pourquoi est-ce qu’il est ici ? Qu’est-ce qui se passe ?

Inaffectée par l’énergie de son interlocutrice, Leith leva la main devant son visage.

— Trop de questions s’attardent dans ton esprit. On en discutera plus tard. Va chercher ta troxxe.

Elle posa son regard sur la tombe sous laquelle était caché le repaire de Shirah.

— Peux-tu lui au moins le débarrasser des manilles qu’il a aux pattes ? demanda Azéna en parlant du dragon.

— Non. Je ne peux pas. Heureusement, un forgeron le pourrait. Nous en trouverons un. Maintenant, va chercher Shirah.

L’adolescente acquiesça. Ce fut à ce moment qu’elle réalisa qu’ils s’étaient posés en plein centre du cimetière.

— Bien visé, pour ton atterrissage, bien qu’un peu croche et maladroit, taquina-t-elle en s’adressant au dragon.

Ce-dernier renifla, mi- enjoué, mi- orgueilleux.

— Tu dois être plus prudent, réprimanda Leith sur un ton sévère. Tu aurais pu être tué, cabochard. Tu n’as pas écouté ta mère encore, n’est-ce pas ?

Azéna n’en croyait pas ses yeux. Devant elle, il y avait une vieille dame qui grondait un dragon. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises pour s’assurer qu’elle n’était pas tombée dans la démence.

Le dragon fit la moue puis montra légèrement les dents. En gardant sa patte levée, tel un chat qui veut jouer, il se secoua et se pencha vers l’avant. Dans un grognement enjoué, il bondit à côté d’Azéna. Il lui donna une pousse amicale avec son museau et elle vacilla sur le côté.

Leith sourit, satisfaite.

— Il est déjà très attaché à toi.

— Tu parles comme s’il n’était qu’un animal domestique, répliqua la rebelle avec incrédulité.

— Nuance. Il n’est pas un animal domestique, mais il t’a accordé sa confiance et sa loyauté. C’est ainsi que fonctionnent les dragons.

Azéna était confuse, mais elle était ravie de commencer une amitié avec cette créature légendaire.

— Tu as un nom ? lui demanda-t-elle.

Le dragon baissa le regard vers le sol boueux puis, grâce à la griffe de son index droit, se mit à écrire dans la terre. Lorsqu’il retira sa patte, Azéna put lire Tyrathralent.

— Les dragons ont toujours des longs noms compliqués quasi-impossibles à prononcer pour nous, expliqua Leith. Souvent, pour des raisons de simplicité, on utilise les deux premières syllabes du nom comme prénom.

Azéna haussa les yeux et son regard se fixa sur celui du dragon.

— Tyrathralent, répéta-elle fièrement. Donc, Tyrath ?

Le jeune dragon approuva dans un grognement amical.

— Enchantée de faire ta connaissance, continua sa nouvelle amie.

Tyrath arqua gracieusement son cou musclé tel un cheval. Azéna n’était pas certaine de comprendre ce qu’il faisait. Leith s’en rendit compte et expliqua :

— C’est la salutation polie chez les dragons. Chaque dragon appartient à un clan. Ils associent leurs prénoms avec celui de leur clan, ce qui forme leurs noms complets. Certains détestent qu’on les sépare, particulièrement les dragons sauvages. C’est une familiarisation qui peut vite devenir un affront si le dragon ne nous juge pas dignes de ce privilège.

— Donc, son nom de clan est Ralent ?

— Oui.

— Attends un instant... Il ne peut pas parler, pas vrai ?

— Non. Il doit apprendre. Maintenant, garde tes questions pour plus tard et va chercher Shirah avant que les soldats n’arrivent. Nous devons partir.

Azéna détacha son regard émerveillé de Tyrath pour le poser sur la tombe. Elle détruit l’entrée de la cachette en poussant le monument qui bascula vers l’arrière et se fracassa au sol. Elle siffla puis un grognement résonna des profondeurs. Shirah sauta vigoureusement hors du trou et émit un ronronnement en apercevant sa maîtresse.

— On part, lui annonça Azéna en lui flattant la tête.

— Je vois que tu as pris ta décision, souligna Leith.

— Oui. Je ne veux pas rester ici.

