10

8 minutes de lecture

Simon

A peine la vingtaine et je constatais déjà de grands changements. A une certaine période une présence policière me faisait changer de trottoir.

Maintenant je bénissais leurs interventions au milieu de cette baston. Il s’agissait de la police nationale, le service de secours précisément.

Je reconnais qu’ils se sont plutôt bien comportés ce soir-là.

Comme je n’opposais pas de résistance, ils me dispensèrent des coups de matraque de rigueur.

Puis une fois au commissariat ils me mirent dans une autre cellule que les personnes avec lesquelles, je venais de me battre. De vrais gentlemens !

Ma cellule ne comprenait ni barreaux, ni joueur d’harmonica, ni rat en ballade. A part une façade vitrée, plastifiée, ou plexiglassée... enfin bref en une matière transparente et dure, c’était une pièce terne et vide. Il y avait juste un banc.

J’y fis la seule chose possible : m’assoir et attendre. En fait une troisième option subsistait : cogiter. Après quelques réflexions j’en vins au point que ma situation était particulièrement merdique.

Cette fois-ci les conséquences dépassaient largement quelques corvées de la part de Maec ou la perte de mes jours du bon soldat.

On me ne laissa pas mariner trop longtemps. C’est du moins l’impression que j’avais. Il était difficile d’évaluer le temps précisemment vu qu’on nous retirait entre autre montre et portable.

Un policier en civil se chargea de m'emmerder. Bizarre ! Dans ma tête les policiers sans uniforme étaient des inspecteurs, c'est-à-dire des hauts gradés. En quoi une simple bagarre de rues méritait-elle une telle attention ?

C’était encore pire que prévu !

J’observais autour de moi surtout pour me donner l’impression d’agir, de conserver un peu de contrôle. Le policier en civil m’amena à l’étage. C’étaient des simples bureaux avec une machine café, une photocopieuse, et des portes avec des noms inscrits.

Mon guide avait la cinquantaine. Mis à part un peu de bide il était plutôt en forme. Son attitude divergeait de celles que j'avais connu auparavant.

Lorsqu'ils m'embarquaient, les flics étaient agaçés, blasés, ou un mélange des deux.

Le policier en civil lui était disons neutre. Il ne faisait preuve d'aucun ressentiment à mon égard.

Nous pénétrâmes dans son bureau. Il y trônait une photo de lui avec une femme et deux gosses. Etait-ce raisonnable d’exposer ainsi sa vie privée à de méchants délinquants ?

« Nom », « Prénom », « Adresse », « Profession »...

Du classique sauf que le policier ne notait rien sur son ordinateur. J’étais paumé.

Après les formalités il croisa lentement les bras avant de reprendre la parole toujours d’un timbre formel sans la moindre trace d’agressivité ou de mépris.

« Bon vous faisiez quoi dans cette rue ? »

C’était l’instant clé. J’essayais de ne pas trop flipper ou du moins de le dissimuler.

« Je me baladais. Je tuais le temps. »

Et merde ! Je caffouillais.

Peut-être aurais-je dû dire la vérité ? D'un autre coté elle était tellement grotesque. En plus elle impliquait d'autres personnes, alors autant limiter les dégâts.

Le facteur déclencheur avait été l’article de journal fournit par Didier à mon retour de week-end. Auparavant d’autres éléments s’étaient déjà cumulés par le biais de Justine, Franck, et des gendarmes.

Là c’était différent à cause du cadavre. Le cas devenait grave.

Durant le peu de temps passé avec Hamed, je l’avais trouvé sympathique. Sans oublier sa femme se débrouillant tant bien que mal avec le bébé.

Et en plus des renseignements, je détenais il est vrai un certain savoir-faire. C’est ainsi que je me suis mis à enquêter sur l’affaire Hamed à la fois par compassion, devoir, et oisiveté.

Dénicher une piste se révéla assez simple. Les disparitions communes dans le temps d’Osman et de Hamed conduisaient à Malbousquet, et l’overdose indiquaient l’usage de drogue dure.

Il suffisait de lier ces deux conclusions. Ce que je fis en demandant par téléphone à Franck, qui amenait des stupéfiants violents à Malbousquet, un certain Michaël.

