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Thomas

« Thomas vous serez en vigipirate la semaine prochaine. » M’avait dit Maec sans trace de provocation dans sa voix.

Soit il m’appréciait, soit il savait que ça ne m’ennuyait pas. Parce que j’étais le seul appelé du fort à être partant pour vigipirate.

Ce n’était pas par fayotage. Qu’est-ce que j’avais à y gagner de toute façon ? Nos jours du bon soldat. Il suffisait de ne pas trop faire le con pour les conserver.

Simplement je ne voulais pas rester pendant dix mois sans rien foutre ou du moins mieux que picoler et me défoncer.

Je sais : je suis un ringard, et je vous emmerde.

Le fameux vigipirate chez nous consistait à envoyer des militaires pour une semaine en renfort aux douanes de Marseille. Les autres râlaient sur le fait que cela nous niquait un week-end. Moi j’étais content de cette expérience, du moins au départ.

Déjà notre formation aux armes à feu limitée à une demi-heure, me parut légère. Quant au reste de notre apprentissage et bien… il n’y en a pas eu.

C’était déjà peu engageant.

Ensuite on se retrouva cantonné dans cette minuscule base à vaguement s’occuper avec des jeux de société.

Nous bénéficions aussi de la télé câblée. Personne n’arrivant à se mettre d’accord, le compromis donnait MTV en permanence.

C’était comme M6 le matin, en boucle. Ça faisait du bruit, et c’était facile à suivre.

Et mes parents qui craignaient qu'un adjudant-chef alcoolique me tabasse ! L’ennui. Voilà avec quoi l’armée me maltraitait. Franchement les coups auraient mieux valu. Au moins quelqu’un y aurait trouvé son compte.

Deux longs jours après mon équipe passa en phase lourde.

Il s’agissait d’aider les douaniers lors des arrivées de migrants légaux.

Enfin j’allais foutre quelque chose !

Notre équide se rendit donc à l’embarcadère au point de contrôle. L’ endroit était en hauteur et disposait avec une baie vitrée donnant sur les docks.

Le bateau contenant nos futurs immigrés arriva. Ce bâtiment massif et cubique ne m’intéressa pas jusqu’à ce que sa pointe s’ouvre afin de déverser les voitures. Ca me rappelait un peu mes transformers.

Les véhicules étaient banals à première vue, genre vieilles occases. Sauf qu'ils étaient remplis à rabord de tout frigo, matelas....

Dans certaines voitures il y avait tout juste assez de place pour un conducteur. Pour compléter le tableau ces engins crachotaient, se collaient, klaxonnaient. Un vrai bordel !

C’était tout de même agréable de voir un peu d’activité.

Quant à moi j’étais bien plus peinard dans cet hall vaste et silencieux où tout était parfaitement rangé, aligné, organisé... que se soient les portiques de sécurités, les tapis roulant pour les bagages, les douaniers, et même nous.

L’officier nous donna comme dernière indication de rester à notre place.

Je ne comprenais plus rien. Tout ce chemin, ce temps, cette préparation juste pour servir de décoration.

Enfin arriva la foule. Ca me rappelait lorsqu’un été gamin j’avais bossé à Carrefour. Le matin une demi-heure avant l’ouverture il y avait tous ces petits vieux aggrippés à leurs caddies.

Dès que les portes s’ouvraient, ils se ruaient à l’intérieur complètement hystériques capables de piétiner le premier, qui tombait.

En voyant cette masse s’approcher du point de contrôle, j’ai commençé à paniquer. Ils étaient nettement plus impressionnant que les petits vieux de Carrefour. Mis à part quelques gamins, leur âge tournait autour de la trentaine. Ils étaient harassés et surchargés. Deux d’entre eux trimbalaient même un matelas.

Ils n’accepteraient jamais l’attente.

Et pourtant plus ils avançèrent, plus ils se calmèrent. Les douaniers ne tapaient pas du poing sur la table. Les soldats engagés comme appelés demeuraient inertes.

Alors pourquoi ?

Intrigué je les observais évoluer lentement le regard droit devant eux.

Soudain je perçus qu’un gosse me reluquait en douce. Instinctivement je lui rendis son regard. Immédiatement après l’enfant se colla à sa mère en murmurant quelque chose en arabe. Elle couvrit alors son enfant du bras, et effectua un recul par rapport à moi.

C’est là que je compris les raisons de ma présence. Ma simple vue avait provoqué de la peur chez cette femme et son fils.

Un uniforme avait suffit à me transformer en croquemitaine. Ca me mit tellement mal à l’aise, que je n’osais plus rien faire. J’ai fait la statue tout le reste de ce long après-midi.