— Ainsi soit-il. Suivez-moi.

— Où nous emmènes-tu ?

— À l’aca…

Elle s’interrompue lorsque Tyrath regarda derrière lui et se mit à grogner. Shirah poussa un cri de surprise et recula de quelques pas, terrifiée par le prédateur alpha.

— Ça va, dit Azéna. Il ne va pas te faire du mal.

Ce fut à ce moment que des bruits de bottes résonnèrent. Ils grandissaient en intensité très rapidement.

— Les soldats ! s’exclama la Kindirah.

— Quiconque soit-il, il est seul, souligna Leith, l’oreille tendu.

Elle fit signe à Azéna de la suivre et se dépêcha en direction opposée. Tyrath fit volte-face et fixa l’entrée du cimetière. Il se mit à grogner avec férocité.

— Azéna ! hurla une voix féminine.

Une jeune femme haletante s’arrêta à l’entrée après avoir traversé les portes. Elle se pencha, posant ses mains sur ses genoux en tentant de reprendre son souffle avant de se remettre en marche.

— Azéna, répéta-t-elle, mais, cette fois d’un ton faible.

Tyrath claqua des dents. Lorsque Fayne l’aperçut, elle sursauta et s’arrêta.

— Fayne ! appela Azéna. Heureusement que ce soit toi !

Elle fit signe à Tyrath que tout allait bien. Ce dernier suivit Fayne de son regard méfiant alors qu’elle s’avança en direction de son amie. Il se plaça entre les deux, barrant la route à la brunette. Il la menaça, montrant ses crocs et fouettant l’air de sa queue. Ses narines propulsaient des petites bouffées de vent. Azéna secoua la tête et s’approcha de Fayne en ignorant les réactions exagérées du dragon. Tyrath renifla la brunette avec mécontentement.

L’herboriste, perplexe et prise de panique, ne lâcha pas le dragon du regard. Ses yeux exorbités et ses mains tremblantes, elle résista à l’instinct de s’enfuir. La rebelle l’enlaça brièvement.

— Ne t’en fais pas. Il est un peu surprotecteur.

Les muscles de Fayne relaxèrent légèrement à son contact. La Kindirah haussa un sourcil et accorda un regard réprobateur à Tyrath qui renifla et se contenta de fixer le ciel en boudant.

— C’est un dragon, lui rappela Fayne. Comment peux-tu lui faire confiance ?

— C’est un peu bizarre à expliquer, répliqua Azéna. Ne t’inquiète pas. Aie un peu foi en moi. Ils ne sont pas de simples animaux, mais bien plus !

Tyrath vacilla ses yeux intelligents de l’herboriste à son amie. Fayne hocha de la tête, s’excusa auprès du dragon puis, elle baissa son regard embarrassé, sûrement en tentant de dissimuler sa peur. De toute manière, Tyrath ne s’était pas froissé. D’ailleurs, il semblait déjà à l’aise avec l’intruse.

— Tu pars, n’est-ce pas ?

— J’en ai décidé ainsi, avoua Azéna. Je suis désolée, Fayne.

— Pourquoi ?

— Tu connais la réponse à cette question mieux que n’importe qui. La vie de noblesse n’est pas pour moi. De plus, Bayrne ne me laissera jamais garder contact Tyrath. Ce n’est pas approprié.

— Oh, il a un nom ?

Les joues de la paysanne rosirent brusquement. Elle offrit ses excuses au travers d’un regard désolé.

— Tu es pardonnée, dit son amie avec un sourire. Et, oui, il a un nom.

Elle fit signe à Tyrath de se présenter, mais ce dernier ne réagit pas. Il continua à fixer le ciel, observant une nuée d’oiseaux avec l’intérêt d’un enfant devant un nouveau jouet. Dans un grognement faible, il essaya de roucouler comme des volatiles.

— Tyrath ! s’exclama Azéna qui essayait lamentablement de gagner son attention.

Le dragon agita sa queue, se préparant à la chasse. Fayne émit un petit rire sot. Avoir fait connaissance avec Tyrath semblait l’avoir calmée, ce qui ravit son amie.

— C’est un vrai boute-en-train, observa l’herboriste.

