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Simon

Apparemment il pesait une malédiction sur mes week-ends. Une tâche chiante m’y attendait à chaque fois.

Lassé par cet état de fait, je décidais de réduire l’ampleur de ma corvée autant que possible.

Je passais voir Manu directement chez lui. Pas de coup de fil avant. Où pouvait-il être de toute façon ? Je lui faisais mon rapport et lui demandais mes sous tout de suite après. J’évitais ainsi une de ses tirades interminables.

Puis mon employeur (quelle horreur quand j’y pense) s’occuperait de la suite avec Hadrien.

« Bonjour. Steve passe par là. Il habite là. Tu me dois çà. Je suis pressé. Au revoir. »

C’était simple, carré, infaillible. Et évidemment…

Quelqu’un attendait devant l’immeuble de Manu, quelqu’un qui aurait voulu y entrer mais n’ayant pas les moyens de le faire, quelqu’un de blond et de trapu.

L’entrée du bâtiment étant profonde, je ne pus voir Steve avant d’y pénétrer moi-même.

« Vous habitez ici ? » Me demanda-t-il poliment.

Complètement pris de court, je répondis instinctivement sans prendre le temps de réfléchir.

« Non je passe voir quelqu’un. »

« Moi aussi mais il ne répond pas. Vous pourriez m’aider à rentrer ? »

L’entendre s’exprimer de si près le sortit de son image ordinaire. Il parlait bien, et arborait un air affable. Un homme sympathique voir roublard.

Le fait qu’il ne me reconnaisse pas, me calma et me permit d’être légèrement moins stupide.

« Pourquoi je ferais ça ? Je ne vous connais pas. »

Steve le lança un regard noir tandis que je réalisais une autre bêtise de ma part. Sa présence ne pouvait pas être une coincidence.

Comment croire cela alors qu’il venait au moment où Manu préparait sa revanche par personnes interposées. Quant au fait que Steve connaisse l’adresse, cela s’expliquait avec la manie de ce pigeon de Manu de raconter sa vie.

Un seul point demeurait obscur que Steve soit présent à l’instant même de mon arrivée.

L’explication était tout simple, et se lisait dans l’impatience émanant à présent de Steve. En fait il attendait depuis déjà pas mal de temps. Le contrarier dans cet état d’esprit était à mon avis contre-indiqué.

Sans me vanter prendre des coups je connaissais. Ça ne voulait pas dire que j’aurais eu forcément le dessus, et surtout je ne voulais pas me donner du mal pour une connerie pareille.

La réaction adéquate était évidente. Faire celui qui ne veut pas se prendre la tête et se barrer. De toute façon il y avait peu de chance que Steve abandonne sa garde afin de me courir après.

Ensuite je refilerais le bébé à Hadrien, puisqu’il avait l’air de tellement y tenir.

Seulement il faut aussi prendre en compte mon état d’esprit à cet instant. Au départ j’étais résolu à clore cette affaire. Et puis même si je désirais éviter la bagarre, je ne voulais pas donner l’impression de m’enfuir.

Cette impression à qui ? A mon petit égo bien sûr.

J’optais alors pour une solution intermédiaire complètement foireuse. J’effectuais un hochement d’épaule signifiant « après tout je m’en fous. »

J’appelais Manu avec mon portable afin qu’il m’ouvre. Par chance il ne fit pas trop d’histoire.

Une fois qu’il eut raccroché j’ajoutais dans le vide :

« Ils le réparent quand ton interphone ? »

Ce n’était pas tout à fait dans le vide, puisqu’à l’intention de Steve. Ainsi il ne se doutait pas que j’évitais d’appuyer sur l’interphone. Car il risquait de faire le rapprochement, s’il connaissait le nom de famille de Manu, et jetais un coup d’œil.

Mon plan initial était que pendant que Steve perdait du temps à chercher la bonne porte, moi j’allais directement chez Manu et ôtait son nom de sa sonnette.

Bien penser en si peu de temps, non ?

Sauf que j’aurais fait quoi si l’étage était indiqué sur les boites aux lettres ? Par chance ce n’était pas le cas.

D’ailleurs l’absence cette information renforça la mauvaise humeur de Steve.

Pourquoi ne me demanda-t-il pas qui je passais voir ?

Peut-être que malgré ses menaces du regard il n’osait pas réellement s’en prendre à moi, ou que la colère le gênait dans ses réflexions, ou qu’il était simplement con ?