Donc après le boulot ou plutôt le service, je suis tranquillement allé me poster à la sortie de Malbousquet.

Cette étape ne présenta pas non plus une grande difficulté.

Ma carte d’appelé me permit pénétrer dans l’Arsenal où se trouvait un plan à l’entrée. Il y était indiqué l’emplacement des divers bâtiments, le camp disciplinaire comprit.

La suite consistait à identifier le fameux Michaël, le suivre, et attendre qu’un indice se manifeste.

C’était assez hasardeux. Hélas je ne voyais pas d’autre possibilité.

Même si le contact de mon précédent patron (un vrai détective) m’avait procuré quelques vagues connaissances en matière d’investigation, je demeurais avant tout un adepte de la filature.

La suite révéla aussi facile. Déjà les roux se font rares. Et puis dans son groupe, ils parlaient forts y compris en s’interpellant par leurs prénoms.

Le genre meute qui au lieu de pisser pour marquer leur territoire, gueulait.

Michaël possédait une sale gueule puant l’arrogance et assez grande. Visiblement il jouait le rôle du meneur au milieu des cinq autres. Sinon il était effectivement musclé avec ses épaules larges, et ses bras épais.

Mais ce qui le distinguait vraiment c’était son look. Les autres faisaient dans le pur style raccaille : sweet à capuche, casquette à l’envers, survêt...

Michaël lui se contentait du trio : jeans, t-shirt uni, et basket.

Le « Hum hum. » du policier m’extirpa de mes souvenirs. Il sentait le scepticisme.

« Et ensuite ? »

Il faisait vite l'impasse sur mon mensonge. Peut-être attendait-il que je m'enfonce un peu plus ? Il y a des sadiques sur terre.

De mon coté je ne pouvais pas faire marche-arrière et dire :

« Je déconnais voilà la vérité. »

De la part du groupe de Malbousquet je m’attendais à une sortie du style : on traine au hasard dans les rues en quête d’une éventuelle saloperie à faire comme une fille à emmerder ou un type à tabasser.

Puis il devint rapidement clair qu’ils avaient un but précis. Ils se déplacèrent dans la partie de Toulon surnommé Chicago, parlèrent à des gens, entrèrent dans des baraques…toujours l’air à l’affut.

Ils cherchaient quelqu’un ou quelque chose.

Puis ils se fatiguèrent malgré l’insistance, voir les menaces de Michaël. Ils bouffèrent dans un fast-food et rentrèrent sagement à la maison.

La bande remit ça le lendemain, moi également. Car il se passait clairement quelque chose d’important.

Toujours pas repéré, j’assurais, non ? Il faut reconnaitre que leur attention était vraiment concentrée sur leur objectif. D’ailleurs leurs tronches étaient plus sérieuses qu’hier. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille.

Ils se rapprochaient du but.

Au bout d’un peu plus d’une demi-heure, les hommes de Michaël investirent un immeuble.

Peu de temps après en sortis rapidement un type suivi par la bande, qui s’en empara et le traina jusqu’à une ruelle.

Du peu que j’en aperçus leur victime était basanée.

L’excitation de toucher au but compensa ma peur, et me permit d’agir. Malheureusement si pour le courage ça allait, la ruse laissait encore à désirer. A ma défense, je devais agir vite.

Je me postais à l’entrée de la ruelle où ces sales cons venaient de dissimuler Hamed, et gueulais bien fort.

« Lâchez Hamed. J’ai appelé la police. »

J’espérais ainsi les décontenancer en jouant au génie déjà au courant et ayant tout calculé. Quelques passants ralentirent et jetèrent un coup d’œil.

A part çà le seul véritable effet fut, que le groupe de Michaël surprit relâcha la pression sur son prisonnier.

Cela lui permit de crier un « au secours. ». Sa voix n’était pas celle de Hamed.

Je réalisais ça alors que deux des salauds se ruaient sur moi. Dans ce genre de situation on ne réfléchit plus. En tous c’était mon cas. Au lieu de tout simplement fuir j’ai fais face. Qu’est-ce que j’espérais !