Elle sourit puis son visage s’assombrit. Elle baissa la tête.

— Pour revenir à ton départ, je m’en doutais bien dans le fond. Où vas-tu aller ?

— Je ne sais p…

— À l’académie d’Archlan, coupa Leith avec autorité.

— Qu’est-ce que cet endroit ? questionna Fayne.

— En bref, c’est une école et un ordre de dragonniers. Là, ils guideront Azéna jusqu’à ce qu’elle devienne une dragonnière accomplie.

— Je vais être une dragonnière ? demanda la rebelle avec incrédulité.

— Tu es, corrigea Leith en souriant. Tyrath t’a choisi.

— De toute façon, je désirais t’avertir que les gardes ne vont pas tarder à te poursuivre, informa la brunette. Ton père est vraiment anxieux à l’idée de... de Tyrath.

Le dragon argenté se grogna au même instant où des bruits de métal qui résonnèrent à proximité. Azéna discerna elle aussi le vacarme amplifiant de bottes lourdes.

— Cette fois, ce sont vraiment les gardes. Il n’y a aucun doute à ce propos.

— Oui, confirma Leith. Il faut faire vite. Venez.

Elle se hâta vers le fond du cimetière et ferma les yeux. Le reste du groupe la suivirent sans questionnement.

— Mais, c’est un cul-de-sac ici, se plaint la dragonnière avec irritation.

— Sois patiente, ordonna la vieille dame.

Pendant un interminable moment, rien ne se produit. Leith tenait la paume de sa main droite de sorte qu’elle fit face au grillage qui entourait le cimetière.

— Mais… fais quelque chose ! s’exclama Azéna.

Les soldats tournèrent au coin et entrèrent dans l’enceinte. Leur capitaine hurla un ordre et ceux-ci lancèrent l’attaque. Tyrath souffla une bourrasque de force légère en tentant de gagner du temps. Les hommes furent repoussés, mais cela n’accorda que quelques précieuses secondes à Leith. C’en fut assez pour qu’elle puisse effectuer ce qu’elle désirait.

Le grillage ainsi que le mur de protection de Nothar explosèrent dans un éclatement de lumière. Un débris tomba sur le crâne d’Azéna qui glapit un juron.

— On part, signala Leith.

Elle enjamba le peu des remparts qui se tenait encore debout et s’aida, à l’aide de son bâton, en dehors du cimetière puis hors de la cité.

Fayne resta immobile et semblait confuse. Elle vacilla son regard d’Azéna aux soldats.

— Viens, sinon ils vont t’accuser de complicité, implora la rebelle qui lui tendit sa main. Tu ne t’en sortiras pas si facilement que moi.

La brunette empoigna la main de son amie qui l’entraîna hors de Nothar, Shirah sur leurs talons.

Tyrath, quant à lui, se percha sur l’immense mur de pierre qui protégeait Nothar. Il fusilla les soldats du regard et ce qui ressemblait à un rictus moqueur se forma sur son visage.

Puis, dans un rugissement assourdissant, il éjecta une énorme sphère de vent de sa gueule. Celle-ci poursuivit sa trajectoire et lorsqu’elle atteignit le sol aux pieds des soldats, elle explosa. Un instant plus tard, un cyclone d’environ cent-cinquante centimètres de large se forma. Les cris résonnants des gardes firent sourire le dragon.

Lorsque la scène s’éclaircit et que les nuages de poussière disparurent enfin, le cyclone n’était plus et les soldats avaient été projetés de toute leur splendeur dans tous les sens. Un heaume tomba de l’un d’entre eux et en assomma un autre. Le drapeau du royaume suivit le courant doux du vent jusqu’au visage du pauvre garde. Il s’affola et le jeta au loin. Fier de lui, Tyrath observa son œuvre et ses yeux scintillèrent. Comblé, il prit son envol et rattrapa ses compagnonnes qui avaient continué leur fuite.

Leith l’aperçut la première et le réprimanda, l’accusant d’être imprudent et impulsif. Le dragon ne la prit pas au sérieux. Il préféra chercher des oiseaux dans le ciel plutôt que de l’écouter.

— Ce n’est pas si mauvais que ça, protesta Azéna.