Je rentrais rapidement faisant fi des simagrées de bienvenue de Manu tout en choppant l’étiquette à la porte comme prévu.

« Ah j’attendais ta visite. » Me dit-il d’un ton voulu nonchalant alors qu’on pouvait lire dans ses yeux : enfin quelqu’un à qui parler.

Puis vint encore une faille à mon nouveau plan.

Elle se résuma à une simple action : Manu s’empara d’un bloc note avant que je lui fasse mon compte-rendu.

Il était clair que mon deal ne se réglerait pas rapidement et peut-être pas avant que Steve sonne éventuellement à la porte.

Or il était nécessaire d’en parler afin que Manu ne gaffe pas.

« Steve est dans l’immeuble. » Dis-je simplement sans doute dans le but de compenser le cinéma, qui allait suivre.

Ça ne loupa pas. Manu agita les bras, tourna en rond dans la pièce…

Le pire est que la large majorité de ses gesticulations, n’était que du spectacle. Pour une fois qu’il lui arrivait un truc, Manu exploitait jusqu’au bout. Même lui avait conscience dans le fond, que Steve n’était pas en mesure d’enfoncer sa porte sécurisée.

Soudain il se décida à agir vraiment. Peut-être que mon regard blasé le vexa ? Allez savoir.

Sa main se dirigea vers le téléphone, puis il s’exprima à l’attention de l’environnement comme un soliloque de théâtre.

« J’appelle la police. »

Sa connerie avait atteint un tel niveau que je ne parvenais plus à la comprendre.

« Tu vas leur dire quoi ? »

« La situation, pourquoi Steve est là, qu'il me menace.... »

L'envie de frapper monta en moi. Heureusement celle gueuler la devança.

« Tu vas raconter à la police que t’as voulu acheter un appareil photo de contrebande, et que tu m’as embauché au noir ! »

Manu eut une sorte de blanc. Son entrée dans la réalité lui était pénible.

« Mais Steve... il va... il faut...»

Je devais prendre les choses en main avant qu’il ne dérape de nouveau. C’était une évidence. Une autre me vint sur la manière de faire.

Je sortis de ma poche l’étiquette arrachée de la sonnette et la montrais à Manu. Dans le doute j’y ajoutais une explication.

« Comme çà Steve ne peut pas savoir où t’habite. Tout ce qu'il faut c'est faire les morts le temps qu'il se barre. »

Un peu de vivacité traversa le regard de Manu. Il semblait avoir compris. En tous cas il était bien plus calme. Manu reprit alors son bloc-note, écrit dessus, puis me le montra.

« D’accord. »

Putain quel con !

Un long couloir séparait le salon où nous nous trouvions, et la porte d’entrée. Il suffisait juste de ne pas trop élever la voix.

Comment Hadrien le supportait-il ?

Moi j’étais déjà gavé. Il était temps de revenir aux priorités : prendre mon pognon, et me barrer. Malgré les pénibles interruptions de Manu destinées à me faire réduire mon volume sonore, je parvins tout de même à m’exprimer.

Pour commencer j’indiquais que Steve n’allait pas trainer éternellement dans les couloirs de l’immeuble. Il finirait par attirer l’attention.

Mon interlocuteur rassuré, j’en vins à mes petites affaires en y mettant une pointe de subtilité.

« Je te donne l’adresse de Steve, et tu réglera la suite avec Hadrien. »

Le « avec » donnait l’importance à Manu, dont il avait tant besoin. Cela me permit d’obtenir mon fric sans trop de problème.

Il y avait même un supplément grâce à « ton intervention contre l’attaque de Steve. »

Cette générosité n’en était pas une. Puisque Manu jugeait plus sage de reporter mon départ le temps, que l’on soit assuré de celui de Steve.

« En sortant tu dévoiles que l’appartement est utilisé. »

Quand il était motivé, Manu parvenait parfois à réfléchir, le salaud.

Ne vous leurrez pas. Son but était seulement de retenir ma compagnie. Il n’en était pas question !

Peut-être étais-je sans coeur ? Je m’assurais que le couloir était désert, puis partais.

Le pauvre Steve quand j’y pense.

Tout le monde sort à un moment le samedi, ne serait-ce que pour prendre l’air ou faire des courses. Ce qui constituait une opportunité de chopper la personne. Seulement il manquait le facteur Manu dans ce raisonnement.

Quant à la grande question : comment savait-il pour le riposte de son arnaqué ?

Honnêtement je m’en foutais ? Manu aussi si ça se trouve.

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