De retour à la base me vint une drôle de sensation. Je m’assis tranquillement dans la salle commune et jetais un coup d’oeil aux DVD à notre disposition. Jusqu’ici je me foutais totalement de ce qu’on regardait le soir.

Exceptionnellement je ne voulais pas me faire chier. Tout simplement parce que ça n’allait pas dans le sens de cette journée. Car même si j’étais resté bêtement debout, contrairement à mes gardes au fort ma présence n’avait pas été inutile. Elle avait aidé les douaniers dans leur tâche.

Enfin depuis mon incorporation j’avais vraiment travaillé !

Ce moment de détente fut finalement court. En début de soirée je pensais à rallumer mon portable. bien sûr à peine je le remis en route, qu’il sonna.

« C’est pas trop tôt ! Tu foutais quoi bordel ? »

« Simon ? »

Qu’est-ce qui lui prenait ? D’ailleurs se calma très vite.

« Oui. Excuses-moi, Thomas. J’ai eu du mal à t’avoir. Toi ça va ? Tu ne t’embêtes pas trop ? »

« Ça peut aller. »

Suivirent deux ou trois questions du même genre. On sentait un certain embarras chez Simon.

Tout cela n’était que des formalités. Il appelait clairement pour autre chose.

Cette attention ou plus exactement la gêne l’accompagnant démontrait tout de même une certaine considération à mon égard. Je l’aidais un peu.

« Sinon tu veux quelque chose ? » Demandais-je.

Un silence suivi, puis Simon reprit.

« Tu pourrais me passer Franck, s’il te plaît ? C’est un des appelés résidant en permanence à la base. Un brun aux cheveux courts. »

« Aux cheveux courts, tu m’aides vachement ! »

« Cherches un peu. »

Je passais une annonce à la salle commune. Un brun un peu enveloppé et à l’air rigolard se présenta à l’appel. Il me prit l’appareil intrigué d’abord, puis passa rapidement à inquiet.

Franck s’éloigna alors dans le couloir.

Sans vraiment y réfléchir je me plaçais aussi près que possible afin d’entendre la conversation.

L’inquiétude et la curiosité ne motivaient pas uniquement mon action, même si j’appréciais Simon. Il s’agissait également de jalousie. C’était mon seul pote de l’armée, et il se confiait visiblement à quelqu’un d’autre. Alors j'équilibrais à ma manière.

Voilà ce que donna ce dialogue incomplet.

« Simon. Oui je me souviens de toi. Pourquoi tu veux me parler ? »

Un silence passa.

« De quoi ! » Cria-t-il soudain furieux. « Qu’est-ce qui te prends de me demander un truc pareil ? Tu ne touches quand même pas à ça ! »

Après Franck écouta avec une expression cynique.

« Tu crois que je vais marcher ? Enfin après tout tu te fournirais autre part. Bon le gars s’appelle Michaël. Il est facile à reconnaître assez caisse, et rouquin. Son nom de famille ? Il se termine en é je crois. Allez salut et essaye de ne pas trop déconner. »

Bien qu’intrigué je songeais tout de même à retourner m’assoir discretement dans la salle commune. Franck me rendit mon téléphone l’air de rien, que je repris l’air de rien également.

Un bon duo de faux-cul.

J’aurais aimé en savoir plus. A l’époque mon appareil ne disposait pas de l’option rappel automatique.

C’est alors que j’ai commençé à paniquer.

« Tu ne touches quand même pas à ça ! »

De quoi voulait-il parler ? De drogue ? Jusqu’ici les joints du fort avaient contenté Simon.

Je n’aimais pas laisser les choses en plan. Alors je suis allé glaner des précisions auprès de Franck sur l’appel.

On fut aussi nul l’un que l’autre. Moi avec mon « alors qu’est-ce qui se passe avec Simon ? » bien trop surjoué et Franck avec son histoire complètement bidon sur de l’argent que Simon lui devait.

Il était inutile d’insister du moins avec Franck. Je me suis acharné autrement.

Simon n’ayant pas de portable (du moins je le croyais) je me mis à appeler la chambrée du fort. Heureusement je tombais sur Guillaume un des rares non-connards. Tant que ça ne le dérangeait pas trop il demeurait assez serviable.

Il prit mon numéro de portable et s’engagea à me rappeler, s’il avait des nouvelles de Simon.

Ce n’est que le lendemain soir que j’obtins une information de la part de Guillaume. Il m’avait quelque peu oublié, le cannabis sans doute. Simon était rentré avec des marques de coups au sujet desquelles il refusait de fournir la moindre explication.

C’est là que j’ai enfin réalisé la situation. Seulement que pouvais-je y faire ? Rien.

Exaxtement ce que je détestais.

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