— Ce chenapan est resté derrière pour balancer un cyclone aux soldats, répliqua la mystérieuse voyageuse.

— Impressionnant ! Il peut faire ça ?

— Toi aussi tu le pourras, grâce à ton lien avec lui. N’oublie pas que ce n’est pas un jeu. Il va falloir que vous grandissiez tous les deux si vous voulez survivre.

Azéna ne se sentit pas menacée par les dires de Leith. Elle était habituée à la protection de son titre et ne pensait pas que personne n’oserait lui faire du mal.

Tyrath se laissa planer au-dessus du trio afin de suivre leur rythme qu’il jugeait d’affreusement lent. Il ne semblait pas concerné par la discussion de Leith et d’Azéna. Les yeux à demi clos, il s’imaginait devant un grand morceau de viande juteux. De la bave s’écoula de sa gueule qui n’était pas complètement fermée en raison de ses canines principales, celles-ci étaient trop longues pour le lui permettre. Le coulis s’égoutta juste à côté de Fayne qui sursauta et poussa un petit cri. Azéna et Leith cessèrent leur argumentation pour jeter un coup d’œil en sa direction. L’herboriste était blanche comme un drap et raide comme une barre de métal.

— Ça va ? demanda la dragonnière.

— Ce n’est rien. Il m’a presque bavé dessus.

Elle osa regarder vers le haut pour n’apercevoir qu’un ventre écaillé.

— Il a faim, supposa Leith. Un dragon de cet âge mange beaucoup, car il est en pleine croissance.

— Il va devenir beaucoup plus massif ?

— Bien sûr. Tyrath n’est qu’au tout début de sa vie. Il traverse présentement sa deuxième tranche d’âge. Durant ce temps, un dragon est appelé un drake. Cela est un peu l’équivalent de l’enfance et de l’adolescence pour nous.

— Il doit presque être un adulte à la grosseur qu’il est.

— Il est encore un enfant. S’il avait été humain, il aurait environ dix ans.

Les yeux de Fayne s’écarquillèrent.

— Pourquoi en connais-tu autant à propos des dragons ?! explosa Azéna qui ne pouvait plus se contenir.

Cette manifestation soudaine de rage attira l’attention de Tyrath qui fixa la scène avec soin de ne pas manquer de détails.

— Je travaillais à l’académie d’Archlan, répliqua Leith avec neutralité.

— Donc, tu es une dragonnière, assuma la rebelle avec un acharnement qui plaisait à Tyrath.

— Je ne suis lié à aucun dragon. Ma fonction était médecin.

— Bien sûr, murmura la rebelle avec méfiance avant de remonter le ton de sa voix. En passant, comment as-tu réduit le grillage et le mur en poussière ?

— J’arrive à maîtriser l’élément de la lumière, quoique mon pouvoir soit loin d’être au niveau de celui d’un dragonnier. Tu vois, un rayon concentré peut s’avérer puissant si on le maîtrise bien.

Azéna jeta un coup d’œil rapide vers le ciel. Là-haut, Tyrath les observait. Remarquant son irritation, il se posa au sol afin de marcher à ses côtés. Il se trouvait à sa droite et à la gauche de Leith. Shirah ainsi que Fayne fermaient la marche. Tentant de réconforter Azéna, il la poussa avec son museau. Sa cavalière sentit son irritation se dissiper lentement et elle finit par sourire. Le drake souffla de l’air de ses narines.

Mais la Kindirah n’avait pas oublié que Leith lui devait des explications. Plissant des yeux, elle la fixa suspicieusement.

— Y a-t-il une question que tu désires me poser ? enquit la voyageuse.

L’adolescente à la chevelure argentée, aussi fière et têtue que son dragon, ne répliqua rien et se contenta de détourner son regard vers une forêt qui apparut au bout du chemin de terre qu’ils suivaient.

— Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme cette forêt la forêt Rousse, partagea Fayne. Peu importe la saison dans laquelle est plongé le royaume, elle reste coincée dans un automne éternel.

— J’allais souvent jouer dans la forêt Rousse étant un enfant, raconta Leith, son visage s’illuminant brièvement.