Je parvins à en cogner un, que son camarade vengea immédiatement d’un coup de poing en pleine tempe.

La suite reste assez floue dans mon esprit.

Bien que sonné, j’ai plus ou moins résisté, des gens criaient, la police est arrivée, puis les arrestations ont suivi.

Plus tard j’ai appris que des policiers se situaient à proximité à cause d’une autre intervention.

En résumé j’avais bénéficié d’un énorme coup de chance totalement immérité. Remarque si on avait la chance qu’on mérite, ça se saurait.

Le policier tousseta en signe d’impatience. Il fallait que je me lance de nouveau.

« J'ai vu des gars qui s’en prenait à un type tout seul. Alors j’ai rameuté des gens. Et puis ils me sont rentrés dedans. »

Je n’en dis pas plus afin d’éviter de rajouter des conneries.

Le policier paraissait satisfait. Où m’étais-je planté ?

« Les agresseurs vous les connaissiez ? »

Je répondis par un « Non » tout à fait crédible. Après tout seul Decrot pouvait faire le rapprochement entre la bande de Michaël et moi. Que des soldats se croisent par hasard demeurait normal dans cette ville au vue de leur nombre.

« Vous faites bien. » Dit le policier sans chercher plus loin. « Ce ne sont pas des anges. Vous ne l’êtes pas non plus d’ailleurs. »

S’il cherchait à me faire peur avec mon casier, il se plantait dans les grandes largeurs. Quelques vols et squats ici et là, ne risquaient pas de me porter un grand préjudice.

« Quoi qu’il en soit vous vous êtes bien comporter ce soir. » Enchaina le policier. « Ca serait dommage que vous ayez des emmerdes. »

C’est tout juste s’il ne me fit pas un clin d’oeil. La situation devint alors beaucoup plus claire.

Incrédule le pointais timidement la porte du doigt. Le policier confirma d’un petit hochement de la tête.

Pendant mes classes on m’avait parlé d’une atteinte ou offense à l’image de l’armée. En gros si je me comportais mal même en dehors du cadre militaire mes supérieurs pouvaient m’en faire bâver sous ce prétexte.

La police locale devait connaitre ce principe. Si bien que le policier en civil épargnait le brave gars lui faisant face en l’excluant de tout rapport et procès verbal.

Putain il m’ôtait une sacrée épine de Damoclès du talon d’Achille !

Pourquoi me suis-je pas barré tout de suite ?

Toute cette chance m’était-elle monté à la tête ?

« Et les autres ? » Dis-je timidement.

« Les autres ? »

« Les agresseurs. Avec ma coupe ils ont sûrement compris que j’étais trouf… militaire. Et vous savez à l’Arsenal tout le monde se connait. Ils ne mettront pas longtemps à me retrouver. »

« Ne vous inquiétez pas. Il y en a quatre en cellule en ce moment même. Et vue leurs casiers, ils ne sont pas prêt de ressortir. »

« Ils n’étaient pas six ? » Répliquais-je avec un faux air innocemment en me ruant sur sa négligence.

« Les deux autres ont été identifié, et font l’objet d’un avis de recherche. Croyez-moi ils n’iront pas très loin. En tous cas ils n’oseront jamais remettre les pieds à l’Arsenal. »

Enfin je me suis refroidis avant de me faire démasquer. Il était temps de rentrer au fort. Marcher continua à me calmer, et me permit de faire le point sur la situation.

Ma seule piste était foutue. Que mon principal suspect Michaël soit en taule ou dans la nature ne changeait rien. Il m’était inaccessible dans les deux cas.

Quant au type que j’avais sauvé, j’appris bien après qu’il s’agissait d’un petit dealer ayant l’habitude de couper dangereusement sa marchandise. Pas le genre de personne qu’on est satisfait d’avoir aidé.

Il fallait le reconnaitre, j’avais visé bien trop haut.

Le premier signe de violence, et je dérapais complètement. Sans la proximité miraculeuse de la police, qu’est-ce qui se serait passé ?

Comment avais-je pu envisager de fouiner dans une affaire comprenant un mort et de la drogue dure ?

Il était temps d’accepter la triste réalité et d’arrêter de jouer au détective.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jules Famas ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0