Le groupe pénétra dans le sous-bois dense. La plupart des arbres étant feuillus. Leurs feuilles étaient de couleurs éclatantes, allant de rubis à dorée pâle, dont le rouge était plus commun. Certaines tombaient déjà, annonçant le début de l’automne. Au printemps, elles poussaient à nouveau, resplendissantes dans leurs teintes chaudes.

— Où est cette académie ? demanda Fayne.

— À environs à cinq jours de marche d’ici, répliqua Leith. Il faudra faire vite, car l’année d’entraînement commence bientôt. Avec un peu de chance, on y arrivera à temps.

— Hé ! s’écria soudainement Azéna comme si elle venait d’avoir une idée de génie.

Elle se retourna vers son amie en continuant sa marche.

— Fayne, comment nous as-tu rejoints si rapidement au cimetière ?

— Un brave garde a retenu les autres, répliqua l’herboriste. Il réclamait que Leith était une légende et qu’il ne fallait pas la tuer.

— Kardun, murmura la vieille dame avec tristesse. J’espère de tout mon être qu’il n’a pas été destitué.

— Vous le connaissez ?

— Depuis qu’il était bébé. Je m’occupais de lui pendant que ses parents travaillaient en échange de quelques écus.

— Leith a déjà été jeune, sourit Azéna avec légère moquerie sans penser à ces mots. »

Fayne lui lança un regard furieux.

— Err... désolé, dit la dragonnière. Je plaisantais.

— Cela n’importe peu, répliqua Leith en souriant. Chaque créature finit par devenir vieille.

— Même les elfes ?

— Oui quoique le processus est beaucoup plus lent. Les dragons sont ceux qui jouissent de la longévité la plus prolongée.

Tyrath posa son regard sur un petit groupe de biches qui passait près d’eux. Il huma l’air en ronronnant et prit son essor.

— Où va-t-il ? demanda Azéna.

— Probablement à la chasse, devina Leith.

Le fait que Tyrath n’était plus dans le coin mit la rebelle plus à l’aise. Elle s’attendait à tout moment que les soldats de son père adoptif leur tendraient une embuscade. Pour se distraire, elle posa plus de questions :

— Pourquoi moi ? Pourquoi Tyrath m’a-t-il choisi ?

Leith semblait se perdre dans ses souvenirs l’espace d’un moment, puis elle expliqua à la future élève :

— C’est une procédure assez complexe. On dit que c’est la personnalité du dragonnier qui inspire son dragon à le choisir tandis que d’autres affirment que c’est un choix naturel, sans explication. D’autres vont même jusqu’à dire que c’est un lien entre les valeurs les plus profondes des deux.

— Profondes ? Une valeur peut être profonde ? Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?

— Ce sont tes valeurs les plus solides. Celles qui guident la plupart de tes choix sans que tu le réalises. Mais, nous sommes influencés par de multiples facteurs externes qui alternent notre personne. Les dragons sont capables de comprendre qui nous sommes d’un simple regard, s’ils s’y mettent de leur volonté.

— Alors, il m’a choisi, peu importe la raison.

— En bref. Je n’y connais pas tout sur ce sujet ; il faudra demander à Eldarytzan, le maître qui t’enseignera la psychologie draconique. Toutefois, je peux voir que vous partagez une personnalité similaire.

Azéna se sentit rougir malgré elle. Les morceaux du casse-tête étaient presque tous présents.

— Pourquoi est-ce que Tyrath se trouvait à Nothar ? Comment savait-il que j’habitais cette ville ? Comment s’est-il rendu là ?

— Je l’ignore. Il s’agit sûrement d’une coïncidence. Les dragons gris sont reconnus pour leur attitude à tendance rebelle. Il s’est peut-être enfui d’Archlan et s’est retrouvé à Nothar, dans le plus grand des hasards.

Un rugissement féroce retentit dans la forêt et le drake atterrit auprès de Leith. Il renifla avec anxiété et pointa son index vers le ciel. Le groupe suivit son mouvement. Une silhouette tachait la pureté du blanc des nuages.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda la Kindirah en plissant des yeux pour mieux voir les détails dans l’ombre.

— Un dragon, répliqua Leith avec sévérité. Et j’ai l’impression qu’il nous traque et nous surveille.

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